B. DES IMPULSIONS BUDGÉTAIRES DIVERGENTES

Face à ces oscillations économiques analogues, les politiques budgétaires ont enregistré des évolutions qui, quoique proches en apparence (graphique n° 2), ont été contrastées .

1. Des évolutions contrastées des soldes budgétaires nominaux

Les déficits publics nominaux ont été quasi-continus dans les deux pays avec des évolutions souvent divergentes.


•  Les deux pays connaissent au cours de la période des déficits publics nominaux constants excepté l'Allemagne en 2000 puisque, pour la première fois depuis 1973, un solde positif a été constaté dans ce pays.


• Mais la France a enregistré des évolutions du solde nominal des administrations publiques plus amples en début de période , avec une très forte dégradation après 1991 suivie, à partir de 1995, d'une nette amélioration . Dans ces périodes, le solde budgétaire est resté presque inchangé en Allemagne, autour d'un déficit public de l'ordre de -2,5 à
-3 points de PIB.

Inversement , le creusement du déficit public nominal en Allemagne après le pic de 2000 a été nettement plus accusé qu'en France . Notre pays a suivi l'Allemagne en 2002 et l'a rattrapée. Puis, les deux pays ont connu des déficits publics évoluant grosso modo dans le même sens, selon une ampleur analogue.


Sauf en 2001, 2002 et 2005, le solde nominal des administrations publiques a été constamment inférieur en France à ce qu'il a été en Allemagne

2. Des politiques budgétaires discrétionnaires différentes

Ces évolutions sont-elles le signe de politiques budgétaires discrétionnaires différentes ou ne traduisent-elles que l'impact de la conjoncture sur les comptes des administrations publiques ?

Le sens, et l'ampleur, de la politique budgétaire d'un pays ne peuvent être appréciés à partir du seul « solde budgétaire global » 9 ( * ) . Ce solde budgétaire peut être décomposé en deux composantes distinctes : une composante conjoncturelle et une composante structurelle qui, elle-même, peut être appréhendée selon deux méthodes différentes.

SOLDE STRUCTUREL ET EFFORT STRUCTUREL

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I - Détermination du solde structurel

Le solde des administrations publiques est affecté par la position de l'économie dans le cycle. On observe ainsi un déficit de recettes et un surplus de dépenses (notamment celles qui sont liées à l'indemnisation du chômage), qu'on peut juger transitoire, lorsque le PIB est inférieur à son niveau potentiel et, à l'inverse, un surplus de recettes et une diminution des dépenses, qu'on peut aussi qualifier de transitoire, lorsqu'il est supérieur.

L'indicateur usuel de solde structurel vise à corriger le solde public effectif de ces fluctuations liées au cycle. La méthode d'évaluation du solde structurel consiste à calculer, en premier lieu, la partie conjoncturelle du solde public, c'est-à-dire celle qui s'explique par les écarts entre la conjoncture observée et les tendances « normales » de la croissance, selon une méthodologie largement commune aux organisations internationales. En pratique, ce calcul repose notamment sur l'hypothèse que les recettes conjoncturelles évoluent au même rythme que le PIB, et que les dépenses - à l'exception notable des allocations chômage - ne sont pas sensibles à la conjoncture. Le solde structurel est ensuite calculé comme un « résidu », par différence entre le solde effectif et sa partie conjoncturelle. Cet indicateur constitue une référence internationale pour l'appréciation de l'orientation des politiques budgétaires.

Une fois les effets de la conjoncture éliminés, on retrouve dans les évolutions du solde structurel :


• l' effet des variations de la dépense publique , mesuré par l'écart entre la progression de la dépense et la croissance potentielle : lorsque la dépense publique croît moins vite que la croissance potentielle, cela correspond bien, si les prélèvements obligatoires ne sont pas diminués d'autant, à une amélioration structurelle des comptes publics ; à l'inverse, si l'augmentation des dépenses publiques est plus rapide que la croissance potentielle, il y a toutes choses égales par ailleurs du côté des prélèvements obligatoires, une dégradation de la situation structurelle des comptes publics ;


• les mesures nouvelles concernant les prélèvements obligatoires , pour lesquelles les mêmes appréciations peuvent être portées mutatis mutandis .

II - L'effort structurel

Cependant, à côté de ces facteurs effectivement représentatifs de l'orientation de la politique budgétaire , le solde structurel tel qu'il est défini pour les organisations internationales, en recouvre d'autres, sans doute moins pertinents :


Le solde structurel est affecté par des « effets d'élasticité » des recettes publiques . L' hypothèse , en pratique, d' élasticité unitaire des recettes au PIB 10 ( * ) , retenue dans le calcul du solde conjoncturel, n'est en effet valable qu'à moyen-long terme.


A court terme en revanche, on observe des fluctuations importantes de cette élasticité. Pour l'Etat par exemple, l'amplitude de l'élasticité apparente des recettes fiscales est forte, du fait notamment de la variabilité de l'impôt sur les sociétés : l'élasticité des recettes fiscales nettes peut ainsi varier entre zéro et deux.

Retenir l'hypothèse d'une élasticité unitaire, comme le font les organisations internationales, revient donc à répercuter entièrement en variations du solde structurel les fluctuations de l'élasticité des recettes , alors même que ces fluctuations s'expliquent largement par la position dans le cycle économique. L'interprétation des variations du solde structurel s'en trouve donc sensiblement brouillée.


• D'autres facteurs peuvent également intervenir comme les variations des recettes hors prélèvements obligatoires (les recettes non fiscales de l'Etat, par exemple). Par construction, ces évolutions n'étant pas tenues pour conjoncturelles viennent affecter le solde structurel, ce qui n'est pas toujours fidèle à l'esprit qui préside à la distinction entre situations conjoncturelle et structurelle des comptes publics.

Afin de s'en tenir aux facteurs dont la nature structurelle est le mieux établie, on peut donc retirer du solde structurel les effets d'élasticité et, par souci de simplicité, la variation des recettes hors prélèvements obligatoires .

L' indicateur qui en résulte, que l'on peut qualifier d'« effort structurel » ou de « variation discrétionnaire du solde structurel » retrace les seuls effets combinés des variations des dépenses publiques et des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires décidées par les pouvoirs publics.

L'écart entre l'indicateur de variation du solde structurel et celui de l'effort structurel peut être important.

Source : d'après le Rapport économique, social, et financier, annexé au projet de loi de finances pour 2004.

Un niveau - ou une variation - donné du solde budgétaire peut correspondre à des politiques discrétionnaires différentes et, même, opposées que seule la considération du solde budgétaire structurel peut révéler.

En bref, l'orientation discrétionnaire de la politique budgétaire peut se révéler très différente de ce que la variation du solde public nominal donne à voir . Ainsi, l'Allemagne a, l'année de son seul excédent budgétaire, conduit une politique budgétaire expansive et non restrictive.

Le graphique n° 3 montre que, après une courte période où la France a suivi une politique budgétaire volontairement expansive , tandis que l'Allemagne réduisait son déficit structurel , les deux pays ont conduit une politique analogue de redressement du solde structurel de 1996 à 1999 .

Au-delà , le relâchement de la politique budgétaire a commencé en 2000 dans les deux pays , mais il s'est accentué davantage en Allemagne qu'en France en 2001.

La France a « rattrapé » le déficit structurel allemand en 2002 et a continué de le creuser en 2003, alors que l'Allemagne commençait à redresser le sien.

De 2004 à 2006, les deux pays ont poursuivi parallèlement une politique de réduction du déficit structurel qui a été plus ample en Allemagne qu'en France.

*

* *

Au total, les politiques budgétaires de la France et de l'Allemagne ont connu, au cours de la période, une alternance de phases de congruence et de divergence .

La mesure synthétique des divergences de politique budgétaire entre les deux pays réalisée à partir de la différence entre le solde structurel allemand et le solde structurel français 11 ( * ) ( graphique n° 4 ) met en évidence les périodes de divergence et les périodes de convergence des orientations des deux pays.

Du graphique 4 , il ressort deux périodes de convergence globale entre les deux pays : 1997-2000 et 2004-2006. Dans les deux cas, il s'agit de périodes de consolidation budgétaire .

En revanche, l'Allemagne s'est distinguée par une politique plus restrictive que la France en 1992-1993 et en 2002-2003 . La France s'est distinguée de la même manière en 1995-1996 et en 2001 .

* 9 L'expression « solde budgétaire » est une commodité. Elle désigne ici, non pas le seul solde du budget de l'Etat, mais la capacité (ou le besoin) de financement de l'ensemble des administrations publiques : l'Etat mais aussi les collectivités locales, les administrations de sécurité sociale et les divers organismes relevant du secteur des administrations publiques.

* 10 Cela signifie qu'une hausse nominale de 1 % de l'activité se traduit par une hausse de 1 % des recettes publiques.

* 11 Lorsque cette différence est positive, c'est que la politique budgétaire a été relativement plus restrictive (ou moins expansive) en Allemagne qu'en France. Lorsque l'indicateur est négatif, c'est que la France est devenue relativement plus restrictive. Lorsque l'indicateur est nul, c'est que les deux soldes structurels ont évolué dans le même sens.

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