5. L'évaluation des méthodes de travail scientifique de l'AFSSE
De sa création en mai 2001 jusqu'à l'automne 2005, l'AFSSE a suscité diverses interrogations. En réaction, par lettre de mission en date du 14 octobre 2005, le ministre de l'Écologie et du développement durable et le ministre de la Santé et des solidarités ont demandé respectivement à l'Inspection générale de l'Environnement et à l'Inspection générale des Affaires sociales de « dresser un bilan des méthodes de travail scientifique de l'AFSSE » et d'« identifier des axes de progrès... pour assurer le meilleur niveau de qualité scientifique de ces travaux » tout en examinant « les conditions dans lesquelles sont conduites les expertises de l'AFSSE », notamment le respect des règles de déontologie scientifique et les règles internes de l'établissement.
La mission a donc examiné, non pas la valeur scientifique des travaux produits par l'AFSSE, mais les procédures suivies par l'agence et les méthodes de travail mises en oeuvre.
Le constat résumé de cette inspection conjointe 33 ( * ) remis en janvier 2006 a été le suivant :
- Les moyens de l'AFSSE . Au cours des années 2002 à 2004, pour conduire ses expertises l'AFSSE n'a pas disposé de moyens adaptés à ses besoins ni en crédits ni en personnel .
- Les méthodes d'expertise de l'AFSSE ont présenté des insuffisances . C'est ainsi que les délais assignés par certaines saisines n'étaient pas réalistes et que beaucoup d'entre elles, dictées par l'urgence, ont créé un climat peu favorable à une bonne administration des saisines.
Bien plus, les missions du conseil scientifique ont été mises en suspens et les rappels qu'il a émis sur la lenteur de la mise en place des comités d'experts spécialisés (CES) n'ont trouvé qu'un faible écho.
Plus grave, au lieu de s'appuyer sur ces comités d'experts spécialisés, ceux-ci ont été supplantés par le recours quasi exclusif à des groupes de travail, instances non officielles , dont l'existence, soi-disant provisoire, a tout de même entraîné le recrutement de près de 250 experts. Les inspections générales ont fortement critiqué cette pratique estimant que l'agence avait pris « le risque d'hypothéquer le travail des experts par des irrégularités de forme sur lesquelles pourrait s'arrêter un juge en cas de contentieux ». Tel fut le cas pour le rapport relatif à la téléphonie mobile (2003).
- Les comités d'experts spécialisés mis en place tardivement n'ont pas couvert pour autant tous les besoins de l'agence. Trois des quatre CES existant en 2006 n'ont été constitués qu'en 2005, ce qui signifie que « l'agence n'avait pas jusque là les moyens de fonctionner normalement ».
Les inspections ont aussi souligné le caractère limité des champs de compétence des CES créés dans la mesure où les milieux sols et eaux n'ont pas été attribués ...
Les deux inspections ont vivement critiqué le fait que les listes d'experts proposés aux tutelles pour nomination par arrêté ministériel aient été insuffisamment renseignées sur les prises d'intérêts indirects .
Le rapport des inspections développe particulièrement les déficiences méthodologiques survenues à l'occasion du traitement du dossier téléphonie mobile .
En bref, pour ce dossier, les dispositions juridiques qui devaient mettre en place les comités d'experts n'étaient pas prises ; le conseil scientifique n'était pas constitué ; à l'époque de cette saisine, il n'existait pas d'instance susceptible de valider la désignation des experts et donc de garantir leur situation au regard de conflits d'intérêt éventuels. En outre, à la réception du rapport des experts l'AFSSE a procédé à de multiples auditions « dont on ne peut contester l'intérêt mais qui auraient du être conduites par les experts eux-mêmes durant leur mission puisque portant sur des sujets de nature scientifique ».
En outre, le deuxième avis de juin 2005 rendu par l'AFSSE à nouveau sur la téléphonie mobile est intervenu alors qu'il n'existait toujours pas de comité d'experts capable de prendre en charge cette saisine. De plus, les déclarations publiques d'intérêt montraient des liens directs ou indirects de trois experts sur les dix avec un opérateur téléphonique. Enfin le rapport de ces experts a été produit en février 2005 et l'avis de l'AFSSE établi seulement en juin. D'où un jugement global très critique des inspections sur les travaux de l'AFSSE en matière de téléphonie mobile .
Les deux inspections ont également relevé que l'AFSSE « qui a pour mission de coordonner l'expertise n'a pas été en mesure d'exercer le rôle de « tête de réseau » qui lui était assigné ». Les inspections expliquent cela par la grande diversité de statuts et de métiers des partenaires désignés de l'agence, aggravé par le fait que la notion de tête de réseau ne repose sur aucune définition. De plus, la modestie du budget comme de l'effectif de l'AFSSE lui donne peu de poids face à nombre de ses partenaires institutionnels . Il est résulté de ces divers éléments que les conventions passées avec les organismes partenaires ont revêtu « une trop grande hétérogénéité sur de nombreux points essentiels ». De plus, ces conventions ne semblent pas avoir fait l'objet d'un véritable suivi.
A la suite de ce constat, les deux inspections ont émis une série de recommandations . Après avoir émis une réserve liminaire d'importance à savoir que les « difficultés constatées lors de sa genèse et de ses premières années, que la mission a soulignées du seul point de vue de l'expertise risquent fort de prendre de l'ampleur ».
Parmi les recommandations des deux inspections il est très vivement recommandé de mettre en place une convention-cadre de coordination entre l'AFSSET et son réseau , de rédiger une charte de déontologie propre à l'agence, de faire de la désignation des experts et de la préfiguration de leurs travaux une étape méthodologiquement définie, de mettre en place une direction scientifique .
* 33 « Évaluation des méthodes de travail scientifique de l'AFSSE », Rapport présenté par Thierry DIEULEVEUX (IGAS) et Jacques ROUSSOT (IGE), janvier 2006, IGAS n° 2005 191, IGE n° 05-064