CHAPITRE II - UN POUVOIR D'ACHAT AU SOUTIEN DE LA CROISSANCE ?

Certaines hausses de prix concernant l'énergie et l'alimentation, abondamment commentées, renforcent l'acuité d'une réflexion sur le pouvoir d'achat. Toutefois, les risques d'un regain de vigueur de l'inflation paraissent surestimés. En effet : d'une part, la vigueur de l'euro atténue l'effet de la hausse des matières premières ; d'autre part, le lien entre l'indice des prix des matières premières et l'indice des prix alimentaires est assez distendu en France. Au total, d'après l'OFCE, après avoir atteint 2 % en 2007, le taux d'inflation reviendrait à 1,6 % à la fin de 2008, avec la disparition des effets de base liés à l'énergie. Pour la période 2009-2012, les simulations de votre Délégation font ressortir un taux annuel d'inflation constant de 1,9 % dans les deux scénarios, qui respecterait la cible de la Banque centrale européenne (2 %).

En somme, sous réserve de nuances microéconomiques importantes 11 ( * ) , le pouvoir d'achat ne semble pas véritablement menacé par l'inflation. En revanche, les projections laissent entrevoir un dynamisme, qui serait de nature à peser sur la croissance, à moins que les ménages n'acceptent de s'endetter davantage .

I. UNE MODÉRATION SALARIALE INEXORABLE ?

Les scénarios de la Délégation sont bâtis sur une hypothèse de modération salariale qui combine ses effets sur le revenu disponible des ménages à ceux de la réduction du déficit public. Le pouvoir d'achat global des ménages augmente , mais pas assez pour que le pouvoir d'achat par ménage soit suffisamment dynamique pour nourrir la demande des ménages au niveau nécessaire à la cohérence de la prévision de croissance.

Ce constat invite à explorer des voies qui permettraient des évolutions plus favorables. En particulier, il incline à une autre orientation des politiques économiques en Europe.

A. UN POUVOIR D'ACHAT FREINÉ PAR LA MODÉRATION SALARIALE

Les gains individuels de pouvoir d'achat peuvent se déduire de l'accroissement des salaires d'activité , de la progression de l' emploi ainsi que de l'évolution des transferts publics associés aux scénarios qui sont explorés :


• Dans le scénario central proposé par votre Délégation, les gains de productivité par tête s'élèvent uniformément à 1,7 % l'an , soit une performance conforme à la tendance de long terme. Dans le scénario « haut », les gains de productivité sont majorés de 0,5 point, en cohérence avec le différentiel de croissance du PIB du scénario « haut », fixé à 3 % eu lieu de 2,5 %. Par ailleurs, le partage de la valeur ajoutée demeurerait inchangé. Dans le scénario central, il en résulte une progression contenue des revenus individuels du travail : la masse des salaires réels progresserait de 2 % en moyenne annuelle sur la période 2007-2012.


Dans les deux scénarios, les dynamiques observées sur le marché du travail ne sont pas perturbées et le chômage peut se réduire selon une pente similaire. On observera que :

- dans l'hypothèse d'une hausse des gains de productivité plus rapide que celle des salaires, la croissance serait moins riche en emplois et le niveau du chômage baisserait moins vite ;

- dans l'hypothèse d'une déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires, il conviendrait de s'interroger sur l'impact du renchérissement du coût du travail et de la baisse de la profitabilité des entreprises sur le rythme des créations d'emplois et de l'activité économique.

Dans chacune des deux projections , des créations nettes d'emplois du même ordre de grandeur interviennent sur la période 2007-2012 -185.000 en moyenne dans le scénario bas, 187.000 en moyenne dans le scénario haut- , quoique selon un rythme légèrement différent.


• Enfin, l'impulsion négative des administrations publiques ( cf. chapitre VII ) se manifeste par un fort ralentissement des dépenses publiques et notamment des prestations sociales , qui, après avoir progressé en moyenne annuelle de 2,5 % sur la période 1997-2007, ne progresseraient plus que de 1,2 % en moyenne annuelle sur la période 2007-2012, cela aussi bien dans le scénario central que dans le scénario « haut ».

*

Pour que la croissance économique atteigne le rythme supposé, il faut que l'impulsion économique négative donnée par la politique budgétaire soit compensée par une accélération de la demande privée qui suppose, pour les ménages, une diminution de l'épargne : sur la période 2007-2012, alors que le revenu disponible brut augmente en moyenne de 2,1 % par an, la consommation progresse cependant au rythme de 2,9 %. Le taux d'épargne doit alors diminuer beaucoup : de 15,7 % en 2007 à 12,7 % en 2012. Le tableau suivant donne le détail de ces évolutions (scénario central) :

REVENU, CONSOMMATION ET ÉPARGNE DES MÉNAGES

Croissance en volume, en %

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

87-97

97-07

07-12

Revenu disponible brut

2,9

3,0

2,0

2,5

2,2

2,0

2,0

1,8

2,8

2,1

Salaire réel

2,4

2,9

1,9

1,7

1,9

1,9

2,3

1,7

2,9

2,0

Prestations sociales

2,2

2,5

1,3

1,0

1,2

1,4

1,2

2,5

2,5

1,2

Consommation des ménages

2,8

2,6

2,8

2,9

3,0

2,9

2,7

1,3

2,8

2,9

Taux d'épargne des ménages

15,4

15,7

15,1

14,7

14,0

13,3

12,7

14,2

15,7

14,2

Sources : INSEE, prévisions OFCE

*

Les perspectives de modération salariale qui viennent d'être retracées suscitent trois séries d'observations :


• Dans la projection du scénario central, la faible dynamique des salaires d'activité dans le secteur marchand -2 % d'augmentation moyenne sur la période 2007-2012- se traduit par de faibles gains du pouvoir d'achat sur la période (progression annuelle moyenne du revenu disponible brut de 2,1 %). Les salaires sont pourtant tirés par une croissance économique qui, elle-même, est supérieure à la croissance potentielle estimée pour le futur proche.

Ajustés sur l'évolution les gains de productivité par tête, l es gains de pouvoir d'achat par tête des salariés ne devraient pas dépasser 1,7 % par an ( cf. tableau 10 du rapport annexé de l'OFCE ). Compte tenu de l'augmentation tendancielle du nombre des ménages, le gain de pouvoir d'achat par ménage serait même inférieur, de l'ordre de 1,2 % .


Les perspectives décrites pourraient être qualifiées de vertueuses, pour être conformes à une exigence de modération salariale souvent énoncée : elles permettent de contenir les coûts salariaux unitaires, facteur important de la compétitivité extérieure, et respectent les conditions de l'arbitrage capital-travail qui lui sont considérées comme favorables ainsi que nécessaires à l'élévation du niveau de l'investissement pour répondre à l'objectif d'une accélération du rythme de la croissance potentielle.

Il existe à cet égard une incertitude pour ceux qui estiment que le taux de chômage non accélérateur d'inflation (le NAIRU), c'est-à-dire le taux de chômage en deçà duquel les salaires -et les prix- augmentent, se situerait encore, en France, à un niveau élevé, de l'ordre de 8 %. Cette hypothèse est écartée de nos projections : le taux de chômage y reflue nettement, sans tensions inflationnistes. Les évolutions récentes du marché du travail et du chômage en France -le NAIRU était encore récemment évalué à 9 %-, ainsi que l'absence d'enclenchement d'une spirale prix-salaires dans de nombreux pays où le chômage est très inférieur, peuvent ou bien susciter le doute quant à la validité théorique du NAIRU, ou bien montrer qu'à la faveur d'évolutions structurelles, le NAIRU est susceptible de refluer rapidement.


• La modération salariale que décrit la projection du modèle central est une modération salariale globale, qui ne préjuge pas des modalités de répartition des salaires .

Dans la période la plus récente, le SMIC a augmenté nettement plus que le salaire médian ( graphique n° 2 ) dans un contexte de progression modérée des revenus du travail. De fait, des « coups de pouce » successivement apportés au SMIC de 2003 à 2005 avaient été programmés (par la loi « Fillon » 12 ( * ) ), afin de permettre sa convergence avec les rémunérations mensuelles minimales résultant de la réduction du temps de travail (loi « Aubry » 13 ( * ) ), qui, exprimées en rémunération horaire, s'avéraient supérieures au SMIC. Au 1 er juillet 2006, le SMIC a augmenté de 3,05 %, dont un nouveau « coup de pouce » de 0,3 %. Cependant, au 1 er juillet 2007, le SMIC a été revalorisé de 2,10 %, soit une stricte application de la formule du minimum légal 14 ( * ) .

Au total, la part des salariés au SMIC se rapproche aujourd'hui de 16 % 15 ( * ) . Parmi les pays européens ayant mis en place un salaire minimum, un tel degré de banalisation est inédit, même si le SMIC apparaît relativement élevé par comparaison avec les autres rémunérations minimales en Europe.

GRAPHIQUE N° 2
ÉVOLUTION DU SMIC NET EN PROPORTION DU SALAIRE HORAIRE NET MÉDIAN

(en %)

Source : REXECODE

Conjointement à la convergence des rémunérations minimales, un renforcement substantiel du dispositif général d'allègement de cotisations sociales sur les salaires a permis de limiter l'impact de la hausse du SMIC (+ 11,4 % de 2003 à 2005 en termes réels) sur le coût du travail (+ 4,6 % de 2003 à 2005 en termes réels) afin de préserver la compétitivité des entreprises et l'« employabilité » des personnes les plus faiblement productives. Pour éviter une « trappe à SMIC », l'allègement s'étend aux rémunérations qui lui sont supérieures : il décroît linéairement pour s'annuler à 1,6 fois le SMIC.

Compensées par une dotation budgétaire puis l'affectation du produit de certaines taxes à la Sécurité sociale, les exonérations de cotisations sociales ont représenté un transfert croissant des administrations publiques en direction des employeurs de salariés faiblement rémunérés , sans lequel l'augmentation du SMIC n'aurait pas été supportable.

Avec le mécanisme des exonérations de charges générales, l'augmentation des salaires marchands aux alentours du SMIC a une répercussion directe sur les dépenses publiques qui hypothèque les projets de réduction du déficit public .

LA MÉCANIQUE BUDGÉTAIRE
DES EXONÉRATIONS DE CHARGES GÉNÉRALES SUR LES SALAIRES

La charge pour les finances publiques liée aux exonérations de charges générales sur les bas salaires, qui doit s'élever à 21,5 milliards 16 ( * ) d'euros en 2007, est appelée à progresser spontanément avec les salaires concernés, sauf si les exonérations de cotisations sociales n'étaient plus intégralement compensées, ce qui poserait alors des problèmes considérables de financement de la protection sociale.

En soi, ce mécanisme automatique complique considérablement la « maîtrise » des dépenses publiques, pivot de la programmation pluriannuelle du Gouvernement. Avec une masse salariale augmentant de 4 %, c'est une dépense supplémentaire de 800 millions d'euros qui intervient . L'objectif de maintenir constantes les dépenses budgétaires en euros courants impose donc de réduire les autres dépenses d'autant.

Encore en 2007, des allégements de cotisations sociales supplémentaires ont été consentis en faveur des très petites entreprises. Cependant, il semble que de nouvelles extensions du dispositif d'exonération ne soient plus concevables dans une stratégie de désendettement public 17 ( * ) .

En bref, les objectifs de politique budgétaire devraient rendre indisponible un instrument qui a pu, dans le proche passé, permettre une progression dynamique du pouvoir d'achat du SMIC qui engendre par ailleurs une augmentation de la proportion des salariés touchant le salaire minimum.

* 11 L'indice des prix est basé sur un panier de consommation type ; il ne saurait donc décrire la réalité de l'évolution des prix pour les différents profils de consommateurs. Dans cette perspective, l'INSEE a récemment proposé de construire différents indices de prix catégoriels (selon l'âge, le revenu, la zone d'habitation...).

* 12 Loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi du 17 janvier 2003.

* 13 La loi de réduction du temps de travail du 19 janvier 2000 a créé les « garanties mensuelles de rémunération » (GMR), destinées aux salariés passés aux 35 heures. La mise en place du système des GMR avait pour objectifs de maintenir le niveau de la rémunération mensuelle des salariés payés au niveau du SMIC lors du passage aux 35 heures, et d'assurer ensuite une progression mesurée de leur pouvoir d'achat.

* 14 Le SMIC est revalorisé chaque année, au 1 er juillet, de telle sorte que l'accroissement annuel du pouvoir d'achat du SMIC ne soit pas inférieur à la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat des salaires horaires moyens des ouvriers. En outre, lorsque l'indice national des prix à la consommation (hors tabac) atteint un niveau supérieur d'au moins 2 % à l'indice constaté lors de l'établissement de la valeur immédiatement antérieure, le SMIC est revalorisé dans la même proportion à compter du premier jour du mois qui suit la publication de l'indice donnant lieu au relèvement. Ainsi, l'inflation constitue le plancher d'indexation du SMIC en l'absence d'évolution plus favorable du pouvoir d'achat du salaire moyen ouvrier.

* 15 La proportion de salariés payés au niveau du SMIC est passée de 8,1 % à 15,1 % entre 1991 et 2006 ; à cette date, selon l'INSEE, 27 % des salariés à temps complet du privé et du semi-public, touchaient moins de 1,3 fois le SMIC.

* 16 22,7 milliards en 2008 hors mesure « heures supplémentaires ».

* 17 D'après le gouvernement, un projet de loi, présenté au printemps 2008, conditionnerait les exonérations de cotisations sociales à une politique salariale dynamique, tout en modifiant le mode et le calendrier de revalorisation du salaire minimum.

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