II. ÉLARGIR L'ACCÈS À LA FORMATION PAR L'INDIVIDUALISATION
Faut-il, selon l'avis donné par président Jacques Delors au cours de la table ronde du 29 mai 2007, procéder à la « totale remise à plat » d'un système trop cloisonné, trop complexe, trop corporatiste ? Ne faut-il pas admettre aussi les vertus d'une construction qui doit posséder quelque efficacité puisque, dans le cadre de ses prescriptions, les entreprises investissent en masse en faveur de la formation continue, construction dont un mérite incontestable est d'avoir fait passer la formation continue dans nos moeurs ? Observons aussi que la réforme de la formation continue des salariés est l'objet d'un fort consensus des partenaires sociaux et n'a pas encore déployé l'ensemble de ses effets. Un « remise à plat » ne risquerait-elle pas, alors, d'être prématurée, voire intempestive ? Observons encore que le modèle français de formation des salariés concourt discrètement et sûrement à la modernisation des relations sociales en France. La « remise à plat » du système issu des lois de 1971 et 2004 poserait question de ce côté là. Ces éléments incitent à la circonspection. C'est pourquoi la mission d'information a fait le choix de rechercher dans le germe de renouvellement et de consolidation du système que constitue l'individualisation le remède nécessaire à ses effets pervers : circonspection n'est pas immobilisme.
A. L'INDIVIDU, FIL CONDUCTEUR DE L'ACCÈS À LA FORMATION
1. Améliorer l'accès à la formation continue des salariés en parachevant le DIF
a) Le DIF, clé de l'égalité d'accès ou expression symbolique du consensus à la française ?
Rappelons que le droit individuel à la formation (DIF) donne aux salariés en CDI le droit de recevoir une formation de vingt heures chaque année. Le choix de la formation est effectué en accord avec l'employeur, en principe à l'occasion de l'entretien professionnel prévu dans l'ANI de décembre 2003. Le quota de vingt heures, cumulable pendant six ans, peut déboucher sur le droit à une formation de cent vingt heures. Les salariés à temps partiel ou en CDD, disposent d'un droit fixé au prorata de leur temps de travail. Le DIF est pris en principe en dehors du temps de travail et donne alors droit à une allocation de formation correspondant à 50 % du salaire net. Si la formation a lieu pendant le temps de travail, le salarié perçoit l'intégralité de son salaire.
Les auditions de la mission ont permis de constater le très fort consensus des partenaires sociaux, sous certaines réserves et conditions, autour de cet instrument souvent présenté comme un remède aux inégalités d'accès à la formation professionnelle.
M. Jean-Claude Tricoche, secrétaire national de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), chargé de la formation professionnelle, a fait du DIF une présentation assez significative de la façon dont les partenaires sociaux ont conçu ce dispositif. Le système de formation, a-t-il indiqué, doit viser l'adaptation des salariés aux évolutions internes de l'entreprise qui les emploie, l'entreprise étant alors responsable de la mise en oeuvre des dispositifs correspondants, mais il doit aussi tenir compte de la réalité contemporaine du travail, la mobilité accrue de l'emploi en particulier, et donner aux salariés la possibilité de développer les compétences susceptibles d'assurer leur employabilité tout au long de leur vie professionnelle. Cette problématique ne peut guère être prise en compte par l'employeur du moment, à qui il n'appartient pas d'assurer « l'employabilité à vie ». Il faut donc, a-t-il estimé, que l'individu gère de façon autonome une partie de sa formation continue. Le DIF exprime cette idée, mais il reste attaché à l'entreprise, l'initiative du salarié étant encadrée en droit et, plus encore dans les faits, l'information des salariés n'étant pas suffisante pour susciter l'appétence des moins qualifiés pour la formation. A cet égard, l'échec de la réorientation de la formation vers les moins qualifiés montre que le système souffre d'un grave défaut de pilotage. Il faut donc que le DIF dépende de l'initiative de l'individu, a-t-il conclu.
Pour M. Jean Michelin, directeur de la formation de la Fédération française du bâtiment, la philosophie de l'ANI de 2003 est de « rendre la formation continue à l'entreprise » à travers la construction d'un dialogue entre l'employeur et le salarié. La création du DIF est emblématique de cette démarche. Dans cette logique, a-t-il précisé, le concept d'une « offre de formation continue » devrait céder la place à celui de « réponse à un besoin » exprimé par l'employeur et le salarié au cours de l'entretien professionnel. La définition des modalités de la formation, puis la recherche d'un prestataire, interviennent en fonction des conclusions de ce premier échange. De même, a-t-il ajouté, le DIF ne doit pas être interprété comme une obligation pesant unilatéralement sur l'entreprise, mais doit entretenir une relation directe avec l'exercice du métier : c'est pour cette raison qu'il doit faire l'objet d'un accord entre l'employeur et le salarié.
M. Jean-Claude Quentin, secrétaire confédéral chargé de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'assurance chômage de la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO), a insisté sur l'importance de la personnalisation des formations, à travers la mise en oeuvre du DIF, du bilan de compétences et de la validation des acquis de l'expérience (VAE). L'un des objectifs du DIF, a-t-il aussi indiqué, est de permettre une relance du dialogue social au sein des entreprises, notamment dans le cadre de l'entretien professionnel annuel sur les besoins de formation des salariés. Toutefois, a-t-il précisé, cet aspect n'est pas encore suffisamment valorisé et un risque serait que le DIF dérive vers un substitut au plan de formation, ce qui n'est pas sa vocation. Par ailleurs, les inégalités d'accès à la formation sont fortes et le DIF devrait permettre d'inverser cette tendance.
Pour Mme Annie Thomas, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), une des caractéristiques essentielles de l'ANI de 2003 et de la loi de 2004 est la recherche d'une meilleure mobilisation des salariés, avec notamment une véritable « coconstruction » de leur formation grâce au DIF. L'entretien professionnel tous les deux ans, accompagné d'une information sur l'état des droits du salarié au DIF, et le passeport formation, document récapitulatif des connaissances, compétences et aptitudes professionnelles d'un salarié, sont de bons outils pour accompagner vers la formation les salariés ayant généralement connu l'échec scolaire et ne se sentant pas à l'aise face à l'idée de se former.
M. Jean-Pierre Therry, chargé de la formation en direction des régions à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), a estimé qu'un objectif du DIF était de « mettre en appétit » les salariés qui ne partent jamais en formation.
M. Alain Lecanu, secrétaire national chargé du pôle emploi-formation de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), a indiqué que le DIF constituerait une avancée quand le cumul d'heures sera suffisant pour accéder à des formations intéressantes.
Pour M. René Bagorski, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT), les partenaires sociaux ont promu la notion de salarié « acteur » de son parcours professionnel et élaboré des financements, des dispositifs et des moyens permettant de renforcer le pouvoir d'initiative des salariés. Ils ont même créé un droit attaché à la personne : le DIF.
M. Francis Da Costa, président de la commission formation du Mouvement des entreprises de France (Medef), rappelant que les premiers niveaux de qualification n'étaient pas spontanément demandeurs de formation et estimant qu'un dispositif uniquement axé sur l'initiative individuelle ne saurait réduire les inégalités d'accès à la formation, a néanmoins lié le DIF à l'objectif d'améliorer l'accès des salariés à des actions de formation.
M. André Cottenceau, chef de file formation de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), a estimé que le DIF permettait d'approfondir le dialogue entre le salarié et le chef d'entreprise, ce dialogue existant déjà naturellement dans les petites entreprises.
On voit que la convergence n'exclue pas les nuances.
Le DIF est aussi l'objet de critiques sévères. M. André Zylberberg, directeur de recherche au CNRS et coauteur du rapport « La formation professionnelle des adultes : un système à la dérive », a qualifié cet instrument de « de tuyau de plus dans une usine à gaz, et qui n'a encore pas fait la preuve de son efficacité ». Le rapport de MM. Pierre Cahuc et André Zylberberg propose d'ailleurs la suppression pure et simple du DIF. Notant que le système actuel de la formation professionnelle équivaut à faire payer l'ensemble des salariés et des entreprises pour la formation des travailleurs les plus qualifiés, le rapport estime en effet que le DIF ne fait que renforcer cette tendance. De plus, l'obligation légale faite par ailleurs aux employeurs d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail incite les employeurs à diriger, encore plus que par le passé, les salariés vers des formations inutiles afin de satisfaire à leurs obligations formelles et de se couvrir contre des attaques potentielles. Le DIF, qui offre un accès gratuit à des formations n'améliorant nullement les perspectives professionnelles, mais sont mises en oeuvre simplement parce qu'elles sont en apparence gratuites et constituent une obligation pour les employeurs, ne peut qu'accentuer cette tendance. Derrière ce bref exposé des effets pervers du principe « former ou payer », le débat sur l'utilité du DIF est ainsi ouvert.
En attendant son évaluation par les intéressés eux-mêmes (ceux-ci ont souligné l'imminence et la nécessité de cette évaluation), il est loisible de se demander si l'une des vertus majeures du DIF - qui opère, ne l'oublions pas, la réconciliation des pôles antagonistes de la loi de 1971, le congé individuel de formation (CIF) et le plan de formation - ne serait pas d'exprimer avec toute l'ampleur désirable, autour de l'idée neuve de sécurisation des parcours professionnels, le consensus actif des partenaires sociaux sur la formation continue de salariés.
Le consensus à la française serait ainsi passé par la mise en place de ce que plusieurs interlocuteurs de la mission ont appelé une « bombe à retardement », accumulant dans l'entreprise un volant d'engagements financiers difficiles à évaluer et impossibles à provisionner.