B. QUATRE QUESTIONS SUR LES AMBITIONS ET LA STRATÉGIE DE LA FRANCE
Engager une réflexion stratégique de type « Livre blanc » doit permettre de poser de manière ouverte, et sans focalisation sur les moyens financiers, un certain nombre de questions déterminantes sur les ambitions de la France et sa stratégique de défense. Parmi elles, votre rapporteur souhaiterait en distinguer quatre portant sur nos ambitions politiques et opérationnelles, sur l'évolution des besoins militaires, sur la part d'autonomie que nous souhaitons conserver et sur les enjeux industriels et technologiques.
1. Quelles ambitions politiques et opérationnelles ?
Face aux conflits régionaux et à la montée des risques liés au terrorisme et à la prolifération, les hypothèses d'engagement des forces armées qui se présentent aujourd'hui devant la France couvrent un spectre plus large, plus global et plus diversifié que les six scénarios d'intervention définis par le Livre blanc de 1994.
La posture permanente de sûreté repose sur la dissuasion nucléaire, la prévention (pré-positionnement des forces, capacité d'appréciation autonome) et la protection du territoire. Elle constitue le socle des missions des armées .
La probabilité de la participation à un conflit armé demeure peu élevée. Mais elle ne peut totalement être exclue, avec pour point de départ un conflit régional, puis un enchaînement entraînant, par le jeu des alliances, une implication de la France. Dans cette hypothèse, une intervention militaire s'effectuerait vraisemblablement en coalition multinationale, une intervention strictement nationale restant cependant possible en cas de mise en jeu d'un accord de défense bilatéral.
Le cadre d'engagement principal des forces armées est aujourd'hui centré sur les opérations de rétablissement et de maintien de la paix , compte tenu des responsabilités internationales de la France et des incidences potentielles des crises régionales sur nos intérêts et ceux de l'Europe. On constate aujourd'hui que ces opérations se déroulent sur des théâtres plus éloignés de nos bases, qu'elles s'inscrivent le plus souvent dans la longue durée et que les forces peuvent y être fortement exposées . Il en découle des conséquences sur le volume de nos forces projetables, sur la capacité à les déployer et à les soutenir, mais aussi sur la nécessité de les doter d'une protection efficace.
Aux côtés de ces trois grands types de situations militaires apparaissent aujourd'hui plus nettement d'autres hypothèses d'engagement des forces. C'est le cas de la lutte contre le terrorisme (renseignement, protection des approches aériennes et maritimes et des points sensibles, actions de contre-terrorisme hors du territoire national), de la lutte contre la prolifération (renseignement, mise en oeuvre d'embargo, interception de trafics d'équipements ou de matières, voire frappes préemptives ciblées) ou encore de la défense des intérêts économiques (sauvegarde ou rétablissement de la liberté de circulation et sécurisation des zones de ressources stratégiques).
Enfin, les armées mènent des opérations d'évacuation de ressortissants , des missions de service public (secours en cas de catastrophe, lutte contre les feux de forêt, secours et sauvetage) ou d' assistance humanitaire .
Il appartiendra de définir l'équilibre souhaité entre ces différentes missions , en liaison avec les ambitions politiques que la France entend assumer , dans un cadre national ou multinational. Il est clair qu'assigner aux armées des missions lointaines, exigeantes et non directement liées à la protection du territoire national et des populations, implique un certain nombre de capacités et d'équipements spécifiques. Ces choix devront être clairement évalués lors de la préparation du futur Livre blanc.
Ces choix se traduiront en contrats opérationnels , c'est-à-dire en objectifs assignés aux forces armées. Ce sont eux qui conditionnent le dimensionnement de notre outil militaire. Ils n'ont pas de justification dans l'absolu et ne se comprennent qu'au regard des ambitions politiques ou stratégiques qui les sous-tendent. Il conviendra donc de déterminer si le niveau actuel de ces ambitions reste pertinent , d'évaluer les implications d'éventuelles révisions et d'examiner dans quelle mesure les évolutions intervenues ces dernières années à l'OTAN et dans la politique européenne de sécurité et de défense peuvent conduire à l'ajuster.
Les contrats opérationnels actuels des forces armées Dissuasion : assurer la permanence de la dissuasion nucléaire, selon la posture fixée par le Président de la République et le concept développé dans les discours du 8 juin 2001 et du 19 janvier 2006. Commandement et maîtrise de l'information : être en mesure de commander une opération aux niveaux stratégique, opératif et tactique, en mettant à la disposition de l'Union européenne ou d'une coalition ad hoc la structure d'accueil nécessaire, ainsi que les moyens de communication associés ; préserver en tout état de cause une capacité purement nationale pour des opérations impliquant des volumes de forces moins élevés ; assurer la maîtrise de l'information en s'appuyant sur une capacité de traitement et de partage de l'information prenant en compte la sécurité et la lutte informatique défensive ; disposer d'une capacité nationale autonome d'appréciation de situation au niveau stratégique et être en mesure d'assurer les responsabilités de nation cadre pour une opération en coalition, tout en préservant la confidentialité des données ressortissant au strict intérêt national. Projection, mobilité et soutien : pouvoir assurer par voie aérienne la projection d'une force de réaction immédiate aéroterrestre (1.500 hommes avec matériel) à 5.000 km de la métropole en moins de 72 heures ; par voie héliportée, la projection d'un bataillon d'infanterie (600 à 800 hommes équipés, ainsi que 30 à 70 tonnes de fret) en une rotation à 150 kilomètres ; par voie maritime, la projection de 5.000 à 26.000 hommes et la mise en oeuvre une force amphibie de réaction immédiate (groupement interarmes embarqué de 1.400 hommes avec des composantes terrestre et aéromobile). Engagement - combat : l' armée de l'air doit pouvoir projeter une centaine d'avions de combat, les ravitailleurs et la base de soutien associés ; la Marine doit pouvoir projeter un groupe aéronaval et son accompagnement, ainsi que des sous-marins nucléaires d'attaque, à plusieurs milliers de kilomètres, assurer l'escorte d'un groupe amphibie et/ou d'un groupe de transport maritime, et participer à la sûreté d'une zone aéromaritime dans une opération pouvant durer plus d'un an ; l' armée de terre doit être capable de commander, déployer à distance et soutenir dans la durée, soit jusqu'à 20.000 hommes, simultanément et sans limitation de durée sur plusieurs théâtres, que ce soit dans le cas d'une opération nationale (1.000 à 5.000 hommes) ou dans celui d'une opération européenne (12 à 15.000 hommes), ce niveau pouvant être porté jusqu'à 26.000 pour une période limitée à une année, soit plus de 50.000 hommes, sans relève, pour prendre part à un conflit majeur dans le cadre de l'Alliance Atlantique. Protection et sauvegarde : la Marine doit garantir l'exercice de la pleine souveraineté de la France dans ses eaux territoriales et la préservation de ses droits dans les espaces sous sa juridiction, ainsi qu'assurer en permanence la surveillance et la sauvegarde maritime ; l'armée de l'air doit garantir la souveraineté de l'espace aérien national, protéger et assurer la liberté d'action des forces déployées sur les théâtres extérieurs, s'opposer à l'emploi de l'espace aérien par l'adversaire ; l'armée de terre contribue de manière permanente aux opérations sur le territoire national ; dans le domaine biologique, l'objectif visé à terme est la protection de forces déployées, à hauteur de 35.000 hommes, contre les agents de la liste de référence de l'OTAN ; le service de santé des armées doit être capable de soutenir l'engagement des trois composantes d'armées dans les conditions fixées par leurs contrats respectifs, tout en garantissant un soutien minimal au profit des formations du socle. |