4. Une mutualisation à deux étages, opaque et faiblement redistributive
Les OPCA ont pour fonction de mutualiser des fonds destinés au financement du plan de formation, de la professionnalisation et du congé individuel de formation. Chaque OPCA affecte la collecte réalisée auprès des entreprises adhérentes au financement de leurs dépenses de formation, en fonction de priorités définies par son conseil d'administration paritaire.
Il y a donc, en principe, dissociation entre le montant des cotisations versées par les entreprises et les prestations que leur fournit l'OPCA. Il existe, en outre, un « deuxième étage » de mutualisation, entre OPCA, au travers du Fonds unique de péréquation (FUP).
Avant toute analyse, une difficulté statistique mérite d'être signalée : en raison, notamment, de l'insuffisance des informations recueillies via la déclaration fiscale n° 24-83, « l'étendue de la mutualisation et le système très complexe de la redistribution des sommes par les organismes collecteurs demeurent (...) largement ignorés », ainsi que le souligne M. André Zylberberg, directeur de recherche au CNRS. De fait, la « 24-83 » ne permet pas de connaître les retours des OPCA faits aux entreprises. Il serait particulièrement utile de disposer d'un outil statistique fiable permettant d'évaluer précisément l'étendue de la mutualisation, qui constitue la principale fonction des OPCA.
a) La mutualisation au sein des OPCA
Certes, ainsi que le rappelle M. Michel de Virville, secrétaire général et directeur des ressources humaines du groupe Renault, « la formation d'un salarié dans une petite entreprise représente un coût rédhibitoire, pour peu qu'elle soit un peu consistante. La mutualisation est donc indispensable pour pouvoir solvabiliser les besoins en formation des petites entreprises ». En réalité, au niveau macroéconomique, la mutualisation par OPCA de branche se traduit par des transferts des petites entreprises , peu utilisatrices de formations et pour lesquelles l'obligation légale ne constitue qu'un prélèvement parmi d'autres, vers les grandes entreprises , volontiers consommatrices de formation continue, alors bénéficiaires nettes.
Pour le plan de formation , il n'y a pas de solidarité entre entreprises de plus et de moins de dix salariés, qui, soumises à des taux différents (0,9 % et 0,5 %), font l'objet d'« enveloppes » distinctes au sein de chaque OPCA. Concernant le plan de formation des entreprises de dix salariés et plus, la mutualisation est, bien souvent, largement fictive 47 ( * ) dans la mesure où le passage par les OPCA n'est pas obligatoire : les organismes collecteurs ont compris que, si certaines entreprises ne rentraient pas dans leurs fonds, elles pourraient décider de gérer leur plan de formation elles-mêmes... Ainsi, les grandes entreprises disposent souvent d'un « droit de tirage » naturel en actions de formation à auteur de leur contribution. La DGEFP 48 ( * ) y voit « un détournement de l'esprit de la loi » et observe que « cette pratique explique pour partie que les partenaires sociaux n'ont pas été en mesure de peser sur l'accès à la formation ».
Le graphique suivant ne contredit pas 49 ( * ) le constat d'une absence globale de mutualisation pour le plan de formation :
Une mutualisation globalement inopérante pour les OPCA-Plan de formation
Source : DARES
Note de lecture : le graphique donne la part dans le versement aux OPCA et la part dans les dépenses des OPCA de quatre classes de taille d'entreprises, pour 1999 et 2005. Une classe située au-dessus de la bissectrice reçoit plus qu'elle ne donne et inversement. Par exemple, en 2005, les entreprises de 10 à 199 salariés ont versé 49,6 % des fonds collectés par les OPCA-Plan de formation et ont été destinataires de 46,5 % des charges des OPCA.
Ainsi, bien souvent, le rôle central de certains OPCA s'apparente plutôt à celui de gestionnaire de trésorerie qu'à celui d'interface de redistribution en fonction des besoins constatés...
Certes, les accords de branche désignant un OPCA obligatoire avec un plancher de perception élevé sont de nature à favoriser un certain degré de mutualisation. Et, en toute logique, la mutualisation se fait plus consistante pour le plan de formation des entreprises de moins de dix salariés, la professionnalisation et le CIF , qui font l'objet de versements obligatoires de la part des entreprises.
Concernant ces deux dernières contributions les graphiques suivants attestent d'une réelle mutualisation, dont l'intensité paraît cependant aller décroissante pour la professionnalisation :
Les OPCA-Professionnalisation favorisent l'alternance dans les petites entreprises
Source : DARES
Note de lecture : le graphique donne la part dans le versement aux OPCA et la part dans les dépenses des OPCA de quatre classes de taille d'entreprises, pour 2004 et 2005. Une classe située au-dessus de la bissectrice reçoit plus qu'elle ne donne et inversement. Par exemple, en 2005, les entreprises de 10 à 199 salariés ont versé 39,3 % des fonds collectés par les OPCA professionnalisation et ont été destinataires de 31,4 % des charges des OPCA.
L'effet redistributif des OPCA-CIF-CDI
Source : DARES
Note de lecture : le graphique donne la part dans le versement aux OPCA et la part dans les dépenses des OPCA de quatre classes de taille d'entreprises, pour 1999 et 2005. Une classe située au-dessus de la bissectrice reçoit plus qu'elle ne donne et inversement. Par exemple, en 2005, les entreprises de 10 à 199 salariés ont versé 39,2 % des fonds collectés par les OPCA CIF-CDI et ont été destinataires de 42,0 % des charges des OPCA.
Mme Martine Möbus , du CEREQ, relève que « les syndicats allemands sont (...) très curieux de notre système de mutualisation des dépenses . Une partie d'entre eux souhaiterait même adopter un système comparable. Cependant, des facteurs historiques expliquent que les Allemands ne tiennent pas à adopter un cadre réglementaire aussi important. D'ailleurs, les Allemands n'ont pas l'habitude des négociations interprofessionnelles. Les négociations s'y déroulent avant tout au niveau des branches. Par ailleurs, l'employeur allemand n'est soumis à aucune obligation de financer la formation ou de former ses salariés. Le plus souvent, les initiatives en la matière sont mixtes, et reviennent à l'individu, à l'entreprise et à l'État, qui soutiendra les individus, par le moyen de prêts ou de bourses ».
* 47 Si certains contrôles ponctuels de l'IGAS confirment un très faible niveau de mutualisation que relèvent, par ailleurs, de nombreux observateurs, il est malheureusement impossible d'évaluer exactement l'étendue de la mutualisation, ni au travers de la déclaration n° 2483 (supra), ni par le croisement de cette déclaration avec les états statistique et financier (souscrits par chacun des OPCA), ces derniers globalisant les ressources de l'organisme paritaire.
* 48 « Premiers éclairages sur la réforme de la formation professionnelle », rapport coordonné par Jean-François Dumont sous la direction de Pierre Le Douaron, octobre 2006.
* 49 Si le graphique montre que les transferts sont faibles entre classes d'entreprises établies selon leur nombre de salariés, il ne permet pas d'établir l'absence de mutualisation entre les entreprises au sein d'une même classe.