2. Quels besoins militaires pour demain ?
Les analyses prospectives dégagent quelques grandes tendances dans l'environnement sécuritaire prévisible des prochaines décennies : prédominance des conflits intra-étatiques attisés par des revendications nationalistes, ethniques ou religieuses et impliquant éventuellement des Etats tiers ; accentuation des modes d'actions asymétriques esquivant l'affrontement direct et concentrant les attaques sur les points de vulnérabilité militaires, politiques, économiques ou médiatiques des pays occidentaux ; degré de risques plus élevés, dans les conflits dits «dissymétriques », opposant des armées régulières d'envergure différente, du fait de la banalisation d'équipements sophistiqués (engins explosifs, missiles à courte ou moyenne portée par exemple).
Les zones urbaines constitueront le lieu privilégié des affrontements et un refuge pour les mouvements terroristes ou insurrectionnels cherchant à se fondre dans la population. La maîtrise de l' espace aérien restera fondamentale pour l'observation, le transport et les frappes vers le sol. La maîtrise de la haute mer sera toujours un élément clé de la capacité militaire, mais l'action des forces navales s'inscrira prioritairement dans les zones littorales . Le libre accès à l'espace deviendra un enjeu majeur et son importance pour la mise en oeuvre des forces armées ira croissant.
De ces grandes tendances, on peut déduire que les outils militaires seront plus encore qu'aujourd'hui structurés autour des moyens de projection de force et de puissance . Les théâtres d'engagement étant de plus en plus souvent éloignés du territoire national, les capacités de déploiement et de soutien logistique seront particulièrement sollicitées. Les armées devront combiner les capacités de frappes de précision à longue distance et des moyens d'information, d'action et de protection permettant d'opérer au contact, dans un environnement hostile. La maîtrise de l'information sera fondamentale et l'innovation technologique demeurera un élément déterminant de la supériorité militaire.
Ces évolutions permettent de cerner les enjeux de la modernisation des équipements militaires. Le futur Livre blanc devra définir comment la France entend les relever, soit à titre national, soit dans le cadre plus large d'une coopération avec ses partenaires, notamment européens.
3. Quelle part d'autonomie et de coopération ?
Notre politique d'équipement devra-t-elle reposer principalement sur des considérations nationales ou s'inscrire résolument dans un cadre multinational ?
Le cadre multinational est aujourd'hui celui dans lequel interviennent le plus fréquemment les forces armées. Il reflète les solidarités politiques renforcées au fil des années, tout particulièrement avec la construction européenne, dont le volet « défense et sécurité » s'est progressivement affirmé. Il est donc logique et souhaitable de renforcer la dimension européenne de notre politique d'équipement .
Plusieurs voies de coopération se présentent.
La première, déjà largement empruntée, est la réalisation d'équipements en commun . Les exemples en sont nombreux (avion de transport A400M, hélicoptères Tigre et NH90, frégates Horizon et multi-missions, missiles Scalp, Aster et Meteor). Aujourd'hui, hormis les équipements liés à la dissuasion nucléaire, très rares sont les programmes dont la réalisation ne pourrait être envisagée en coopération internationale, dès lors qu'un réel effort de convergence est réalisé sur les besoins et les échéances calendaires.
Une deuxième voie, qui n'est pas exclusive de la première, repose sur l'utilisation commune d'équipements mutualisés , pour optimiser les investissements effectués. La volonté de la France, de l'Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas de jeter les bases d'un commandement européen du transport aérien va dans ce sens. Le transport stratégique, le transport aéromobile, le ravitaillement en vol ou encore le soutien logistique semblent des domaines pouvant se prêter à cette démarche. Elle implique toutefois un partage des risques et des responsabilités. Il sera donc nécessaire d'examiner comment de telles solutions peuvent être mises en place, avec des mécanismes décisionnels adaptés en matière d'emploi des moyens par les pays participants.
Enfin, il est également envisageable de renoncer à acquérir en propre certaines capacités et de nouer des accords pour bénéficier de celles dont disposent des pays partenaires. C'est par exemple la base des accords franco-italien et franco-allemand permettant à la France d'accéder aux données fournies par les satellites d'observation radar de ses deux partenaires, ceux-ci bénéficiant d'un accès aux images du satellite français Helios II. Ce modèle est plus difficilement transposable aux équipements directement engagés dans les opérations compte tenu de la dépendance qu'il suppose à l'égard d'autorités tierces.
Il serait cependant illusoire de voir dans la mutualisation ou dans l'acceptation d'un certain degré de dépendance européenne une alternative systématique pour la satisfaction de nos besoins d'équipement. Ces solutions supposent d'abord une volonté partagée, la France ne pouvant en la matière qu'inciter ses partenaires à renforcer la coopération, sans pouvoir les y contraindre. Elles impliquent ensuite, de la part de nos partenaires, une capacité à assumer leur part de la charge. Or, on le sait, l'effort de défense de la plupart d'entre eux, hormis le Royaume-Uni, limite fortement leurs possibilités d'investissement.