B. L'ÉLEVAGE, UN SECTEUR CONFRONTÉ AU DÉFI SANITAIRE
1. La première puissance exportatrice mondiale
A de multiples reprises, votre délégation a abordé la question de l'élevage brésilien , qui occupe une position centrale dans l'économie agricole , tant sur le plan national qu' international . Ce rôle central tient autant à l'existence d'un marché intérieur de la viande très vigoureux qu'à celle d'une puissante industrie des abattoirs dont le développement a été favorisé par une forte croissance des exportations pendant les deux guerres mondiales. Conjugués à l'existence d'importantes ressources foncières facilitant l'exploitation de troupeaux immenses, ces deux facteurs ont permis à l'élevage brésilien de s'orienter vers une stratégie de conquête des marchés extérieurs. Le Brésil exporte désormais près de 2,2 millions de tonnes de viande chaque année, ce qui représente 30 % du marché mondial . A titre d'exemple, il exporte de la viande bovine dans 182 pays, en particulier vers l'Union européenne et la Russie, cette dernière étant le premier importateur de viande brésilienne.
Les chiffres de ce secteur économique sont à nouveau éloquents puisque le Brésil a produit , en 2006, 9,5 millions de tonnes de boeuf , 8,9 millions de tonnes de poulet et près de 3 millions de tonnes de porc , les taux de croissance de ces productions ayant été particulièrement soutenus au cours de la période 1994-2006 14 ( * ) . Le Brésil est le premier exportateur mondial de viande bovine 15 ( * ) depuis 2003, ainsi que de poulet 16 ( * ) et le quatrième exportateur de viande de porc. 21 % de la viande bovine brésilienne est exportée vers les pays de l'Union européenne, cette part s'établissant à 22 % pour la Russie, pays qui absorbe par ailleurs 50 % des exportations nationales de porc. Pour le poulet, les principaux marchés sont, là encore, les pays de l'Union européenne (13 %), mais aussi l'Arabie Saoudite dans une proportion équivalente.
Malgré ce statut de premier exportateur mondial de viandes, le Brésil destine l'essentiel de ses productions à la satisfaction des besoins de son marché intérieur. En effet, un Brésilien consomme, chaque année et en moyenne, 35 kilos de viande de poulet, 37 kilos de boeuf et 12 kilos de porc 17 ( * ) . De ce fait, 80 % de la production bovine est consommée au Brésil, ces proportions s'élevant à 71 % pour la volaille et 82 % pour le porc.
L'essentiel des élevages de poulet et de porc sont situés dans les régions sud-est du pays, tout comme les élevages bovins, également localisés dans le centre du pays. Toutefois, au cours des dernières années, les principales zones d'élevage se sont déplacées vers les régions centre-ouest du pays en raison d'une plus grande disponibilité des terres et d'une production de grains plus abondante et meilleure marché.
2. La santé animale en question
Au cours de la mission, votre délégation a eu l'occasion d'évoquer de manière approfondie les questions relatives à la santé animale, dans un contexte de tension croissante entre le Brésil et l'Union européenne sur ce dossier. Les interlocuteurs interrogés par la délégation lui ont fait valoir que la plupart des régions d'élevage n'étaient pas touchées par la fièvre porcine ou la grippe aviaire et que le gouvernement consacrait des sommes importantes aux actions de défense sanitaire, près de 50 millions d'euros chaque année selon M. Adriano Rubio, vice-président de l' Association brésilienne d'insémination artificielle (ASBIA). S'agissant de la fièvre aphteuse, ces mêmes interlocuteurs ont assuré les membres de la délégation de la capacité des autorités sanitaires à assurer la traçabilité et la qualité des viandes produites au Brésil.
Votre délégation souhaite faire part de son scepticisme sur ce point dans la mesure où ses interlocuteurs n'ont pas été en mesure d'apporter de preuves convaincantes à l'appui de leurs affirmations. D'une part, le caractère très extensif de l'élevage brésilien rend particulièrement ardues les tâches d'identification des bovins au sein des troupeaux et de suivi de leur état sanitaire. D'autre part, les contrôles du cheptel sont encore plus malaisés dans les zones frontalières, notamment avec le Paraguay ou l'Argentine. Afin de remédier à ces carences des contrôles sanitaires, les autorités brésiliennes ont institué un système d'identification d'origine bovine (SISBOV). Celui-ci a pour principal objectif l'identification, le registre et le suivi individuel de tous les bovins et zébus nés ou importés au Brésil. Des efforts comparables de traçabilité ont d'ailleurs également été effectués pour les productions avicoles et porcines. Toutefois, seuls 7 millions de têtes étaient identifiés par le SISBOV en 2005, sur un cheptel total de plus de 160 millions, ce qui est encore loin d'être satisfaisant.
3. Un protectionnisme européen déguisé ?
L'état sanitaire du cheptel bovin brésilien est aujourd'hui au coeur d'un conflit opposant les autorités du Brésil à la Commission européenne sur les conditions d'exportations de cette viande. La législation communautaire en vigueur requiert, de la part de tout producteur désireux d'exporter de la viande vers l'Union européenne, une homologation et la possession d'un certificat sanitaire. Au regard de ces exigences juridiques, seuls 312 des quelques 600 abattoirs du pays sont soumis à un contrôle sanitaire du ministère de l'agriculture et 60 seulement sont autorisés à exporter vers l'Europe.
Dans ce contexte, l'apparition d'épidémies de fièvre aphteuse touchant les troupeaux du Mato Grosso do Sul et du Paraná, mais aussi les inquiétudes sur le contrôle des mouvements du cheptel, ont conduit la Commission européenne, sous la pression notamment de l'Irlande et de l'Angleterre, à dépêcher, en novembre 2007, une cellule de spécialistes et de vétérinaires pour contrôler les conditions d'élevage, d'abattage et d'exportation de la viande. A la suite de ces inspections, la mission a identifié « plusieurs déficiences graves et répétées dans les systèmes brésiliens de traçabilité et de contrôle sanitaire ». Ces conclusions ont conduit l'Union européenne à demander la mise en place de contrôles supplémentaires qui, à défaut d'être mis en oeuvre, auraient légitimé l'édiction de mesures restrictives sur les exportations de viande bovine. La Commission européenne a notamment insisté pour que les bêtes puissent être gardées sur les sites choisis pendant une période d'au moins 40 jours avant l'abattage.
Dans le courant du mois de décembre 2007, la Commission européenne a averti le Brésil qu'à compter du 31 janvier 2008, les importations de boeuf ne seraient autorisées qu'à la condition que les viandes proviennent d'une liste d'élevages sélectionnés respectant pleinement les obligations sanitaires en vigueur au sein de l'Union. En réponse, les autorités brésiliennes ont adressé une liste de 2.600 fermes, qui n'a cependant pas été jugée satisfaisante par la Commission européenne. En conséquence, les importations de viande bovine en provenance du Brésil ont été suspendues depuis le 31 janvier dernier, M. Markos Kyprianou, commissaire européen à la santé déclarant ne pas disposer « de liste qui donne satisfaction pour le moment. Cela signifie qu'à l'heure où nous parlons, aucune ferme ne sera autorisée à exporter vers l'Union européenne ». Le commissaire européen a ajouté que cette liste ne pourrait obtenir l'aval de la Commission qu'après un nouvel examen, soit sur la base de la documentation fournie par le Brésil, soit par le biais d'inspections, la Commission souhaitant obtenir des garanties sanitaires suffisantes du Brésil avant d'autoriser à nouveau les importations 18 ( * ) .
Ce contentieux, dont les motifs -pleinement légitimes aux yeux des membres de votre délégation- s'appuient exclusivement sur des raisons sanitaires, ne doit pas cependant masquer l'existence de réelles mesures de protectionnisme économique mises en place par l'Union européenne dans le domaine de la viande, comme l'ont précisé les représentants de l' Association brésilienne des industries exportatrices de viande (ABIEC).
L'Association brésilienne des industries exportatrices de viande (ABIEC) L'ABIEC est l'une des plus puissantes associations professionnelles du Brésil. Elle a pour mission de promouvoir les exportations de viande, d'aider les entreprises à conquérir de nouveaux marchés et de défendre leurs intérêts. Un de ses principaux combats a trait à l'ouverture des marchés étrangers, en particulier européens. En effet, les marchés européens sont relativement fermés aux viandes brésiliennes : les droits d'entrée y sont élevés et les contingents alloués au pays faibles. L'ABIEC critique d'ailleurs moins les subventions internes versées dans les pays de l'Union que les soutiens à l'exportation et les barrières tarifaires qui interdisent l'accès au marché. M. Marcus Vinicius Pratini de Moraes, président de l'ABIEC, rencontré par votre délégation, a récemment affirmé que « la santé animale [était] devenue le nouveau synonyme du protectionnisme. Lorsqu'un pays souhaite bloquer les importations, il a tendance à user et abuser du concept de santé animale en multipliant les embargos. Ceci nous a déjà pénalisé en Europe, en Russie et, plus récemment, au Chili ». |
Ces mesures protectionnistes s'appuient notamment, pour la viande bovine, sur une taxe de 176 % sur la valeur du produit . Le caractère élevé de ce droit de douane n'empêche pas pour autant les exportations de viande brésilienne vers l'Europe, qui ont progressé de 20 % depuis 2003 et représentent désormais 66 % de la viande importée par les pays de l'Union européenne 19 ( * ) .
* 14 + 71 % pour le boeuf, + 170 % pour le poulet et + 113 % pour le porc.
* 15 3,9 milliards de dollars d'exportations.
* 16 3,2 milliards de dollars.
* 17 En France, ces chiffres s'établissent respectivement à 23,5 kg, 26,1 kg et 34,3 kg.
* 18 Après qu'une nouvelle liste comportant 600 élevages a également été repoussée par la Commission européenne, qui n'estimait pas crédible un nombre de fermes en mesure de respecter des normes sanitaires suffisantes supérieur à 300, le Brésil s'est plié à la mi-février 2008 aux exigences de l'Union européenne en soumettant une liste de moins de 200 élevages, accompagnée de rapports d'inspections sanitaires devant donner toutes les assurances qu'elle réclamait. Une mission d'inspection a été envoyée au Brésil par la Commission européenne le 25 février 2008 pour vérifier le respect des normes européennes. Les élevages y satisfaisant verront leur nom publié sur le système européen de traçabilité des mouvements d'animaux (TRACES) et seront à nouveau autorisés à exporter de la viande bovine vers l'Union européenne.
* 19 Point sur lequel la Fédération des industries de l'Etat de São Paulo (FIESP) a attiré l'attention de votre délégation.