2. La marge de sécurité
La détermination de la marge de sécurité
Lorsqu'une substance est identifiée comme dangereuse mais que son usage n'est pas jugé impossible et donc pas totalement interdit pour autant, il est étudié si cet usage est possible moyennant le respect d'une marge de sécurité. Une fois déterminée la quantité de substance non dangereuse, il lui est appliqué un coefficient multiplicateur important pour en autoriser l'usage contrôlé.
Le Comité scientifique des produits de consommation (CSPC) a recommandé de calculer la marge de sécurité à respecter pour une utilisation de produits par l'homme selon des critères propres à l'utilisation de séries de produits . Par exemple, pour les produits cosmétiques , le scénario d'exposition prend en compte l'ensemble de tous les produits cosmétiques utilisés dans une journée ; par exemple, le seuil d'éthers de glycol à ne pas dépasser est alors estimé à partir d'une concentration de 1% dans chaque produit .
Au-delà, l'AFSSAPS a demandé aux industriels de réaliser des études sur les effets de certains éthers de glycol en prenant comme base de calcul de l'exposition une pénétration de 100% des cosmétiques dans la peau .
A l'inverse de l' a priori consistant à penser que les marges de sécurité peuvent être appréciées objectivement et donc fixées de manière extrêmement précise, celles-ci, comme il a été mentionné ci-dessus, consistent au contraire à croire ou à espérer qu'une marge prenant en compte plusieurs facteurs de prudence peut suffire à prémunir d'un danger certain. Cela signifie que le risque n'est pas écarté à coup sûr mais seulement de manière supposée en se fiant à la marge retenue pour ne laisser que peu de chance au danger de la substance de se concrétiser en risque pour la santé.
A partir de là, l'appréciation de l'étendue des marges de sécurité dépendra de la perception réelle ou supposée du risque par l'évaluateur fixant la marge ce qui dépendra beaucoup des accidents ou maladies déjà causés par la substance ou le produit et aussi de l'écho de l'inquiétude, fondée ou irrationnelle, du public face à telle substance ou à tel produit.
La comparaison des marges de sécurité retenues d'un pays à l'autre illustre ce fait. Ainsi, il advient que la marge de sécurité retenue aux États-Unis d'Amérique soit dix fois supérieure à celle retenue en France .
Pour relativiser encore la détermination des marges retenues par un pays ou un autre, il faut savoir que certains pays destinent à l'exportation des produits moins sévèrement contrôlés que ceux destinés au marché local mais de même apparence - ce qui risque d'ailleurs de se retourner aussi contre eux car ils ne sont peut-être pas à l'abri d'une réimportation ultérieure de tels produits.
Les facteurs de sécurité sont établis au minimum à 100 (10 pour extrapoler de l'animal à l'homme et 10 pour tenir compte de la sensibilité au sein de l'espèce humaine).
Les organismes divergent pour ce qui est des facteurs supplémentaires. Par exemple, l'OMS comme l'État de Californie préconisent un facteur supplémentaire de 10 pour une substance tératogène mais cette règle n'est pas reprise par tous.
La pertinence de la marge de sécurité retenue dépend aussi de la qualité des organismes d'évaluation et résulte également de la durée d'usage d'une substance ou d'un produit : le risque est alors de ne décider qu'après la contamination de la population et d'encourager des substitutions successives, quasi commerciales, de produits dont l'absence de toxicité ne résulte que de l'inexistence ou de l'insuffisance des études toxicologiques les concernant.
SUGGESTION DU RAPPORTEUR
- Marge de sécurité à appliquer en France : d resser un relevé substance par substance et produit par produit des marges de sécurité applicables selon les pays d'Europe et aux Etats-Unis d'Amérique et retenir pour la France les marges de sécurité les plus larges
L'extrapolation des doses et des marges de sécurité de l'animal à l'homme
L'expérimentation animale fait l'objet d'un débat, en raison de l'incertitude qui, par principe, plane sur l'extrapolation des fortes doses aux faibles doses et en raison de physiologies différentes d'une espèce à l'autre. L'expérience prouve que les principaux cancérogènes mis en évidence chez l'animal le sont aussi chez l'homme. Il apparaît cependant nécessaire de revoir les protocoles expérimentaux pour que l'intoxication des animaux observés commence dès le stade foetal et pas seulement à l'âge adulte modifiant ainsi la manière classique de procéder découlant des conceptions dominantes dans les années 1960 selon lesquelles les causes environnementales du cancer étaient présentes quasi exclusivement en milieu de travail. Cette méthodologie explique vraisemblablement que les cancers hormonodépendants (sein, prostate, testicule) soient mal mis en évidence par l'expérimentation animale, leur genèse étant de façon de plus en plus vraisemblablement liée à un événement survenu au stade foetal.
Les techniques nouvelles de toxico génomique (puces à ADN) sont parfois présentées comme pouvant se substituer à l'expérimentation animale. Outre le fait que ces techniques sont récentes et que des données manquent, il ne semble pas possible en l'état actuel des connaissances d'envisager un basculement total en remplaçant l'expérimentation animale par celles-ci. Les études sont à développer.
En ce qui concerne les études relatives aux impacts sur la reproduction , le cas des éthers de glycol apporte au contraire la preuve de la pertinence de l'expérimentation animale pour anticiper les risques chez l'homme. Cela est démontré par la cohérence des résultats obtenus sur toutes les espèces testées (malformation atrophie testiculaire), les différences d'intensité de l'impact s'expliquant par des différences de toxicocinétique entre espèces animales. Les espèces éliminant le plus rapidement les éthers de glycol sont celles qui sont les moins sensibles. L'homme, espèce la plus sensible, les élimine le plus lentement , ce qui justifie les coefficients de sécurité classiquement utilisés.
Enfin, il faut garder à l'esprit que, comme l'ont souligné le Pr. Claude BOUDÈNE, ancien Président de l'Académie nationale de médecine et le Pr. Jean-Pierre GOULLÉ, membre de l'Académie nationale de médecine (voir son audition), tous deux professeurs de toxicologie, si ces études in vitro facilitent la compréhension des mécanismes de toxicité, elles ne permettent pas, à elles seules, de conclure sur la nocivité ou l'innocuité d'une substance pour la santé humaine .
A cet égard, votre rapporteur observe que, si l'homme est différent de l'animal, un organisme entier est encore plus différent d'une cellule isolée et estime que, même quand les modèles ne sont pas utilisables, une alerte, comme celle lancée par ce chercheur de Roscoff ayant observé des désordres dans la division cellulaire des oursins en présence de glyphosate, mérite davantage l'approfondissement et la mise au point de protocoles améliorés que la suppression de ses crédits de recherche.