c) En matière de formation professionnelle : les compétences résiduelles mais non négligeables de l'État
Enfin, d'autres interférences résultent des compétences conservées par l'État dans le domaine de la formation professionnelle elle-même.
L'État a conservé au terme de l'évolution sus-rappelée des compétences propres en matière de formation qui touchent des catégories spécifiques : les détenus, les réfugiés, les résidents de l'outre-mer, les militaires en reconversion, les Français établis hors de France, les illettrés, les personnes handicapées...
Ces compétences sont loin d'être « résiduelles » en termes de publics . Ainsi par exemple, comme l'a indiqué Mme Marie-Thérèse Geoffroy, directrice de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI), lors de son audition devant la mission, l'illettrisme concerne 9 % de la population âgée de dix-huit à soixante-cinq ans ayant été scolarisée en France, soit près de 3,1 millions de personnes.
Cette compétence générale en matière de lutte contre l'illettrisme conduit à des « chevauchements » car les collectivités n'ont pu se désintéresser de ce sujet qui constitue le point de départ de beaucoup de problèmes d'insertion et d'employabilité.
L'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, établissement public, a été créée pour coordonner les moyens mis en oeuvre par l'État, les collectivités locales et les entreprises dans ce domaine.
La lutte contre l'illettrisme s'appuie en région sur un « plan régional de lutte contre l'illettrisme », document traduisant les engagements des services déconcentrés de l'État et ceux des collectivités territoriales autour d'objectifs définis en fonction des besoins de populations cibles localement identifiées. Selon l'ANLCI, à ce jour dix-sept régions se sont dotées, ou sont sur le point de le faire, de tels plans.
Sur le terrain, la mission d'information a constaté à la fois la volonté d'agir des régions mais aussi leur crainte d'un désengagement financier de l'État.
Or, la lutte contre l'illettrisme ne peut être efficace que si elle est concertée avec les différentes collectivités déjà impliquées dans cette lutte, et que si elle ne se résume pas à des annonces mais est assortie des financements nécessaires.
Par ailleurs, l'État dispose de compétences partagées . A titre complémentaire, l'État intervient en faveur de la formation professionnelle des jeunes, des demandeurs d'emploi et des salariés.
Vis-à-vis des jeunes, l'État intervient notamment pour promouvoir l'apprentissage : outre l'organisation et le financement d'actions de portée générale, l'État peut également effectuer des études et actions expérimentales pour la préparation de ces actions ; il est compétent pour le contrôle pédagogique de l'apprentissage et le financement des CFA à recrutement national...
A l'égard des demandeurs d'emploi, l'État finance des actions du Fonds national pour l'emploi (FNE), des formations réalisées par l'AFPA...
En direction des actifs occupés, l'État finance la formation des agents de la fonction publique, la formation continue des ingénieurs, les conventions de formation et d'adaptation du FNE...
Malgré des textes successifs qui posent un objectif de clarification des compétences régionales et de l'État, force est de constater que des dispositifs de formation continuent de relever d'une compétence partagée .
Cette imbrication des compétences est à l'origine de nombre de difficultés d'application. Il suffit, à titre d'illustration, de se reporter aux débats concernant la politique de l'apprentissage.
A l'occasion du vote de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, d'un côté, les conseils régionaux ont eu le sentiment que l'État venait remettre en cause les acquis de la loi « libertés et responsabilités locales » ; d'un autre côté, notamment lors du débat au Sénat sur le remplacement du Fonds national de péréquation de la taxe d'apprentissage (FNPTA) par un Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage pour financer l'objectif de 500.000 apprentis en cinq ans, le Gouvernement s'est ainsi justifié : « nous savons que l'apprentissage est une compétence des régions, mais nous voulons le développer, nous voulons faire en sorte qu'on y recoure davantage et qu'on améliore la qualité du service. Or cela a un coût. L'État ne va pas en transférer ipso facto la charge sur les régions mais, en respectant les compétences de celles-ci, il va alimenter subsidiairement le financement. Nous voulons le faire de manière claire, sans pour cela recréer une administration d'État chargée de l'apprentissage ».
La loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a suscité les mêmes débats en ce qui concerne l'apprentissage junior.
Cet entrecroisement de compétences contribue souvent à faire de la région « la variable d'ajustement » des politiques de formation.
Comme l'ont souligné les personnes rencontrées lors des déplacements de la mission dans les régions, et notamment Mme Martine Calderoli-Lotz, vice-présidente du conseil régional d'Alsace, présidente de la commission formation professionnelle continue : « la position de l'État reste prégnante et c'est donc la position de l'État qui est à revoir, car il continue à intervenir beaucoup. Or par ailleurs, il y a une difficulté d'articulation entre le pouvoir des branches professionnelles et la sphère des pouvoirs publics. Par exemple, pour les contrats de professionnalisation, les taux de prise en charge sont décidés par l'État mais à un niveau insuffisant pour couvrir le coût réel des formations. Les régions sont donc appelées à compenser les écarts tout en devant assurer la maîtrise des finances locales. »
C'est en ce sens que, vue des régions, la décentralisation dans le domaine de la formation, paraît être restée « au milieu du gué ».