AUDITION DE M. Luc VIGNERON, Président-directeur général de Nexter
(Mercredi 30 avril 2008)
M. Josselin de Rohan, président , a rappelé qu'à la suite de longues et délicates restructurations, GIAT-Industries était devenu Nexter, la société enregistrant désormais pour la seconde année consécutive un résultat bénéficiaire. Il a invité M. Luc Vigneron à présenter la situation de son groupe dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire. Il lui a également demandé de préciser les principaux enjeux qui, à son sens, méritaient d'être pris en compte dans le cadre de la révision en cours de notre stratégie de défense.
M. Luc Vigneron , président-directeur général de Nexter , a tout d'abord évoqué l'impact potentiel sur son groupe de réductions de volumes d'activité qui pourraient intervenir à la suite du prochain Livre blanc et de la future loi de programmation militaire.
Il a rappelé qu'au cours des dix dernières années, la taille du groupe avait été divisée par quatre et le nombre de sites majeurs divisé par trois. Nexter se concentre aujourd'hui sur deux domaines d'activité : les blindés, qui représentent 80 % de l'activité, et les munitions, représentant les 20 % restants. Globalement, la part de la production proprement dite a considérablement diminué, au profit de l'ingénierie et de la commercialisation, mais cette évolution est beaucoup plus accentuée dans le domaine des blindés que dans celui des munitions. M. Luc Vigneron a précisé que sur un effectif d'environ 2 500 personnes, Nexter ne comptait plus qu'environ 600 « cols bleus » directement impliqués dans la production. Ceux-ci se répartissent à égalité entre la branche « blindés » et la branche « munitions », dans laquelle leur poids est proportionnellement beaucoup plus fort. De ce fait, la branche « munitions » est beaucoup plus sensible aux réductions des volumes des commandes, alors que pour la branche « blindés », la préoccupation principale porte sur le maintien d'une taille critique pour les bureaux d'études.
M. Luc Vigneron a jugé encourageantes les informations selon lesquelles les travaux du Livre blanc auraient souligné la nécessité de renforcer l'effort de recherche-développement, puisque l'activité des bureaux d'études pourrait ainsi être maintenue. Il a également évoqué la possibilité de redéfinir la répartition de la maintenance des parcs blindés entre la direction centrale du matériel de l'armée de terre (DCMAT) et l'industrie, avec une implication plus forte de cette dernière. Une telle évolution aurait elle aussi des répercussions positives pour les bureaux d'études, dans la mesure où la maintenance d'un matériel peut déboucher sur des activités d'ingénierie en vue de son adaptation ou de sa modernisation. Il a par ailleurs noté que le programme de véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) constituait une priorité majeure pour l'armée de terre au plan opérationnel. Si des réductions devaient affecter la cible du programme, on peut espérer qu'elles resteraient d'ampleur limitée. D'autre part, la capacité industrielle de Nexter dans le domaine des blindés a déjà été optimisée pour réduire l'impact d'éventuelles baisses des volumes de production.
M. Luc Vigneron a souligné la spécificité de l'activité « munitions ». Une fois produite, une munition ne donne pas lieu à des programmes visant à faire évoluer ses caractéristiques. Dans ce secteur, la part des études est proportionnellement moins importante que celle de la production. Une diminution des volumes de commandes, déjà peu élevés, créerait des difficultés de financement des frais fixes de l'outil de production. La question se poserait tant pour Nexter que pour les autres acteurs français de la filière munitions. C'est donc le maintien d'une industrie munitionnaire nationale qui serait en cause.
On peut observer que le Royaume-Uni, qui a fortement réduit le volume de ses commandes de munitions, a fait le choix de préserver son outil industriel munitionnaire, l'Etat britannique prenant à sa charge une partie des frais fixes des usines, de manière à garantir une capacité de remontée en puissance en cas de nécessité. Dans le domaine des munitions, l'achat sur étagère est bien entendu possible, par exemple auprès des industriels allemands ou américains, mais plus que dans beaucoup d'autres domaines, la garantie d'approvisionnement en munitions est essentielle en cas de crise. Même si cela est peu perçu, l'industrie munitionnaire continue de présenter pour cette raison un intérêt stratégique aux yeux de beaucoup de pays. Il est à cet égard révélateur que le gouvernement américain reste propriétaire des usines de munitions, même si leur gestion est confiée à un opérateur privé (government owned, company operated). M. Luc Vigneron a précisé que la plupart des pays avaient réduit leurs stocks de munitions, tout en restant attentifs à la possibilité de les recompléter très rapidement en cas de crise.
Citant l'obus antichar à effet dirigé Bonus co-produit avec les Suédois, M. Luc Vigneron a également souligné que l'industrie française se situait au meilleur niveau technologique en matière de munitions.
M. Luc Vigneron est ensuite revenu sur la question des relations entre Nexter et l'armée de terre. Il a rappelé que cette dernière détenait en matière de maintenance une large gamme de compétences allant de capacités intégrées au sein des régiments pour l'entretien courant, jusqu'aux établissements de la DCMAT qui procèdent à de véritables opérations industrielles de rénovation des matériels. S'il est normal que l'armée de terre tienne à maintenir un contrôle étroit de l'entretien de son parc, il n'en demeure pas moins que des optimisations sont souhaitables, en développant une véritable synergie entre établissements aujourd'hui trop segmentés. Une coopération beaucoup plus étroite entre l'usine Nexter de Roanne et l'établissement du matériel de Gien permettrait ainsi de réaliser des économies substantielles sur la maintenance, notamment pour les équipements d'entretien coûteux comme le char Leclerc.
Evoquant l'exportation, M. Luc Vigneron a salué les évolutions positives intervenues ces derniers mois avec la volonté de simplifier les procédures et de renforcer le soutien politique aux ventes à l'étranger. Il a suggéré une réactivation du dispositif des avances remboursables par lequel l'Etat acceptait de financer une partie des développements destinés spécifiquement à l'exportation. S'agissant des activités de Nexter à l'exportation, il a souligné l'intérêt suscité par le Caesar, canon d'artillerie monté sur camion, qui a déjà été acheté par l'Arabie saoudite et la Thaïlande. Il a estimé que le VBCI pourrait également répondre aux attentes d'armées étrangères, même si le Royaume-Uni ne semble pas actuellement vouloir le retenir pour l'équipement de ses forces. Nexter propose également à l'exportation un concept de munitions « insensibles » en vue de se prémunir des détonations lors d'incidents ou d'attaques survenant à l'occasion du transport.
M. Luc Vigneron a ensuite abordé les perspectives de regroupements européens dans le domaine de l'armement terrestre. Il a estimé que ceux-ci seraient à terme indispensables pour permettre aux acteurs industriels de bénéficier d'une assise plus large pour affronter les marchés étrangers. Il a estimé que pour Nexter, l'éventualité d'une alliance franco-allemande ne pourrait se concrétiser qu'une fois opéré un regroupement entre les deux principaux industriels allemands, Krauss Maffei Wegmann et Rheinmetall. L'alternative résiderait dans une alliance avec le britannique BAE. Pour l'heure, aucun des industriels considérés n'a manifesté de volonté de se rapprocher de Nexter.
A la suite de cet exposé, M. Philippe Nogrix s'est interrogé sur les délais de reconstitution des stocks de munitions. Par ailleurs, il a demandé des précisions sur la protection du VBCI et sur la numérisation de son système d'information et de combat.
M. Luc Vigneron a précisé qu'un délai de l'ordre de 2 ans était nécessaire pour relancer un processus de production de munition ayant été arrêté. S'agissant du VBCI, 182 blindés ont d'ores et déjà été commandés et les livraisons débuteront à l'été 2008. L'engin bénéficie d'une bonne protection contre les engins explosifs improvisés. Il est également doté d'un système de commandement tactique et d'équipements numérisés compatibles avec les futurs équipements Felin des fantassins.
A M. Jean-Pierre Fourcade qui l'interrogeait sur le programme de revalorisation du char blindé à roues AMX10RC, M. Luc Vigneron a répondu que cette opération devant porter au total sur 256 chars permettra de prolonger la durée de vie de cet engin de reconnaissance jusqu'à l'horizon 2020. Il a ajouté que la rénovation du châssis avait été effectuée par la DCMAT à Gien alors que celle de la tourelle a été réalisée par Nexter à Roanne.