B. DES MARGES DE PROGRÈS : LA CAPACITÉ DU SYSTÈME DE FORMATION À RÉPONDRE AUX BESOINS DES JEUNES ET DE L'EMPLOI EN QUESTION
Si la nécessité d'établir un lien plus étroit entre la formation professionnelle et l'objectif d'accès à l'emploi a été réaffirmée, les marges de progrès sont encore significatives : d'une part, notre système de formation professionnelle initiale apparaît encore insuffisamment réactif à ces besoins ; d'autre part, l'incapacité de notre système éducatif à répondre à l'ambition de mener 100 % des jeunes à une qualification constitue une faille majeure, dans un contexte tendant à l'élévation générale du niveau de formation de la population active.
1. Un système de formation professionnelle initiale déconnecté des besoins de l'emploi ?
a) Une inadéquation entre l'offre et la demande de formation
De nombreux intervenants ont mis en avant les problèmes liés à l'inadéquation entre les qualifications des jeunes sortant du système de formation professionnelle initiale - à la fois en termes de niveau et de spécialité - et les besoins exprimés par les entreprises.
Cela renvoie tout d'abord aux carences de notre système d'orientation . Fondé sur la demande sociale des jeunes et des familles, ainsi que sur les contraintes de la carte des formations, il n'est pas organisé de façon à apporter une réponse optimale à la fois aux besoins exprimés par le tissu économique et aux exigences en termes d'aménagement du territoire.
Lors de son déplacement dans le bassin industriel de la Vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, la mission a pu prendre la mesure de ces « désajustements », dans les secteurs en « tension » de la mécanique et du décolletage. Alors qu'il existe d'importants besoins de recrutement et que les débouchés offerts par les entreprises sont attractifs en termes de salaire, les filières de formation correspondantes sont désertées par les jeunes : le taux de remplissage des trente-quatre sections de niveau V des lycées professionnels et centres de formation d'apprentis du bassin de formation oscille ainsi entre 0,4 et 0,8 élève pour une place.
Cette désaffection est en grande partie liée au poids des représentations sociales : les métiers de l'industrie renvoient une image désuète et dévalorisée ; selon une enquête réalisée auprès des parents de collégiens de la Vallée de l'Arve, 80 % des parents ne souhaitent pas que leur enfant se dirige vers le secteur du décolletage, qui constitue pourtant l'un des principaux pôles d'emploi local.
Par ailleurs, le manque de réactivité de la carte des formations conduit à ce que certaines filières, devenues obsolètes au regard des besoins de l'économie et offrant des taux d'insertion médiocres, sont maintenues et continuent à attirer un nombre important de jeunes.
Cette prééminence de l'offre de formation a été pointée du doigt par M. Jean-Raymond Lépinay, président de l'Union nationale des missions locales, en matière d'apprentissage : « l'offre de formation d'apprenti en France est largement en décalage avec les besoins des entreprises. D'une part, il existe de vraies béances par rapport aux besoins économiques concrets. D'autre part, des formations sont maintenues parce qu'elles ont été efficaces alors qu'elles ne sont plus en phase avec la réalité économique . Par ailleurs les régions, qui supportent le coût de la décentralisation, n'ont pas envie d'investir dans un développement de l'apprentissage qui supposerait de nouveaux locaux, de nouvelles machines et un redéploiement des enseignants. »
En outre, le maintien de capacités d'accueil surdimensionnées dans certains BEP incite à s'interroger, dans la mesure où, alors que seuls 28 % des titulaires de BEP obtiennent ensuite un baccalauréat professionnel, ce niveau de formation ne correspond plus, dans certains secteurs, aux exigences de recrutement des entreprises.
Dans une étude parue en 2003, le CEREQ s'interrogeait, ainsi, sur l'« utilité » des CAP et BEP tertiaires, à partir du constat suivant : « Profitant des opportunités ouvertes par l'arrivée d'une abondante main-d'oeuvre juvénile détenant un baccalauréat professionnel ou un bac + 2, les employeurs ont alors modifié leurs exigences et la façon de pourvoir toute une série de postes tertiaires de base. Ces postes d'employés, autrefois occupés par des personnes peu diplômées comme les titulaires d'un CAP ou BEP tertiaire, sont donc aujourd'hui beaucoup plus largement attribués à des personnes ayant un niveau de qualification supérieur. » 8 ( * )
Ce phénomène est plus marqué dans certains domaines d'activité : ainsi, 92 % des aides-comptables débutants en 2001 sont au moins titulaires d'un baccalauréat, alors que ce n'est le cas que de 59 % de l'ensemble des employés du secteur. Or, le BEP « métier de la comptabilité » accueille encore aujourd'hui plus de 20 000 élèves.
Lors de son déplacement en Allemagne, la mission a pu constater les différences nous séparant du le « système dual » de formation professionnelle, présenté en annexe à la présente partie. Si celui-ci n'est pas exempt de critiques ou points faibles, il présent néanmoins l'atout d'offrir une certaine garantie d'adéquation entre l'offre et la demande de formation, en étant articulé autour des besoins des entreprises et du slogan « pas de diplôme sans débouché ».
* 8 « Quelle utilité les CAP et BEP tertiaires aujourd'hui ? », Centre d'études et de recherche sur les qualifications, Bref n° 196, avril 2003.