AUDITION DE M. Jean-Marie POIMBOEUF Président-directeur général de DCNS
(Mardi 29 avril 2008)
Accueillant M. Jean-Marie Poimboeuf, M. Josselin de Rohan, président , a rappelé le processus ayant conduit à la transformation de la Direction des constructions navales en société, puis à l'ouverture de son capital, qui avait permis la concrétisation de l'alliance avec Thales pour constituer DCNS.
Il a indiqué que la commission avait souhaité obtenir un éclairage sur la dimension industrielle de notre politique de défense, à quelques semaines de la finalisation du futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Il a invité M. Jean-Marie Poimboeuf à exposer les principaux enjeux qui, du point de vue de sa société, méritaient d'être pris en compte dans la mise à jour de notre politique, plus particulièrement dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire.
En introduction, M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que DCNS venait de vivre une période d'évolution positive. Le changement de son statut et sa transformation en société ont permis d'éliminer de nombreuses contraintes, DCNS pouvant désormais fonctionner avec le même degré d'efficacité que les autres industriels. Les deux principaux objectifs poursuivis avec le changement de statut ont en effet été atteints. D'une part, l'efficacité de l'entreprise s'est nettement améliorée. En témoignent l'amélioration de la disponibilité des bâtiments de la marine, dont le taux est passé de 58 % à 70 %, et des gains de productivité de l'ordre de 20 % puisque, dans le cadre d'un budget constant, la société a absorbé l'assujettissement à la TVA et une hausse de 10 à 15 % des coûts de rémunération liée à l'emploi croissant de personnels à statut de droit privé. D'autre part, DCNS s'est avérée capable de nouer des alliances, avec l'entrée de Thales à hauteur de 25 % du capital en contrepartie de l'intégration de ses activités en matière de systèmes navals. Désormais, la France dispose d'un acteur industriel unique dans le domaine naval de défense.
M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que le plan à moyen terme adopté au mois de janvier pour les années 2008 à 2010 faisait apparaître une diminution du chiffre d'affaires, qui devrait passer d'environ 2,8 milliards d'euros en moyenne ces cinq dernières années à 2,6 milliards d'euros pour 2008, 2009 et 2010. Le résultat d'exploitation, qui atteignait 7,2 % en 2007, ne serait plus que de 5,6 % en 2008. Pour rétablir sa rentabilité, DCNS a décidé de réduire son effectif d'environ 800 personnes, sur un effectif actuel de 13 000 personnes.
M. Jean-Marie Poimboeuf a souligné qu'en dépit des évolutions positives de ces dernières années, la situation de DCNS restait fragile. La transformation en société est encore récente et la mutation culturelle qu'elle implique n'est pas achevée. D'autre part, DCNS dépend pour plus de 70 % de son activité du budget français de la défense. Plus que d'autres entreprises de défense, elle est donc extrêmement sensible à toute réduction de ce budget.
M. Jean-Marie Poimboeuf a précisé que deux grands contrats passés avec le ministère de la défense étaient structurants pour l'avenir de DCNS : d'une part, le contrat des frégates européennes multi-missions (FREMM) conclu fin 2005, qui porte sur 17 frégates pour un montant global de 7 milliards d'euros, dont une tranche ferme de 8 frégates pour 3,5 milliards d'euros, et qui génère un volume d'activité très significatif pour les établissements de Lorient, Ruelle, Indret et Toulon ; d'autre part, le contrat des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Barracuda, conclu fin 2006, qui représente un volume global de 8 milliards d'euros pour 6 SNA, avec une tranche ferme comprenant le développement et la fabrication du premier SNA. Le programme Barracuda représente, en outre, un enjeu stratégique pour le maintien du savoir-faire français dans le domaine des sous-marins, et notamment des compétences spécifiques, sans équivalent dans le monde en dehors des Etats-Unis et de la Russie, pour la réalisation des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) qui forment la composante océanique de notre dissuasion nucléaire.
M. Jean-Marie Poimboeuf s'est déclaré inquiet des remises en cause qui pourraient affecter le contrat FREMM et le contrat Barracuda dans le cadre de la révision des programmes d'équipement militaire consécutive au futur Livre blanc.
S'agissant du contrat FREMM, on évoque à la fois une réduction du nombre de frégates commandées et un étalement de leur réalisation. Or, c'est l'optimisation du programme, fondée sur un rythme de livraison d'une frégate tous les sept mois, qui a permis d'obtenir un coût de réalisation unitaire très attractif, inférieur d'environ 100 millions d'euros à celui des frégates type 125 produites par les chantiers allemands TKMS. La renégociation du contrat, avec réduction du nombre et ralentissement des cadences de livraison, se traduirait inéluctablement par un renchérissement du coût unitaire des frégates, de l'ordre de 10 à 15 % selon le rythme de réalisation. Pour maintenir sa rentabilité, DCNS serait amenée à réduire ses effectifs et à rapatrier en son sein des activités actuellement sous-traitées. La société verrait sa valeur affectée et sa position affaiblie pour réaliser des rapprochements européens. Si l'on ajoute à l'étalement du programme FREMM celui du programme Barracuda, les réductions d'effectifs iraient jusqu'à 3 000 personnes, dans des bassins d'emploi où DCNS est souvent le premier employeur.
M. Jean-Marie Poimboeuf a ensuite exposé les actions engagées par DCNS pour réduire sa dépendance, aujourd'hui excessive, vis-à-vis du budget français de la défense.
Il a cité en premier lieu le rapprochement avec Thales qui a été suivi d'un changement d'objet social de l'entreprise, lui permettant d'intervenir en dehors du seul secteur naval de défense. Ce rapprochement est également très favorable au développement international de DCNS, avec la création en cours ou en projet de filiales à Singapour, en Inde ou en Malaisie, en vue d'assurer le soutien des bâtiments réalisés par DCNS dans ces pays. Des implantations sont également en cours en Arabie Saoudite, au Brésil et au Chili.
M. Jean-Marie Poimboeuf a ensuite évoqué le développement de l'exportation, qui bénéficie d'un fort soutien des autorités publiques. Le contrat avec le Maroc pour une frégate FREMM est en cours de finalisation. DCNS compte plusieurs autres prospects pour l'exportation des FREMM : la Grèce (6 frégates), l'Algérie (4 frégates) et l'Arabie Saoudite (4 à 6 frégates). DCNS est actuellement en discussion avec la Bulgarie et la Géorgie pour des corvettes. En ce qui concerne les sous-marins, les discussions sont engagées avec le Chili, la Malaisie, l'Inde, la Turquie, le Brésil et le Pakistan.
M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que DCNS cherchait également à diversifier ses activités hors du domaine de la défense. Il a cité le savoir-faire de l'entreprise dans certains sous-ensembles de chaufferies nucléaires, ce qui pourrait l'amener à coopérer avec Areva dans la réalisation de réacteurs nucléaires. Il a également estimé que DCNS devait développer ses activités de service au profit de clients autres que la marine nationale.
En conclusion, M. Jean-Marie Poimboeuf a précisé que DCNS visait à ramener à 50 % d'ici à 5 ans son taux de dépendance vis-à-vis du budget français de la défense.
Répondant à M. Josselin de Rohan, président , qui l'interrogeait sur le second porte-avions, M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que ce projet n'avait pas pour DCNS un impact aussi important que les programmes FREMM et Barracuda en termes de construction navale, même si les retombées sont significatives en matière d'ingénierie et d'intégration des systèmes de combat ; la réalisation du bâtiment lui-même s'effectuerait dans le chantier Aker Yards de Saint-Nazaire. Il a noté que les Britanniques n'ont pas encore officiellement lancé la réalisation de leur programme de deux porte-avions.
M. André Dulait a interrogé M. Jean-Marie Poimboeuf sur les conséquences d'une non-réalisation du second porte-avions, compte tenu des contrats déjà passés pour l'accès aux études de conception britanniques. Il a, par ailleurs, demandé des précisions sur les conditions de réalisation dans les pays acheteurs des contrats remportés par DCNS.
M. Jean-Marie Poimboeuf a répondu qu'à sa connaissance, la France avait déjà acquitté un droit d'accès aux études britanniques sur le second porte-avions, et qu'une contribution complémentaire serait nécessaire si ce projet était lancé en coopération franco-britannique. Aucune pénalité ne paraît en revanche devoir être réglée aux Britanniques si la France renonçait à lancer le programme.
En ce qui concerne les contrats à l'exportation, il a précisé que la quasi-totalité des clients exigeaient une réalisation locale de tout ou partie du contrat. Toutefois, la part des sous-ensembles que DCNS, en tant qu'équipementier, continue à réaliser en France avant leur livraison, demeure non négligeable.
A M. Jean-Pierre Fourcade qui l'interrogeait sur le coût qu'aurait représenté la construction d'un second porte-avions identique au Charles de Gaulle, M. Jean-Marie Poimboeuf a répondu que le traitement des obsolescences devenait d'autant plus coûteux que le délai s'accroît entre la réalisation de deux équipements identiques. Les estimations effectuées ces dernières années montraient que la réalisation d'un second porte-avions à propulsion classique n'était pas plus coûteuse que celle d'une réplique du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. L'état-major souhaitait en outre disposer d'un bâtiment de tonnage plus élevé et soulignait les contraintes de déploiement liées à la propulsion nucléaire.
M. Robert Bret a demandé des précisions sur les conditions de protection de la propriété intellectuelle et du secret de la défense nationale, lorsque les équipements sont réalisés dans le pays acheteur.
M. Jean-Marie Poimboeuf a précisé que si la réalisation des bâtiments dans les pays clients se généralisait, c'est que ces derniers le demandaient explicitement et que DCNS n'était pas en situation de refuser, compte tenu du contexte de plus en plus concurrentiel des marchés. Pour autant, DCNS veille à maintenir un équilibre entre la construction locale et la part du contrat réalisée en France. Si le savoir-faire de réalisation peut être aisément transféré, il n'en va pas de même du savoir-faire de conception. La création de filiales avec des partenaires locaux vise également à rendre plus acceptables pour l'entreprise ces exigences de réalisation sur place. Enfin, la protection du secret de la défense nationale est assurée par les procédures étatiques de contrôle des exportations.
Répondant à M. André Boyer qui l'interrogeait sur les coopérations européennes, M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que DCNS réalisait avec l'Italie les frégates anti-aériennes Horizon et les FREMM. En revanche, la coopération avec l'Espagne sur les sous-marins Scorpène connaît de sérieuses difficultés depuis que le partenaire de DCNS, Naventia, a développé un produit concurrent, le S 80, en coopération avec les Etats-Unis. A titre d'exemple, le Scorpène et le S 80 sont en concurrence en Turquie, Naventia étant partie prenante aux deux propositions. M. Jean-Marie Poimboeuf a estimé que sur le segment des sous-marins, la logique voudrait que DCNS et l'Allemand TKMS se rapprochent, la concurrence entre les deux principaux acteurs européens étant à terme suicidaire. Le contexte n'est pour l'heure pas encore pleinement propice à ce rapprochement. M. Jean-Marie Poimboeuf a enfin indiqué qu'un accord européen fort venait d'être conclu entre DCNS et Wass, filiale de Finmeccanica, pour constituer d'ici à la fin de l'année une société franco-italienne commune dans le domaine des torpilles. Cette société sera également ouverte à l'Allemand Atlas Electronik.
A Mme Michelle Demessine , M. Jean-Marie Poimboeuf a précisé que des groupes comme EADS ou Thales étaient beaucoup moins dépendants que DCNS des commandes de la défense française. De ce fait, l'impact d'une diminution des commandes serait beaucoup moins sensible pour le chiffre d'affaires de ces groupes que pour celui de DCNS.
A Mme Joëlle Garriaud-Maylam , il a indiqué que les Espagnols ne remettaient pas en cause leur coopération sur le Scorpène, à laquelle ils ne voient que des avantages dès lors qu'ils ont aussi noué des coopérations avec les Américains. Cette coopération s'avère cependant déséquilibrée pour DCNS, qui ne peut exporter le Scorpène sans l'accord d'un partenaire espagnol qui propose, avec le S 80, un produit concurrent.
M. Robert Bret a observé que la prise d'otage du « Ponant » avait souligné l'intérêt de disposer d'une flotte de haute mer, ce qui pourrait plaider pour une reconsidération des diminutions de commandes envisagées sur le programme FREMM.
M. Jean-Marie Poimboeuf a estimé que la marine ne disposait, dans son format actuel, d'aucune marge pour assurer l'ensemble de ses missions.