V. LA POURSUITE DU DIALOGUE
L'exemple le plus caractéristique de poursuite du dialogue est fourni par la proposition de directive sur la gestion de la sécurité des infrastructures routières (COM (2006) 569 final) .
I. Au cours de son premier examen de ce texte, en novembre 2006, la délégation a critiqué les éléments d'appréciation fournis par la Commission au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité :
« L'objectif poursuivi d'améliorer la sécurité routière est certes louable, mais l'affirmation de la Commission selon laquelle une réglementation communautaire sera plus efficace que l'échange des bonnes pratiques, qui se fait depuis plusieurs années, relève de la pétition de principe. En effet, la Commission considère que `sans une méthodologie contraignante et un engagement juridique dans toute l'Union européenne, les États membres seuls ne sont pas en mesure de garantir ce niveau commun de sécurité' ».
En conséquence, la délégation a adopté les observations suivantes :
« La délégation pour l'Union européenne du Sénat, demande à la Commission européenne de préciser pour quelle raison l'échange des bonnes pratiques entre États membres ne serait pas une solution suffisante pour améliorer la gestion de la sécurité des infrastructures routières. »
II. La Commission a répondu en janvier 2007. L'essentiel de son argumentation était le suivant :
« Sans une méthodologie obligatoire et un engagement de valeur juridique au sein de l'Union européenne, les États membres ne sont pas en mesure de garantir seuls ce niveau élevé de sécurité, comme le montrent les performances très hétérogènes des États membres pris séparément.
L'échange de bonnes pratiques dans le secteur de la gestion de la sécurité des infrastructures routières a lieu depuis maintenant plusieurs années dans l'Union européenne et sur la scène internationale, au travers de groupe de travail, de conférences et d'ateliers, sans qu'on ait pu enregistrer d'amélioration générale des performances en matière de sécurité des infrastructures routières. Une forte demande se manifeste d'ailleurs en faveur d'une initiative au niveau européen, comme le dévoilent les commentaires reçus en réponse à la consultation publique sur la gestion de la sécurité des infrastructures routières. De plus, les États membres souhaitant améliorer leur niveau de sécurité routière sont souvent demandeurs d'une mesure règlementaire. Cela indique clairement que selon eux, l'échange de bonnes pratiques est insuffisant pour leur permettre de le faire. »
III. La délégation a examiné la réponse de la Commission en mars 2007 et a adopté de nouvelles observations :
« Nous avions demandé à la Commission européenne ` de préciser pour quelle raison l'échange des bonnes pratiques entre États membres ne serait pas une solution suffisante pour améliorer la gestion de la sécurité des infrastructures routières' .
L'argumentation utilisée par la Commission dans sa réponse n'est guère convaincante. À sa lecture, on a un peu le sentiment que l'on utilise des arguments stéréotypés qui ne résultent pas d'une analyse méthodologique serrée et sérieuse. C'est ainsi que la Commission évoque l'hétérogénéité des performances des États membres pris séparément . C'est certainement vrai, mais on ne voit pas en quoi cela est de nature à justifier l'intervention de l'Union. On pourrait utiliser cet argument pour quasiment l'ensemble des secteurs. On pourrait dire qu'il y a une hétérogénéité en matière scolaire entre les États membres, et en conclure qu'il faut une action de la Commission pour introduire une base commune en matière de programme scolaire. On pourrait constater que l'enseignement des langues donne des résultats très différents dans les différents pays et l'on pourrait en conclure qu'il faut une base commune d'exigence procédurale ! L'argument n'est guère sérieux.
Par ailleurs, la Commission mentionne qu'il se manifeste ` une forte demande en faveur d'une initiative au niveau européen' . Là encore, ce n'est pas parce qu' il existe une demande de la part des professionnels qu'il y a une nécessité d'intervention de l'Union européenne. Le principe de subsidiarité est précisément utile pour éviter que l'on ne réponde à des demandes inconsidérées de réglementation communautaire.
En conséquence, nous souhaiterions que la Commission nous communique de nouveaux éléments de nature à faire apparaître de manière plus claire que les principes de subsidiarité et de proportionnalité sont pleinement respectés. »
IV. En juillet 2007, la Commission a adressé une réponse à ces nouvelles observations. L'essentiel de celle-ci consistait à rappeler les arguments déjà énoncés. Toutefois, une remarque spécifique a attiré l'attention de la délégation :
« Les normes de sécurité de la route diffèrent notablement sur le réseau routier européen aujourd'hui. Souvent construit avec des Fonds structurels et de cohésion de l'Union européenne, il y a une responsabilité à s'assurer que les États membres appliquent une méthodologie cohérente. »
V. En novembre 2007, la délégation a examiné cette deuxième réponse de la Commission :
« Dans sa seconde réponse, reçue en juillet 2007, la Commission opère un changement sensible dans son argumentation. Elle revient sur l'opportunité et la cohérence de la réglementation proposée : selon elle, dès lors que des avancées communautaires ont été constatées dans la sécurité des véhicules , elles doivent être proposées également dans la sécurité des infrastructures . Cela s'apparente à l'évidence à une pétition de principe. Si personne ne met en doute le fait que la Communauté puisse agir mieux que chaque État membre pour assurer la sécurité des véhicules, on voit mal en quoi il en découlerait obligatoirement que les États membres ne peuvent eux-mêmes réaliser l'objectif de sécurité des infrastructures. Les véhicules sont à l'évidence transfrontaliers tandis que les infrastructures sont par définition peu mobiles !
Par ailleurs, la Commission relève que la demande est supportée non par les seuls industriels, mais par les organisations professionnelles dont elle établit la liste. Enfin, elle considère que la compétence de la Communauté est justifiée par le fait que le renforcement de la sécurité des réseaux contribue à l'objectif de cohésion économique et sociale prévu par le traité et que les infrastructures routières sont souvent financées par les fonds structurels ou par le fonds de cohésion.
Ainsi, si l'on suit l'argumentaire de la Commission, la compétence communautaire sur la sécurité des infrastructures est justifiée par le financement antérieur de ces infrastructures . Cette position paraît très contestable et ouvre la voie à de nombreux abus car l'Union européenne finance un très grand nombre d'actions dans des secteurs qui ne sont pas pour autant intégralement couverts par une compétence communautaire. C'est notamment le cas en matière de recherche : ce n'est pas parce que l'Union participe au financement de tel ou tel programme de recherche qu'elle peut ou doit réglementer le statut des chercheurs ! Mille et un exemples peuvent être avancés : médiathèques, restauration de bâtiments, recherche sur les moteurs, créations de zones d'activités... sont des projets éligibles aux crédits européens. Suivre une telle logique ouvrirait une boîte de Pandore en laissant l'Union européenne s'immiscer dans des domaines qui sont manifestement hors de sa compétence. Cette dérive est d'autant plus importante que le champ d'intervention des fonds structurels et du fonds de cohésion est large et que les cadres réglementaires sont souvent interprétés de façon extensive pour faciliter l'accès aux fonds régionaux.
Cette logique défendue par la Commission rappelle un ancien contentieux communautaire connu sous le nom des ` actions sans base légale' : le Parlement européen, fort de son pouvoir d'initiative budgétaire, lançait des financements avant même d'avoir la compétence sur le fond. La Commission semble ici s'inspirer d'une logique du même type.
Certes, le texte considéré est d'importance mineure et il peut être tentant de renoncer à poursuivre le dialogue avec la Commission. Mais l'argumentation de la Commission pose un problème de principe. »
Et la délégation a adopté de nouvelles observations :
« La délégation pour l'Union européenne du Sénat observe que la Commission européenne n'a toujours pas établi la nécessité d'une directive dans ce domaine et qu'elle n'a toujours pas démontré que l'amélioration de la sécurité des infrastructures routières fait partie des objectifs qui ` ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire'. Elle souligne que le fait que les infrastructures routières puissent faire l'objet de cofinancements par les fonds structurels ou le fonds de cohésion ne donne aucune compétence particulière à l'Union pour prendre un acte législatif dans ce domaine, et ne saurait lui servir de motif pour écarter le principe de subsidiarité. »