5. L'exposition
L'exposition est le contact entre un organisme vivant et une situation ou un agent dangereux . |
L'évaluation de l'exposition doit suivre une méthodologie rigoureuse comprenant l' identification des personnes exposées (âge, sexe, caractéristiques physiologiques, sensibilités et pathologies, effectifs, emploi du temps...), l' identification des voies de pénétration des agents toxiques (orale, respiratoire, cutanée, transplacentaire), la caractérisation de l'exposition (intensité, durée, fréquence).
L'évaluation de l'exposition humaine à une substance peut être individuelle ou collective.
La mesure individuelle de l'exposition
Pour mesurer les doses reçues, il est possible de privilégier le point de contact avec la dose externe ou, mieux, de rechercher la quantité de substance ayant traversé les barrières biologiques , c'est-à-dire la dose interne qui est identifiée grâce à un bio marqueur d'exposition dans le sang, les urines, la peau, le cheveu.
A noter que ce bio marqueur est soit la substance chimique elle-même, l'un de ses métabolites 9 ( * ) ou son association avec une molécule cible : ADN, protéines telles que l'albumine, l'hémoglobine...
Toutefois, cette évaluation individuelle de l'exposition humaine connaît plusieurs limites car elle nécessite la participation active des individus et des appareillages spéciaux ce qui génère des problèmes d'éthique et de coût.
Bien plus, certains bio marqueurs peuvent être des métabolites communs à plusieurs substances ou n'être présents que de manière passagère et donc éventuellement absents lors de prélèvements. Les relations dose-réponse étant inconnues pour la plupart des substances , le résultat obtenu sera difficile à exploiter.
Enfin, comment déduire des bio indications la part de l'exposition à telle substance relevant exclusivement de la situation étudiée ?
La mesure collective de l'exposition
Il s'agit cette fois de déduire l'exposition humaine de la teneur en polluants de divers environnements . Souvent, cela est effectué à partir de données relevées en d'autres lieux et transposées au cas examiné, en prenant des précautions méthodologiques, ou bien encore à partir de l'élaboration de modélisations permettant d'utiliser des mesures pour d'autres lieux ou milieux environnementaux ; la modélisation est souvent accompagnée d'une simulation pour estimer les doses moyennes journalières absorbées par l'homme.
Comme la mesure individuelle de l'exposition, la mesure collective a ses limites. Plus facile à réaliser, elle est moins précise ; en effet, les données recueillies ne représentent pas fidèlement la réalité, la pertinence des transpositions peut toujours être critiquée tout comme les présupposés de la modélisation.
L'omniprésence et le nombre des substances et des produits chimiques occasionnent d'innombrables contacts, conscients ou non, avec ceux-ci.
Ce contact peut être professionnel, donc contrôlé ou contrôlable, ou grand public, donc incontrôlable. Or, il peut advenir que l'utilisation la plus large par le public soit la plus dangereuse . Il en est ainsi pour certains solvants de peinture grand public qui génèrent moins de 1% d'émission lors de leur fabrication sous contrôle de l'industriel mais plus de 90% lors de leur application sans aucune protection par un bricoleur .
En milieu professionnel , des niveaux de concentration dans l'atmosphère à ne pas dépasser sont fixés ; il s'agit des valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) indicatives (pour 400 produits chimiques) ou obligatoires (pour les poussières, l'amiante, le benzène, le chlorure de vinyle, le plomb, le quartz...).
Il faut noter que ces valeurs sont des valeurs de gestion et ne sont pas fondées sur la seule protection de la santé. Elles sont de plus prévues pour le milieu de travail et ne peuvent être utilisées pour la population en général. Cela étant, cette distinction apparaît de moins en moins pertinente, notamment pour la protection des femmes enceintes. Il est en effet difficilement compréhensible que, pour un éther de glycol reprotoxique comme l' EGME , la valeur professionnelle ait été pendant longtemps 500 fois plus élevée en milieu professionnel qu'en milieu environnemental.
De 1994 à 2003, la part des travailleurs exposés aux produits chimiques, la multi exposition (à plus de trois produits) et les expositions longues (plus de deux heures par semaine) ont augmenté . Les solvants organiques ou minéraux sont les substances les plus utilisées, et de plus en plus, avec 14,7% des salariés qui y sont exposés ; ils sont suivis par les tensioactifs (principes actifs des détergents) utilisés par 9,5% des salariés. Les effets sur la santé peuvent être causés aussi bien par une dose faible que par une dose élevée, par une exposition unique que par une exposition répétée ; ils peuvent être immédiats ou différés (avec une faible traçabilité entre un polluant et ses effets) , réversibles ou irréversibles. Enfin, doit être soulignée une limite de l'étude sur les impacts des polluants sur la santé humaine : l'exposition à un niveau très faible d'une substance polluante peut imposer des conditions d'observations impossibles à mettre en oeuvre en pratique, même si la population exposée est très importante. De plus, il est artificiel de traiter de l'exposition des personnes sans distinguer parmi celles-ci plusieurs groupes particulièrement sensibles : embryons, foetus, nourrissons, jeunes enfants, femmes enceintes, personnes âgées, asthmatiques, bronchitiques chroniques, cardiaques, immuno déprimés... |
Des études 10 ( * ) ont ainsi mis en évidence que :
- les asthmatiques (environ 12 % de la population fragile française, 6 % des enfants en cours préparatoire, plus de 10 % en classe de 3 ème ) sont dix fois plus sensibles que les sujets normaux ;
- les rhinitiques ont une réponse bronchique aux expositions potentialisée par l'inhalation préalable d'ozone, ce qui n'apparaît pas chez les sujets normaux,
- les personnes atteintes de maladie cardiovasculaire chronique (environ 15 % de la population fragile française) connaissent une sensibilité liée aux fluctuations des niveaux de pollution du fait de l'existence d'un lien entre les particules et l'infarctus du myocarde.
Au-delà de ces catégories bien identifiées, il existe de fortes inégalités entre les individus face aux conséquences de la pollution atmosphérique sur leur santé.
Enfin, en l'état actuel des connaissances, il n'est pas possible d'établir de relation exposition-risque propre à un type de polluant .
Pour estimer la dose liée à une exposition , par exemple, la dose absorbée par un individu ayant peint un plafond , un scenario vraisemblable est élaboré, soit un temps d'exposition de quatre heures dans ce cas précis.
Le risque pour le développement embryo-foetal est pris en compte à partir d'une exposition de courte durée, soit la journée .
L'indice de risque est obtenu en divisant la dose liée à l'exposition par la dose de référence (DRf).
Il apparaît que, dans des utilisations banales de produits de consommation, l'indice de risque pour le développement embryo-foetal atteint des niveaux extrêmement élevés allant jusqu'à 10 000 comme le montre le tableau ci-après :
Quant à l'action à mener contre les niveaux excessifs d'exposition aux polluants, il faut avoir présent à l'esprit que, contrairement à une idée reçue, l'impact le plus efficace en terme d'amélioration de la santé publique sera obtenu en réduisant tout au long de l'année les niveaux moyens de pollution et non en écrêtant les pics de pollution au moyen d'alertes .
Il faut savoir également qu' il est impossible de mettre en évidence un niveau collectif moyen, une sorte de seuil en deçà duquel des effets sanitaires ne seraient plus observables .
En fait, l'impact sanitaire d'une exposition est fonction de l'incidence, appelée aussi prévalence de base des affections en cause et de leur gravité, de l'importance des excès de risque associés à cette exposition et de la prévalence de l'exposition, sachant que, pour l'air, la prévalence ne peut-être que de 100 % , chaque individu respirant sans interruption .
L'exposition des individus constitue un tout
Il résulte des auditions comme des documents consultés que la notion d'exposition ne saurait être artificiellement scindée entre le milieu professionnel et d'autres milieux alors que la seule approche possible consiste à partir de l'individu exposé pour apprécier réellement l'impact sur sa santé des diverses expositions auxquelles il a été soumis au cours d'une journée, d'une année, de sa vie professionnelle ou de sa vie entière.
Même s'il est plus facile de traiter de l'exposition en milieu professionnel car les données y sont plus aisément observables et peuvent être recueillies pour un grand nombre d'individus, l'exposition d'un individu dépasse ce strict cadre.
La scission artificielle entre les expositions résultant de la vie professionnelle et celles dues à la vie privée recoupe en partie celle, tout aussi artificielle, opérée entre l'air extérieur et l'air intérieur. Aucune de ces deux scissions n'est pertinente. |
En réalité, chacun est exposé totalement et involontairement à l'air qu'il respire : il y est exposé éventuellement dans son activité professionnelle, exposé en raison de ses activités de loisir, exposé dans son habitat du fait d'activités quotidiennes (cuisine, ménage, lavage, entretien du mobilier, des rideaux... activités de bricolage, de jardinage, ludiques...), sans oublier l'exposition résultant de l'ameublement, des vêtements ou encore des cosmétiques. S'ajoutent à cela les nombreux habitacles de transport fréquentés : automobile, métro, train, avion et les lieux confinés ou clos liés à ces divers modes de transport (tunnels, parcs de stationnement souterrains, couloirs du métro, gares, aéroports...)
L'énumération ci-dessus montre la difficulté de rassembler, pour un individu, les données retraçant l'ensemble des expositions auquel il est soumis , ce qui illustre immédiatement le caractère lacunaire des données existant à ce jour dans les pays développés et, à plus forte raison, la très large absence de données pour les habitants des pays émergents ou ceux des pays en voie de développement.
A la multiplicité des lieux d'exposition s'ajoute l'effet combiné des diverses expositions et cela a été encore moins analysé car l'étude d'un tel effet est bien plus complexe que celle d'une exposition unique. Pour autant, c'est à la fois le cumul de l'ensemble des expositions et l'impact des produits en mélanges (effets de synergie) qu'il faut prendre en compte car c'est cet ensemble qui altère la santé de l'individu.
A cet égard, il ne faut pas oublier que deux produits dont l'usage attentif est sans danger peuvent devenir nocifs voire très dangereux lorsqu'ils sont, par exemple, respirés en même temps du fait de leur présence fortuite simultanée ou de leur mélange non réfléchi (effets de synergie). L'exemple de l'emploi rapproché successif d'un produit déboucheur pour canalisations basique (soude, potasse...), puis d'un produit acide déclenche une réaction chimique violente ; de même, la désinfection d'une cuvette de toilettes avec de l'eau de Javel préalablement nettoyée à l'aide d'un produit ménager acide (Harpic, par exemple) provoquera un dégagement de chlore (Cl 2 ) ; ces deux situations, très banales, continuent d'entraîner des accidents mortels.
Aucune des personnes entendues ne nie la nécessité de prendre en compte l'ensemble des expositions et chacune reconnaît la nécessité d'approfondir les connaissances encore lacunaires sur ce thème.
Pour le Pr. Bertrand DAUTZENBERG, Président de l'Office français de prévention du tabagisme (OFT - voir son audition), le tabac est lui-même déjà un cocktail de différents produits (environ 3000) et la présence de sa fumée dans l'air aggrave souvent les effets d'autres produits.
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN - voir son audition) a indiqué que tel est aussi le cas pour le radon dont les effets sur la santé (cancer du poumon) sont aggravés par la présence dans l'air de la fumée de tabac.
Quant au Dr. Pierre LEBAILLY, du programme AGRICAN, il a souligné que « parfois des expositions sont trop complexes et trop rares pour que l'épidémiologie puisse jouer un rôle ».
SUGGESTIONS DU RAPPORTEUR
- Air intérieur des habitats réels : mettre au point un protocole d'exposition
- Mélanges de produits ménagers : informer sur leur danger
* 9 Métabolite : produit de transformation d'une substance dans l'organisme.
* 10 Ainsi, en 1997, l'étude de type écologique ERPURS Ile-de-France a montré, pour la période 1991-1995, des liens marqués entre les particules ou le NO 2 et l'asthme se traduisant par des hospitalisations ou des visites à domicile.