B. LA CONSÉQUENCE : UN MANQUE DE COORDINATION FONCTIONNELLE QUI ENTRAVE L'AFFIRMATION D'UNE GOUVERNANCE RÉGIONALE
Le problème majeur est désormais celui de l'articulation entre les acteurs centraux de la formation que sont l'État, les régions et les partenaires sociaux.
Comme l'ont constaté toutes les personnalités auditionnées, l'organisation d'ensemble, issue d'une superposition de réformes et d'une mise en place progressive, laisse apparaître un grave défaut de coordination.
Pour les régions, l'exercice de leurs nouvelles compétences s'apparente à une lutte, souvent épuisante, contre les rigidités du système . Le manque de coordination se présente ainsi comme la principale « scorie » des lois de décentralisation et l'obstacle majeur à l'émergence d'une gouvernance efficace.
1. L'articulation avec l'État : des chevauchements multiples
Au terme de l'évolution qui vient d'être rappelée, en principe, l'État ne conserve plus que des compétences limitées, de nature régalienne, en matière de formation professionnelle : la compétence normative, le contrôle de la formation continue, le financement et l'organisation des actions de portée générale intéressant l'apprentissage et la formation professionnelle continue.
Dans les faits, les interférences avec les régions sont cependant nombreuses pour trois raisons essentielles.
a) En amont : la « citadelle » de l'éducation nationale
Les compétences de l'État en matière d'éducation limitent fortement les marges d'action des régions. On a examiné au chapitre I de la première partie du rapport les dysfonctionnements liés au cloisonnement excessif entre formation initiale et formation professionnelle.
On a également souligné l'articulation insuffisante entre le réseau chargé de l'orientation des jeunes relevant généralement de l'État et les multiples acteurs de la formation.
Il faut ajouter que, depuis les années quatre-vingt, la question de l'articulation entre les compétences de l'État et celles des régions s'est encore accentuée car ces dernières ont acquis des responsabilités croissantes dans le champ de l'enseignement . Ce processus s'est encore amplifié avec la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, de sorte que le pouvoir des élus locaux présente désormais une vraie légitimité dans ce domaine.
La région est chargée, en particulier, de la construction et de l'équipement des lycées, des établissements d'éducation spéciale et des lycées professionnels maritimes et finance une partie des établissements universitaires . Elle assure la construction, l'extension et la rénovation des lycées et établissements d'enseignement secondaire et leur fonctionnement.
Depuis l'acte II de la décentralisation, il faut rappeler que la région est aussi compétente :
- pour l'organisation de l'accueil, de la restauration, de l'hébergement et de l'entretien général et technique dans les lycées,
- pour le financement de la formation et pour les aides aux étudiants des formations sanitaires et sociales.
En matière d' enseignement supérieur , la région tend à agir pour l'amélioration de la vie étudiante, sur la structuration des établissements d'enseignement supérieur et des organismes de recherche, le rayonnement international et l'attractivité des établissements d'enseignement supérieur publics. Avec les nouveaux contrats de projet État-régions, c'est ainsi près de 50 % des investissements universitaires qui incombent désormais aux régions.
Pourtant toutes les auditions ont montré l'insuffisante conciliation entre les exigences du système éducatif et celles du monde économique , question largement examinée au chapitre I.
Ce cloisonnement entrave l'action des régions. Deux exemples, parmi d'autres, le montrent aisément.
La carte des formations a souvent été au coeur des préoccupations exprimées par les personnes auditionnées par la mission.
Dans le même sens, le rapport de la mission d'audit IGF/IGEN sur la carte de l'enseignement professionnel de décembre 2006 a bien relevé la faiblesse de la planification régionale qui se limite trop souvent au rappel d'objectifs généraux, très peu quantifiés.
Il faut rappeler que la carte de la formation professionnelle est établie dans chaque académie en concertation avec la région mais celle-ci a, en général, des difficultés à se saisir de cette compétence. Outre la nouveauté de l'exercice pour elles, le rapport invoque deux éléments de nature différente expliquant cette situation.
Le premier est une difficulté théorique : l'adéquation des formations aux besoins des bassins d'emploi, ou la « relation formation-emploi », est une question délicate à résoudre car elle suppose des connaissances dont les régions ne disposent pas directement.
Le deuxième élément est d'ordre « politique » : les documents de planification devraient permettre de mettre en évidence les nécessaires évolutions de la carte pour l'ensemble des réseaux de formation initiale (offre sous statut scolaire des différents ministères et offre d'apprentissage). Ces évolutions devraient inclure des ouvertures de divisions, voire des créations d'établissements, mais également des fermetures de divisions, voire d'établissements ou tout au moins des regroupements, notamment dans les régions qui connaissent une décrue démographique et/ou dans celles où l'implantation des formations, issue de l'histoire, n'est plus adaptée. On voit bien toute la difficulté de l'exercice pour les régions face aux différents intérêts en jeu.
Le pilotage de l'offre de formation reste donc imprécis et le rapport susmentionné souligne « la prééminence de l'appareil de formation dans l'évolution de la carte scolaire ». Les conseils régionaux n'apparaissent pas encore en capacité d'assurer leur responsabilité dans ce domaine.
L'autre exemple est celui des formations sanitaires et sociales . Le rapport sur la décentralisation de la formation professionnelle et de l'apprentissage présenté par M. Roger Karoutchi 69 ( * ) a également bien mis en relief les enjeux du transfert aux régions de cette compétence. M. Jean-Paul Denanot, président de la commission formation professionnelle de l'ARF, a insisté sur le fait que « les effectifs à renouveler vont être très importants, ce qui suppose un travail en commun avec l'éducation nationale sur le contenu des diplômes d'aides soignants et les besoins à satisfaire en matière d'aide à la personne. »
M. Jean-Paul Denanot a aussi cité l'exemple de la formation des aides soignants : « Aujourd'hui, l'éducation nationale forme des BEP Carrières sanitaires et sociales qui ne débouchent sur aucun métier. Nous tentons de développer l'idée qu'elle pourrait former les aides soignants et peut-être des infirmiers. Le chantier ouvert est important. L'ensemble des acteurs devront être impliqués. Les métiers d'aide à la personne constituent en effet une mine de futurs emplois » .
* 69 Rapport d'information n° 455 (2004-2005) de M. Roger Karoutchi, fait au nom de l'Observatoire de la décentralisation.