b) Un principe de plus en plus fragilisé par l'amélioration et la diffusion des technologies de marquage et de traçabilité
Néanmoins, les progrès techniques réalisés par la microélectronique en matière de capacités de traitement de l'information (étiquettes, lecteurs, réseaux de communication électronique, intelligence logicielle), la diffusion massive de la microélectronique dans nos objets quotidiens, la multiplication des objets communicants et le développement de technologies de traçage invisibles associés au manque de sensibilisation des citoyens rendent la défense de la vie privée de plus en plus difficile face aux capacités technologiques intrusives de la microélectronique.
- La « pervasion » de la microélectronique
La « pervasion » de la microélectronique contribue à multiplier les possibilités de traçage des individus. En effet, la plupart de nos objets quotidiens contiennent de la microélectronique, ce qui nous conduit à « laisser des traces » plus ou moins volontairement. C'est le cas lorsque nous utilisons toute carte dotée d'un « smart system » (carte bancaire, carte de fidélité, carte vitale), un passe pour les transports en commun, un badge d'accès à notre lieu de travail, mais également Internet ou notre téléphone portable même lorsqu'il est en position de veille.
- La multiplication des objets communicants
Le développement des objets « intelligents » capables de communiquer entre eux sans intervention humaine explicite peut s'avérer également très intrusif et constituer une réelle atteinte à la vie privée et à la tranquillité de l'utilisateur. La banalisation du GPS dans les téléphones portables qui permet de localiser très précisément son propriétaire et l'équipement systématique de ces derniers d'une interface « Bluetooth » qui autorise la communication avec d'autres objets et infrastructures dotés de cette interface vont faire de l'utilisateur du téléphone portable la cible privilégiée d'un grand nombre d'intervenants qui chercheront à lui offrir des services personnalisés en fonction de sa localisation.
Se posent alors non seulement la question du consentement de l'utilisateur, mais également celle du contrôle de ses allers et venues dans la mesure où sa localisation peut être mesurée très fréquemment.
- Le développement de technologies de marquage et de traçabilité invisibles
Comme il a été indiqué précédemment, les puces d'identification par radiofréquence (RFID) permettent de doter tout objet d'un code d'identification qui peut être lu par une machine. Elles ressemblent donc aux code-barres tout en présentant deux avantages supplémentaires.
D'une part, elles peuvent être lues à distance, voire effectuer des traitements de données, alors que les codes-barres doivent passer devant une fenêtre de lecture ou être scannés par un lecteur mobile.
D'autre part, leurs capacités de stockage des informations sont telles qu'elles permettent notamment d'attacher à chaque objet son numéro de série de fabrication 28 ( * ) et donc de le repérer de manière singulière, ce qui n'est pas le cas pour les codes-barres.
Jusqu'à présent, les RFID servent essentiellement à la gestion des stocks des chaînes de production ou des éleveurs (marquage des animaux) ou facilitent le contrôle d'accès dans les transports ou les bâtiments.
Néanmoins, la réduction constante de leur taille entraîne une diminution des coûts qui facilite la massification du phénomène. Les RFID devraient représenter un marché de 7,26 milliards de dollars en 2008 et atteindre, à l'horizon 2016, la somme de 26,2 milliards de dollars.
Par ailleurs, les possibilités de communications entre puces RFID et autres composants électroniques seront multipliées quand l'Internet des objets deviendra une réalité ; plus de 100.000 milliards d'étiquettes RFID pourraient alors être déployées, si tous les objets étaient dotés d'une puce RFID.
Une telle « pervasion » des RFID associée à leur quasi-invisibilité ne sera pas sans poser la question de la traçabilité et du fichage des individus.
Comme le fait remarquer Mme Stéphanie Lacour, chargée de recherche au CNRS, « il faut bien se garder de se fier à l'apparente insignifiance des données contenues dans les RFID et à l'apparente priorité donnée aux objets. Les étiquettes RFID permettent, par leur multitude et la densité du maillage qui entoure une personne, de tracer un profil pouvant être analysé quasiment en permanence . ».
Au cours de son audition, l'ancien commissaire du gouvernement auprès de la CNIL, Monsieur Philippe Lemoine, a fait remarquer que chaque individu était caractérisé par environ 2.000 à 3.000 objets propres.
C'est la raison pour laquelle la CNIL considère les étiquettes RFID comme des données à caractère personnel au sens de la loi de 1978, même si elle sera amenée à nuancer les effets de cette qualification au cas par cas à l'avenir, en mettant en place des normes simplifiées de déclaration ou même des dispenses pour les traitements opérés par l'intermédiaire de système RFID qui ne risquent pas de porter atteinte aux valeurs qu'elle protège.
- L'indifférence des citoyens
Néanmoins, l'équilibre entre les progrès de la microélectronique et de l'informatique d'une part et les libertés publiques d'autre part semble de plus en plus difficile à maintenir.
D'abord, le droit est bousculé par l'accélération constante des progrès techniques et peut énoncer des règles parfois difficilement applicables dans les faits. En ce qui concerne les RFID, le respect de l'obligation de collecter et de traiter les données de manière loyale et licite conduit à informer les usagers que les objets qu'ils achètent sont porteurs d'une RFID. Or la communication par RFID est sans contact et peut s'effectuer à l'insu des personnes puisqu'elle ne nécessite, pour son activation, aucune participation des personnes portant les objets étiquetés.
En outre, la globalisation tend à mettre le droit devant le fait accompli dans la mesure où les technologies sont diffusées de plus en plus rapidement et sur l'ensemble de la planète.
En théorie, l'existence d'une technologie ne devrait pas empêcher de réfléchir à son usage. Toutefois, nos concitoyens et en particulier les jeunes générations, n'ont pas conscience d'être titulaires d'un droit fondamental à la protection des données. La plupart des sondages montre une confusion chez les personnes interrogées entre la possibilité de cacher une attitude répréhensible et le droit au respect de sa vie privée. Or ce n'est pas parce qu'on n'a rien à se reprocher qu'on doit accepter d'être tracé sans avoir au préalable donné son accord, voire sans même en avoir conscience.
Par ailleurs, l'indifférence des citoyens concourt à satisfaire à la fois les intérêts de l'Etat, qui tend à privilégier les préoccupations sécuritaires au détriment des libertés individuelles, et ceux des entreprises pour lesquelles les données personnelles représentent une valeur marchande considérable.
Ces dernières sont d'ailleurs capables de consacrer à leur stratégie marketing des moyens financiers énormes par rapport aux moyens d'information et de sensibilisation dont dispose la CNIL.
Elles mettent donc en avant les avantages résultant du traçage des usagers sans bien entendu utiliser ce terme. Ainsi sera vantée la possibilité de recevoir la liste des restaurants ou des cinémas du quartier dans lequel le propriétaire du téléphone portable se trouve ou encore l'opportunité de voir le coût de ses communications diminué s'il accepte de recevoir des publicités personnalisées ou d'être sollicité par des affiches « intelligentes ».
* 28 ainsi que de nombreuses autres informations, selon les types d'étiquettes utilisées