LE POLICY-MIX FRANCO-ALLEMAND
4.1. POLITIQUES BUDGÉTAIRES, 1990-2006
L'Allemagne a connu, au début des années 1990, une dégradation de ses finances publiques, en lien avec la réunification allemande. De 1990 à 1993, toutefois, le déficit budgétaire s'est davantage creusé en France qu'en Allemagne : 4 points de PIB, contre seulement un point en Allemagne. La France a donc dû réaliser un ajustement particulièrement brutal pour ramener son déficit budgétaire de près de 6% du PIB en 1995 à 3% en 1997. Après l'examen de passage à l'euro de 1997, l'Allemagne et la France ont continué à réduire leurs déficits budgétaires jusqu'en 2000. En Allemagne, l'amélioration a été particulièrement marquée puisque le solde est devenu positif en 2000, pour la première fois depuis 1973 ( graphique 3 ).
Ces évolutions des finances publiques dans les deux pays ont été marquées par les inflexions de la croissance, et en particulier par la croissance négative de 1993 et le pic de croissance de 2000. Depuis 1992, les deux pays ont connu des cycles d'activité similaires, la France ayant bénéficié d'une croissance plus élevée de 0,8 point de pourcentage en moyenne par rapport à l'Allemagne à partir de 1996 ( graphique 4 ). Si l'on corrige les soldes budgétaires du cycle d'activité ( graphique 5 ), on se rend compte que les deux pays ont suivi la même politique de redressement du solde structurel de 1996 à 1999. Le relâchement de la politique budgétaire a commencé en 2000 dans les deux pays mais il s'est accentué davantage en Allemagne qu'en France en 2001. La France a « rattrapé » le solde structurel allemand en 2002 et a continué de creuser le déficit structurel en 2003, alors que l'Allemagne commençait à redresser son solde. De 2004 à 2006, les deux pays ont poursuivi parallèlement leurs efforts d'assainissement budgétaire.
Une mesure synthétique des divergences de politique budgétaire entre les deux pays peut alors être donnée par la variation, d'une année sur l'autre, de la différence entre le solde structurel allemand et le solde structurel français. Lorsque cette mesure de divergence est positive, c'est que la politique budgétaire a été relativement plus restrictive (ou moins expansive) en Allemagne qu'en France. Lorsque l'indicateur est négatif, c'est que la France est devenue relativement plus restrictive. Lorsque l'indicateur est nul, c'est que les deux soldes structurels ont évolué dans le même sens.
Le graphique 6 met en évidence deux périodes de convergence entre les deux pays : 1997-2000, et 2004-2006. Dans les deux cas, il s'agit de périodes de consolidation budgétaire. L'Allemagne s'est distinguée par une politique plus restrictive que la France en 1992-1993 et en 2002-2003. La France s'est distinguée de la même manière en 1995-1996 et en 2001. Ces différents épisodes peuvent être précisés en distinguant l'évolution des recettes et des dépenses ( graphiques 7 et 8 ). En 1992-1993, la France a procédé isolément à une relance budgétaire par les dépenses, alors qu'en Allemagne, recettes et dépenses évoluaient de conserve. En 1995-1996, c'est en Allemagne que le solde s'est dégradé (par hausse des dépenses et baisse des recettes), alors que la France stabilisait ses dépenses et relevait ses recettes. En 2000, l'Allemagne a fortement réduit son ratio des dépenses publiques au PIB, mais sans toutefois que cela ne traduise une véritable inflexion structurelle. A partir de 2001, les prélèvements obligatoires ont continûment diminué en Allemagne alors qu'ils restaient stables en pourcentage du PIB en France. En Allemagne, la baisse des recettes n'a pas été compensée par une baisse des dépenses avant 2004. La politique budgétaire a donc été expansive sur la période 2001-2003. Elle a ensuite été restrictive grâce à une baisse des dépenses plus rapide que la baisse des recettes. En France, la baisse limitée des prélèvements obligatoires s'est accompagnée d'une hausse des dépenses de 2001 à 2003, d'où une politique expansive sur cette période. Mais l'expansion budgétaire a été moins marquée qu'en Allemagne en 2001, davantage en 2002-2003. La France a donc réagi avec un an de retard au ralentissement de l'activité entamé en 2001. Elle a aussi agi de manière différente, en utilisant les dépenses publiques alors que l'Allemagne réduisait fortement les impôts.
Les graphiques 9a,b et 10a,b précisent les divergences de politique budgétaire entre les deux pays depuis 1990. En Allemagne, les cotisations sociales ont fortement augmenté de 1990 à 1997. Elles ont ensuite diminué. La baisse des prélèvements obligatoires s'est accentuée à partir de 2001 avec la baisse de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et des sociétés (voir l' encadré 1 sur la réforme fiscale de 1998) 32 ( * ) . En France, les critères de Maastricht ont été atteints en 1997 grâce à une hausse de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, alors que les cotisations sociales étaient sur une pente déclinante. En 1998, un transfert de charge s'est opéré entre cotisations sociales et CSG. Presque tous les prélèvements ont ensuite augmenté progressivement, malgré la baisse du taux de TVA intervenue en 2000.
Du côté des dépenses, on ne distingue pas d'effort notable au moment de l'examen de passage à l'euro (1997). Les prestations sociales ont augmenté très rapidement en Allemagne jusqu'en 1996, pour se stabiliser ensuite. En France, les prestations sociales sont demeurées contenues jusqu'en 2001, puis elles ont augmenté rapidement, de même que les consommations hors salaires.
Les dépenses de salaires ont connu des évolutions contraires dans les deux pays : baisse tendancielle en Allemagne, hausse tendancielle en France. L'investissement public a diminué tendanciellement en Allemagne (de 2,5% du PIB en 1990 à 1,3% en 2006) alors qu'il est resté stable en France (autour de 2,5% du PIB). Enfin, les paiements d'intérêt sur la dette ont évolué de la même manière dans les deux pays : hausse de 1990 à 1996, baisse ensuite ( graphique 11 ).
Encadré 1 : la réforme fiscale allemande de 1998 Impôts sur le revenu des ménages
Le taux inférieur réduit de 25,9% en 1998 à
15% en 2005.
Impôts sur les sociétés Réduction du taux nominal (hors Gewerbesteuer ) de 40% à 25%. Elargissement de l'assiette. Taxes écologiques
Nouvelles taxes sur la consommation énergétique
pour financer une réduction des cotisations pour la retraite.
Source: OECD Economic Survey, Germany May 2001. |
Ainsi, la similarité des politiques budgétaires suivies en Allemagne et en France depuis 2004, en termes d'évolution des soldes structurels, cache en fait des stratégies très différentes :
• baisse des dépenses plus rapide que celle des recettes en Allemagne ; stabilisation des dépenses en France ;
• baisse de la fiscalité directe plus marquée en Allemagne qu'en France ;
• hausse de la TVA en Allemagne au 1 er janvier 2007 ; projet de baisse de la TVA sur la restauration en France.
Le poids du secteur public dans l'économie tend donc à diminuer en Allemagne où il est déjà plus faible, alors qu'il reste stable en France. Cependant, l'évolution des taux de TVA et d'impôt sur le revenu correspondent à une convergence des deux pays, puisque l'Allemagne partait d'une situation où les taux de TVA étaient plus faibles qu'en France mais l'impôt sur les sociétés plus élevé ( graphiques 12a,b ).
Encadré 2 : Principaux éléments de la réforme fiscale française de 2000 Réduction dégressive des taux marginaux d'imposition sur le revenu des ménages
Taux inférieur abaissé de 10,5 à 7%.
Réduction du taux d'impôt sur les sociétés Réduction progressive du taux nominal de 36,67 en 2001 à 33,33% en 2003, 15% pour les PME. Baisse de la TVA Le taux normal de la TVA est réduit d'un point de pourcentage de 20,6 à 19,6%. Les travaux dans les logements sont imposés au taux inférieur de 5,5% au lieu de 20,6%. Source : OCDE Etude économique : France 2001 . |
La question qui se pose alors est celle de l'impact macroéconomique de la politique fiscale menée en Allemagne (baisse de la fiscalité directe, hausse de la fiscalité indirecte) et de la baisse des dépenses (salaires, investissement) menée dans ce pays.
* 32 La hausse des recettes au titre des impôts directs payés par les entreprises s'explique en partie par l'augmentation de la part des entreprises dites « incorporées » dans ce pays.