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Pr. Claude HURIET, Président Sénateur Honoraire Auteur et rapporteur de la proposition de loi relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme
(20 décembre 2006)
Après avoir observé qu'il devait être entendu davantage en tant qu'observateur critique qu'en tant qu'expert en santé-environnement ou en spécialiste de l'expertise santé-environnement, le Pr. Claude HURIET a rappelé que si l'Institut Curie était un hôpital et un centre de recherche, lui-même était médecin mais n'était pas chercheur. Il a noté que la sécurité sanitaire française avait été grandement améliorée à la suite de la proposition de loi sénatoriale relative à la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme qui avait été complétée, sous le gouvernement de M. Lionel JOSPIN, par une proposition de loi sur la santé et l'environnement du député André ASCHIERI, prenant en compte les risques environnementaux.
A propos de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) devenue l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET), le Pr. Claude HURIET s'est dit déçu par les graves insuffisances de cette agence fragile , dotée de peu de moyens, à laquelle ont été dévolues des compétences trop larges , d'où un échec en quelque sorte programmé. Il a rappelé que, après les crises sanitaires du sang contaminé et de la « vache folle », il avait été rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur le sang contaminé et rapporteur également d'une mission d'information de la commission des Affaires sociales sur ce thème, ce qui l'avait conduit à déposer la proposition de loi tendant à la création de deux agences, l'AFSSAPS et l'AFSSA, et de l'INVS.
Déjà à cette époque, pouvait être dressé le constat de la multiplicité d'organismes de natures très différentes employant certes des personnes compétentes mais au sein d'un système illisible , caractérisé par des cloisonnements et une efficacité insuffisante . Seul un inventaire incomplet de ces organismes avait pu être dressé du fait, par exemple, des réponses lacunaires de certains ministères - celui de l'Agriculture ignorait par exemple le nombre exact d'organismes dépendant de lui mais il l'évaluait à plus de cinquante. D'où la proposition de loi du sénateur Claude HURIET qui avait pour objectif de donner de la cohérence au système à travers la création d'agences - démarche qui devait rencontrer l'obstruction des administrations centrales.
Quoi qu'il en soit, les agences ont constitué une réponse, certes imparfaite, à la multiplication des structures .
Le Pr. Claude HURIET a observé qu'il avait été plus compliqué de créer l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) car, pour cette dernière, il existait déjà une Agence du médicament qui lui a servi de base ; cette agence ayant elle-même permis la disparition de la direction du Médicament du ministère de la Santé. A l'inverse, l'AFSSA est partie de rien. Il a noté aussi que, même si la mission de sécurité alimentaire dévolue à l'AFSSA avait été inscrite dans la loi (art. L. 794-1-2 du code de la Santé), des résistances administratives ne s'en étaient pas moins manifestées contribuant au maintien de structures qui avaient vocation à intégrer cette agence.
En fait, l'Agence du médicament a constitué le noyau porteur de l'AFSSAPS, le Centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) fut le noyau porteur de l'AFSSA et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) aurait du constituer le noyau porteur de l'AFSSE , mais cela a été refusé par le gouvernement alors que l'INERIS quant à lui ne s'y était pas opposé.
Pour le Pr. Claude HURIET, le constat de dispersion effectué en 1998 reste valable et il a insisté sur le caractère de coquille vide qui caractérise l'AFSSET comme il l'a rappelé à l'occasion d'un article publié dans Le Figaro du 4 septembre 2006 : « L'AFSSE-AFSSET : les leçons de l'histoire » . Le Pr. Claude HURIET a également indiqué que la genèse de la création de l'AFSSE était décrite dans le livre du député André ASCHIERI, écologiste rattaché au groupe parlementaire Radical, Citoyen et Vert (RCV). A l'époque, le ministère de l'Environnement était tiède sur cette création et, à l'Assemblée nationale, le sujet était conflictuel. Quoi qu'il en soit, le texte adopté par les députés fut transmis au Sénat où le Pr. Claude HURIET - qui en fut le rapporteur - tenta de faire comprendre qu' il ne fallait pas créer une agence à partir de rien, que le texte fondateur de celle-ci devait mentionner l'étendue du champ des risques (air, terre, eau, chimie, bactériologie,...) relevant de ses attributions et que l'INERIS aurait pu servir de base à l'AFSSE .
Le Pr. Claude HURIET a rappelé que les débats en commission mixte paritaire furent très serrés, l'appellation même d'agence posant problème, et que, finalement, les difficultés politiques empêchèrent une création plus audacieuse. C'est pourquoi le Pr. Claude HURIET considère que cette négociation fut un échec car ni la liste des risques ni celles des milieux concernés n'ont été inscrites dans la loi, ce qui confirme que l'agence a été conçue pour être faible et, dans cette mesure, le Pr. Claude HURIET estime que l'AFSSE n'est pas améliorable car elle est, en quelque sorte, mal formée congénitalement. De nouveau lorsque ses compétences ont été étendues au travail, devenant ainsi l'AFSSET, le Pr. Claude HURIET a conseillé de repartir sur des bases plus saines en incorporant l'INERIS à l'AFSSE considérant que sans cela l'attribution de moyens supplémentaires à l'AFSSET serait inutile.
Le Pr. Claude HURIET a ensuite rappelé que les risques physiques auraient dû inclure les risques nucléaires, ceux des ondes électromagnétiques ou encore ceux des nanoparticules , ce qui est d'ailleurs mentionné dans un rapport du député Jean-Yves LE DÉAULT mais il a déploré que l'indifférence aux risques des ondes et des présupposés politiques aient tout fait échouer.
A propos de l'InVS , le Pr. Claude HURIET a observé qu'il était fort différent de créer un institut de veille non chargé d'une fonction d'expertise ou une agence qui, elle, a pour mission d'agir, tandis que veiller c'est observer en temps réel. Il a estimé que, pour être efficace, il faut une seule tête et un réseau au maillage dense afin d'analyser en un seul lieu des faits isolés survenus en une multitude de lieux. Il a cité l'exemple de la canicule de l'été 2003 , illustratif à cet égard, où il apparaît que les sapeurs pompiers ont bien fait remonter une grande quantité d'informations sur la multiplication des décès des personnes âgées mais ces données ont abouti au ministère de l'Intérieur et non au ministère de la Santé... ni à l'INVS.
Le Pr. Claude HURIET a estimé qu'il incombait à l'InVS, dans le respect de la loi, de répercuter immédiatement à l'ensemble des ministères les informations qu'il recueillait et que ce rôle avait été insuffisamment joué lors de la canicule. Par ailleurs, l'Institut donne des éclairages pour contribuer à l'expertise mais il ne saurait à lui seul avoir les moyens de mener cette expertise. En revanche, l'AFSSE pourrait se saisir d'elle-même à partir d'informations recueillies.
Le Pr. Claude HURIET a noté que, malheureusement, les administrations centrales étaient loin de faciliter la tâche des agences ; même si les directeurs des agences sont nommés en conseil des ministres, celles-ci sont vécues comme une dépossession des pouvoirs de l'Etat.
Interrogé sur l'existence ou non d'un relais comme, par exemple, la direction générale de la Santé pour répercuter les informations analysées au cours de colloques médicaux , le Pr. Claude HURIET a estimé que le corps médical pourrait prendre l'initiative d'activer l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) dont les rapports peuvent faire bouger le ministère de la Santé.
En réponse à une question sur les statistiques des causes des cancers , le Pr. Claude HURIET a précisé que le dépistage systématique de certains cancers entraînait une hausse des coûts sans que la population cible soit toujours atteinte dans des proportions satisfaisantes, alors qu'une partie de l'opinion a tendance à réclamer toujours plus de dépistages. En outre, comme l'efficacité des dépistages dépend de leur répétition, dans le temps, cette revendication de l'opinion risque de conduire à une explosion financière avec un ratio coût efficacité peu satisfaisant.
Le Pr. Claude HURIET a noté que si le tabac était une cause évidente de cancers, l'effet cancérogène des pesticides dépendait aussi du comportement des utilisateurs de ces substances pour lesquelles les certitudes d'effets cancérogènes se confirment, des problèmes étant apparus dans le milieu agricole.
Il a insisté sur les difficultés de l'étiologie multifactorielle . En effet il ne suffit pas de déterminer que telle substance joue tel rôle mais il faut encore se demander si ce rôle est essentiel dans le déclenchement de la maladie. A cet égard, encore une fois, il n'y a aucun doute sur l'existence du lien de causalité entre tabac et cancer.
Le Pr. Claude HURIET a observé que la fréquence des cancers augmentait mais qu'il fallait relever en parallèle que les progrès du dépistage accentuaient ce phénomène. En effet, l'exemple des mammographies montre que celles-ci peuvent donner lieu à des alertes qui ne déboucheront pas forcément sur des cancers par la suite. De plus, l' augmentation de la durée de la vie est en elle-même la cause de l'augmentation du nombre des cancers mais il doit être relevé que le nombre de guérisons des cancers augmente aussi grâce à la détection et à l'action précoce.
Documents de référence :
- « L'échec prévisible de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement (AFSSE) : d'une agence virtuelle à une coquille vide » , article adressé au Monde le 22 juin 2005, Pr. Claude HURIET, sénateur honoraire
- « L'AFSSE-AFSSET : les leçons de l'histoire » , Le Figaro, 4 septembre 2006, Pr. Claude HURIET, sénateur honoraire
- « Environnement et cancer, quels sont les risques ? » , Conférence à l'Institut Curie, Vie hospitalière, octobre 2006
- « Baromètre cancer 2005 » , Dossier de presse, Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), 11 décembre 2006