ANNEXE 1 : COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT SUR LA GESTION DES CREDITS D'INTERVENTION DE L'ETAT AU TITRE DE LA POLITIQUE DE LA VILLE
PA 49694
COMMUNICATION À LA COMMISSION DES FINANCES, DU CONTROLE BUDGETAIRE ET DES COMPTES ECONOMIQUES DE LA NATION DU SÉNAT |
Article 58-2° de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances
LA GESTION DES CREDITS D'INTERVENTION DE L'ETAT AU TITRE DE LA POLITIQUE DE LA VILLE |
Septembre 2007
RAPPORT À LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 58°2 DE LA LOLF |
La gestion des crédits d'intervention de l'État au titre de la politique de la ville *********** |
Lettres de saisine du Président de la Commission des finances du Sénat et lettre du Premier Président de la Cour des comptes
PARTIE I : INTRODUCTION
1. Le présent rapport fait suite à la demande du Président de la Commission des finances du Sénat adressée à la Cour , en vertu de l'article 58 alinéa 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, de réaliser une enquête sur « la gestion des crédits d'intervention de la politique de la ville » 17 ( * ) .
2. Cette enquête s'inscrit dans le large champ des dépenses d'intervention de l'État . Selon l'article 5.I. de la LOLF, les « dépenses d'intervention » sont regroupées sur le titre VI du budget de l'État. Son contenu est plus large que celui du titre IV de l'ordonnance organique de 1959. Outre les transferts, il inclut des subventions d'investissement et des appels en garantie 18 ( * ) . Cet ensemble recouvre des formes d'intervention variées : dépenses directes de l'État, subventions à des opérateurs ou encore contributions à des régimes sociaux et de retraites.
Dans son dernier rapport sur les résultats et la gestion budgétaire 19 ( * ) , la Cour a souligné que ces dépenses constituent un enjeu majeur pour la maîtrise des dépenses de l'État, compte tenu de leur poids financier : ces crédits s'élevaient, en LFI pour 2006, à 142,7 Md€ en autorisations d'engagement (AE) et à 136,9 Md€ en crédits de paiement (CP), soit plus de 40 % des prévisions initiales du budget général. Dans son dernier rapport sur les finances publiques, elle constatait également les difficultés de cette maîtrise, qui tiennent notamment, à la part très significative des dépenses d'intervention rigides et qui rendent nécessaire un réexamen systématique de l'intérêt et de l'efficacité de ces dépenses.
3. Ce réexamen de l'intérêt et de l'efficacité des dépenses d'intervention est particulièrement complexe dans le cas des dépenses d'intervention de la politique de la ville . Si les difficultés d'appréciation de l'impact de ces dépenses sont nombreuses, un premier obstacle, d'ordre général, tient à l'imprécision de la définition même de la politique en cause. La Cour relevait, dans son rapport public particulier de 2002 consacré à cette politique 20 ( * ) , le caractère « équivoque » de la dénomination « politique de la ville », « dès lors qu'elle ne s'applique pas à toutes les villes ni à toute la ville et qu'elle vise des actions autant sociales qu'urbanistiques » . Face aux difficultés de définition rencontrées, la Cour retenait alors une approche matérielle en définissant la politique de la ville comme « une politique de lutte contre l'exclusion, conduite dans un cadre territorial, en faveur de zones urbaines où la précarité sociale est forte, menée par l'État en partenariat contractuel avec les collectivités locales » .
Si cette définition matérielle apparaît toujours pertinente aujourd'hui, l'article 1 er de la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine a introduit une définition de la politique de la ville centrée sur l'objectif qu'elle poursuit. Ce texte dispose, en effet, qu' « en vue de réduire les inégalités sociales et les écarts de développement entre les territoires, l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs élaborent et mettent en oeuvre, par décisions concertées ou par voie de conventions, des programmes d'action dans les zones urbaines sensibles » . L'annexe 1 de cette loi précise que « la politique de la ville se justifie par l'objectif de réduction progressive des écarts constatés avec les autres villes ou quartiers, et de «retour au droit commun». »
En d'autres termes, la politique de la ville n'est pas, selon cette définition, une « politique des quartiers sensibles » mais une politique visant à réduire l'écart entre les quartiers confrontés à des difficultés économiques et sociales et les autres. Cet écart est aujourd'hui mieux connu grâce aux travaux de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS).
Tableau n° 1 : Quelques indicateurs sur l'écart entre les zones urbaines sensibles (ZUS) et le reste du territoire
Indicateur |
ZUS |
Moyenne nationale |
Taux de chômage des 15-59 ans (en 2005) |
22 % |
10 %* |
Taux de chômage des 15-24 ans (en 2005) |
42 % |
23 %* |
Revenu fiscal moyen par unité de consommation (en 2002) |
10 540€ |
17 184€ |
Taux de réussite au brevet (juin 2005) |
68 % |
81 % (France hors ZUS) |
Elèves en retard de deux ans ou plus en 6 e |
6 % |
3 % (France hors ZUS) |
* Autres quartiers de l'agglomération
Source : Observatoire national des zones urbaines sensibles, rapport 2006
Si la définition de la loi de 2003 clarifie le projet de la politique de la ville, elle introduit également un degré de complexité supplémentaire pour son évaluation dans la mesure où elle implique de resituer l'appréciation de l'impact des actions menées par rapport à cette référence au « droit commun ».
4. Les difficultés soulevées n'en diminuent pas pour autant la nécessité d'un examen des dépenses d'intervention de la politique de la ville, compte tenu de l'ampleur des enjeux en cause .
En premier lieu, la politique de la ville est un enjeu majeur de débat public, et plus encore à la suite des violences urbaines de la fin de l'année 2005. Ainsi, l'année 2006 a été marquée par un effort important dans le champ de la politique de la ville qui s'est notamment traduit par la tenue, le 9 mars 2006, d'un comité interministériel des villes (CIV) 21 ( * ) . Les décisions prises en CIV se sont articulées autour de deux axes :
- Un renouvellement des outils de la politique de la ville par le lancement d'une nouvelle contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales 22 ( * ) ;
- Des mesures importantes dans les différents domaines d'intervention de la politique de la ville. La loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a constitué le principal support juridique de ces mesures.
Les enjeux financiers sont, en second lieu, significatifs. Le rapport montrera que plusieurs composantes peuvent être, directement ou indirectement, rattachées à la politique de la ville :
- Les crédits dits « spécifiques » du programme n° 147 « Équité sociale et territoriale et soutien » qui s'élevaient, en 2006, à 670 M€ en autorisations d'engagement et 750 M€ en crédits de paiement ;
- Les « crédits de droit commun » mobilisés en direction des quartiers en difficulté, dont l'évaluation est beaucoup plus difficile. Le nouveau document de politique transversale « Ville » les estimait à 2,6 Md€ en 2006 ;
- Une composante de la dotation globale de fonctionnement, la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale , concours financier de l'État en direction de certaines communes urbaines, à hauteur de 880 M€ en 2006. Il est signalé que cette dotation entre dans le champ d'une enquête plus large sur les concours financiers de l'État que conduisent actuellement la Cour et les chambres régionales des comptes.
L'ensemble ainsi défini - hors les crédits consacrés au programme national de rénovation urbaine - représenterait donc une masse financière de plus de 4 Md€ 23 ( * ) .
5. Le présent rapport ne résulte pas d'une enquête générale sur les financements destinés à la politique de la ville .
- Une telle enquête aurait, en effet, impliqué une analyse des financements des collectivités territoriales, des dispositifs communautaires 24 ( * ) et des autres financements mis en oeuvre pour cette politique. Le présent rapport ne concerne que les financements de l'État.
- Il a été convenu avec la commission des finances du Sénat que le champ de l'enquête n'inclurait pas les subventions de l'État à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) 25 ( * ) . Cependant, il convient de relever d'emblée que la gestion des crédits d'intervention de la politique de la ville a été transformée depuis 2002 à la suite de la création de deux opérateurs qui en représentent désormais l'essentiel : l'ANRU et la nouvelle Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSÉ). Leur création a eu un impact plus général sur l'organisation des services de l'État dans le domaine de la politique de la ville.
- Les allégements de charges sociales applicables dans les zones d'intervention de la politique de la ville ne sont envisagés que sous l'angle de leur place dans la gestion globale des crédits d'intervention de la politique de la ville. Saisie par la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur le fondement de l'article 58-2° de la LOLF, la Cour avait examiné, en 2006, l'exonération dans les zones franches urbaines (ZFU) dans le cadre de son enquête sur Les exonérations des charges sociales en faveur des peu qualifiés 26 ( * ) . Une nouvelle saisine de la Commission des finances de l'Assemblée nationale conduira la Cour à examiner de façon plus spécifique l'impact de ce dispositif.
6. Dans ces conditions, le présent rapport ne saurait constituer, à lui seul, une enquête de suivi du rapport public particulier de 2002, dont de nombreux constats sont encore valides aujourd'hui .
La synthèse du rapport particulier de 2002, produit d'une enquête conjointe de la Cour et des Chambres régionales des comptes 27 ( * ) , est présentée en annexe.
7. Le présent rapport ne poursuit pas un objectif d'évaluation d'ensemble de la politique de la ville mais propose un éclairage sur la politique de la ville à partir de la gestion et du pilotage des crédits d'intervention .
Pour réaliser cette enquête, la Cour a bénéficié de la collaboration active des administrations centrales concernées et, en particulier, de la délégation interministérielle à la ville et de la direction générale des collectivités locales. L'enquête s'est également appuyée sur des échanges avec les responsables de la nouvelle Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances.
La Cour a souhaité compléter les constats généraux de témoignages d'acteurs de la politique de la ville et de retours sur des expériences de terrain, en particulier sur des sites d'intervention de la politique de la ville dans trois départements :
- les contrats de ville de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil en Seine-Saint-Denis ;
- le contrat de ville de Vaulx-en-Velin dans le Rhône ;
- le contrat de ville d'Amiens dans la Somme.
Les deux premiers sites avaient été examinés par la Cour dans son rapport public particulier de 2002. Le troisième a été retenu pour présenter un exemple de mise en oeuvre de la politique de la ville dans un département à dominante rurale.
Dans chaque département, les services en charge de la gestion des interventions de l'État au titre de la politique de la ville - préfectures et services déconcentrés - ont été rencontrés. Ils ont apporté un concours précieux à l'enquête.
Les magistrats de la Cour ont également rencontré, avec les chambres régionales des comptes d'Ile-de-France, de Picardie et de Rhône-Alpes, les représentants des communes signataires des contrats de ville plus particulièrement examinés. L'objectif de ces échanges était de recueillir les points de vue de ces collectivités territoriales sur la gestion des crédits d'intervention de l'État et sur la qualité du partenariat mis en oeuvre dans le cadre de la politique de la ville.
En réponse à un volet spécifique de la saisine de la Haute Assemblée, la Cour s'est, par ailleurs, plus particulièrement intéressée aux conditions de gestion des subventions aux associations. Ses magistrats ont ainsi rencontré les représentants de treize associations, sur leurs lieux d'intervention dans les quartiers.
Les développements qui suivent mettent l'accent sur les constats transversaux qui se dégagent de ces enquêtes de terrain. Une présentation des trois sites figure en annexe.
8. Dans cette perspective, la gestion et le pilotage des interventions de l'État au titre de la politique de la ville sont présentés successivement sous plusieurs angles .
- La première partie du rapport resitue le cadre géographique de déploiement des interventions de la politique de la ville.
- La deuxième partie présente le pilotage national et local de ces interventions de l'État, ainsi que les évolutions institutionnelles sur la période la plus récente.
- La gestion proprement dite des dépenses d'intervention est, ensuite, abordée par l'analyse des trois « blocs » d'interventions de l'État : crédits spécifiques, crédits de droit commun, DSU-CS (Partie III).
- Le rapport apporte, en outre, un éclairage plus spécifique sur la gestion des subventions de l'État aux associations (Partie IV).
À partir de ces trois thématiques, la Cour dégage, enfin, six axes d'enseignements généraux sur les conditions de réussite des interventions au titre de la politique de la ville (Partie V).
* 17 Lors du lancement de cette enquête, il a été convenu que le point de départ du délai de huit mois prévu à l'article 58°2 de la LOLF était le 1 er janvier 2007.
* 18 Retracés respectivement, jusqu'à présent, sur le titre VI et sur le titre I.
* 19 Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire - exercice 2006 , mai 2007, p. 60 et s.
* 20 La politique de la ville , rapport public particulier, février 2002.
* 21 Le comité interministériel des villes (CIV), créé en 1984, est « chargé de définir, d'animer et de coordonner les politiques relevant de la responsabilité de l'État et destinées à favoriser la solidarité sociale en ville, à lutter contre l'insalubrité et à développer l'innovation pour améliorer le cadre de vie urbain » (article 1 er du décret n° 84-531 du 16 juin 1984).
* 22 Les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) se sont substitués aux contrats de ville.
* 23 Un tableau de synthèse issu de l'état récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique de la ville est annexé au présent rapport.
* 24 En particulier, des programmes d'intérêt communautaire URBAN dans le cadre du FEDER., Neuf sites de contrats de ville 2000-2006 ont été retenus dans le cadre du programme URBAN II pour un financement global de 96 M€.
* 25 L'ANRU a fait en 2006 l'objet d'un rapport d'information à la commission des finances du Sénat : rapport d'information n° 456 de MM. DALLIER et KAROUTCHI.
* 26 La Cour avait considéré, dans ce cadre, que l'impact de la mesure paraissait visible, mais qu'il était difficile de conclure avec certitude, car l'effet d'aubaine n'était pas connu.
* 27 Cf. annexe au présent rapport.