2. Les mets et les mots : un plaisir qui se partage
L'histoire de la gastronomie française est aussi celle de la diffusion, jusque dans nos traditions populaires, d'un art de vivre autour des plaisirs de la table, véritable ciment de nos relations sociales et de notre vie culturelle.
Ce plaisir est d'abord celui du partage et de la rencontre, d'un art de la conversation à table spécifiquement français, que relevait déjà en son temps la reine Margot, à laquelle on prête la remarque suivante : « La table est le lieu où ceux de ce pays communiquent avec le plus de franchise » .
Il s'exprime également dans un « vocabulaire culinaire » particulièrement développé : ainsi que l'a souligné le chef Thierry Marx lors de son audition, « il n'est pas de mets qui ne suscite de mot ».
Cet esprit de partage transcende les clivages : comme l'exprimait Brillat-Savarin dans sa Physiologie du goût (sous-titrée Méditations de gastronomie transcendantale ) : « Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s'associer à tous les plaisirs et reste le dernier pour nous consoler de leur perte. »
Les espaces de sociabilité sont en effet divers : de l'intimité du cercle familial au repas d'affaire, en passant par le banquet, le repas à deux ou entre amis, « manger ensemble » est un rite social qui ponctue notre quotidien comme les moments festifs de la vie.
Par ailleurs, une communication étroite s'est établie en France entre la « cuisine savante » de la Cour puis des grands chefs et les cuisines populaires, familiales ou de terroir . L'intérêt voire la passion que les Français portent ainsi à leur patrimoine gastronomique et à sa transmission s'exprime de façons multiples :
- la transmission orale et intime des « recettes de familles » ;
- le nombre de ses bistrots, restaurants traditionnels, bourgeois ou « tendance », mais aussi de ses marchés , véritables lieux de vie et de rencontre dans les villes comme dans les villages ;
- la littérature « culinaire » , quasiment aussi ancienne que la cuisine elle-même, a pris son essor en France où elle reste particulièrement foisonnante ; on ne compte plus les livres de tous ordres, qui sont de véritables succès d'édition (livres de recettes, secrets et recettes des grands chefs, émotions et souvenirs culinaires, monographies de produits, vins, desserts, cuisine régionale ou exotique...) ;
- les guides gastronomiques , tels que le « Guide Michelin », né en 1900, qui conjugue table et voyage en automobile, visent à faire partager et connaître les établissements, alliant, comme pour l'illustre « guide rouge », découverte touristique de la France et découvertes gastronomiques ;
- les associations, clubs ou confréries de gastronomes qui ont fleuri, aux 19è et 20è siècles, autour de la défense d'un plat, d'un produit ou d'une région (comme la « Grande Confrérie du cassoulet de Castelnaudary »), d'un vin (par exemple « la jurande de Saint-Emilion » ou « les mousquetaires de l'Armagnac ») ; on compte par ailleurs deux grandes sociétés de gastronomes : le Club des Cent, fondé en 1912 par le journaliste Louis Forest à Evreux et l'Académie des gastronomes, fondée par Curnonsky en 1928 ;
- les émissions télévisées ont contribué à diffuser la cuisine des grands chefs dans les foyers, depuis le succès populaire de l'émission « Art et magie de la cuisine », animée à partir de 1953 par le chef du Grand Véfour , Raymond Oliver, et la présentatrice Catherine Langeais ; d'autres émissions culinaires rencontrent toujours le même succès, comme celles qu'animent les chefs Joël Robuchon ou Cyril Lignac ; la cuisine a même des chaînes spécialisées sur le câble, comme « Cuisine TV » ;
- enfin, de multiples revues spécialisées ou des sites internet de partage de recettes se sont développés ces dernières années...