b) Les effets pervers du cloisonnement
On a mentionné plus haut certains inconvénients de la gestion selon une logique de branche professionnelle des outils de la formation des salariés confiés aux OPCA. Il s'agit d'un aspect marginal de la problématique du cloisonnement des dispositifs. Il convient d'envisager celle-ci dans une optique plus large.
(1) Les zones d'ombre
Qui dit cloisonnement dit interstices. Une des critiques du système les plus souvent entendues au cours des auditions de la mission a porté sur la prégnance de ces interstices que l'on tente incessamment de combler par la méthode des tuyaux d'orgue.
On a déjà évoqué certaines de ces « zones d'ombre ». Mme Annie Thomas, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), en a ainsi résumé les aspects essentiels :
« En tant que présidente de l'UNEDIC, je souhaite signaler que nous manquons d'un dispositif de formation longue et qualifiante pour les personnes en situation ou qui souhaiteraient se reconvertir ou changer d'orientation. Les dispositions au niveau de l'UNEDIC sont en adéquation avec les emplois, en particulier avec les « métiers en tension ». Pour le reste, la situation est plus compliquée. Les salariés sont partout appelés à être mobiles mais les dispositifs ne sont pas en mesure de leur offrir la plate-forme qui leur permettrait d'être vraiment mobiles. Or, un sondage de la semaine dernière indiquait que 54 % des Français pouvaient envisager de changer d'orientation dans l'année. Nos concitoyens ne sont pas donc pas aussi fermés que nous pourrions le croire sur ces questions.
« Je dépasse maintenant les salariés stricto sensu. Le problème d'accès à la formation des demandeurs d'emploi non indemnisés ou des RMIstes est grave, car ces personnes auraient justement le plus besoin d'acquérir des qualifications. Elles doivent pourtant aller jusqu'à se former à l'ingénierie de leur propre formation. Cette situation n'est pas acceptable pour la CFDT et nous plaidons pour le décloisonnement des dispositifs, et pour que les besoins des personnes figurent au centre des systèmes d'État, des régions et des partenaires sociaux. Nous souhaitons que ce soit ces besoins, et non pas leurs statuts ou les financements afférents, qui décident, comme aujourd'hui. Le chemin est facilité pour un demandeur d'emploi indemnisé qui souhaite s'orienter dans un métier en tension ou pour un salarié demandant un congé individuel de formation. Les autres cas connaissent un véritable parcours du combattant. L'Association des départements de France, que nous avons officiellement et pour la première fois rencontrée à la CFDT il y a quinze jours, se désolait également de cette réalité.
« Je comprends que nous discutions du DIF et des OPCA et des améliorations à apporter au dispositif, mais il faut aussi se préoccuper des « zones d'ombre » qui existent. A ce titre, et au risque de dépasser les limites du sujet, je veux évoquer les jeunes sortis du système scolaire sans qualification. Tel est le cas de 150 000 jeunes chaque année, soit 20 % de la classe d'âge. Or, depuis dix ans, ce chiffre n'a pas augmenté, certes, mais n'a pas non plus baissé. Il est considérable. Il ne faut pas oublier cet élément lorsque le système de formation professionnelle est abordé. En effet, tous les individus ne sont pas à égalité et le système de formation professionnelle n'est pas l'école de la deuxième chance. Cette idée est généreuse mais elle n'est pas la réalité. Il faut donc reconnaître en toute lucidité que nous manquons d'un dispositif simple de type suédois, dans lequel les jeunes sans bac sont immédiatement pris en charge par leur collectivité locale. Au travers de formations par alternance, de stages ou de retour à l'enseignement académique, la nation s'engage à ce que ces personnes acquièrent une qualification. Il ne faut pas créer de nouveau un contrat mais une obligation. Cette obligation signifie que l'éducation nationale met en place des systèmes pour remédier à cette question. Il est inacceptable que cette situation perdure. Nous pensons que la mise en place du socle commun de base et de compétence est une première réponse mais il faudra en inventer d'autres. »
Notons alors l'inlassable alignement de nouveaux tuyaux d'orgue ne parvenant pas à couvrir l'éventail des situations dignes d'être prises en compte. Lors de son audition par la mission, M. Christian Charpy, directeur général de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) a évoqué des dispositifs mis récemment en place à l'intention de publics spécifiques de demandeurs d'emploi : « la convention de reclassement personnalisé (CRP), créée en avril 2005, fait suite à la loi de cohésion sociale. Elle permet aux personnes licenciées économiques de choisir entre une situation de chômage classique et une CRP. Avec le premier choix, la personne s'inscrit à l'ANPE et perçoit 57 % de son salaire antérieur. Dans le cadre d'une CRP, le contrat de travail du salarié est rompu deux mois plus tôt, c'est-à-dire qu'il n'effectue pas sa période de préavis et devient stagiaire de la formation professionnelle. Le dispositif d'accompagnement est meilleur puisqu'il bénéficie d'une mobilisation conséquente des moyens de formation. [...] Récemment, l'État a créé un dispositif CRP+, que nous appelons le contrat de transition professionnelle (CTP) qui ressemble à la CRP. Cependant, il s'avère mieux doté, avec une indemnisation supérieure pour le salarié, des moyens de formation plus développés et un accompagnement mieux encadré ». A propos du CTP, M. Joël Ruiz, directeur général de l'AGEFOS-PME, a indiqué à la mission, dans un sens comparable, que cet instrument était d'abord, plus qu'un nouveau contrat, un statut visant des personnes licenciées pour motif économique, qui vont alterner pendant une période des contrats à durée déterminée, des petits « jobs », de la formation, des périodes de chômage, sans être pénalisées au titre du régime d'allocation de l'assurance chômage. S'il existait un statut d'actif unifiant les statuts, a-t-il précisé, la création de ce dispositif particulier n'aurait pas été nécessaire. Il s'agissait donc de combler un vide.
Des pistes nouvelles répondant à des besoins non couverts ont été évoquées par M. Christian Charpy : « nous souhaitons développer un travail approfondi avec les conseils régionaux, afin que leurs cartes de formation présentent des dispositifs spécifiquement destinés aux chômeurs non indemnisés. Aujourd'hui, ces derniers ne sont pris en charge nulle part ailleurs. En outre, l'État s'est largement désengagé des dispositifs dans le cadre de la décentralisation. Ainsi, la première volonté de l'Agence est d'offrir une garantie d'égalité d'accès aux formations entre personnes indemnisées et non indemnisées. De plus, nous avons le sentiment que, pour les allocataires du RMI et les chômeurs en fin de droits, la carte de formation n'est pas adaptée. Ces catégories ne sont pas prises en compte dans les dispositifs de formation. Nous menons donc une action d'expertise, de conseil et de lobbying auprès des conseils régionaux afin qu'ils créent des structures adaptées ».
De son côté, M. Pierre Boissier, directeur général de l'AFPA, estimait à cet égard, et plus généralement, que : « l'articulation entre les conseils régionaux et la multiplicité des acteurs intervenant dans le champ de la formation doit être précisée. Le financement des formations est également assuré par l'État, l'assurance chômage et les conseils généraux, pour les bénéficiaires du RMI. De même, la prescription de formations appartient à l'ANPE et à ses cotraitants. Il faut que les conseils régionaux reconnaissent la prescription de l'ANPE pour accéder aux stages qu'ils financent ».
Dans sa thèse déjà évoquée, M. Marc Ferracci pointe les raisons de ces situations et en résume les conséquences : « la coexistence d'objectifs différents des financeurs (ainsi l'UNEDIC concentre-t-elle ses interventions sur la satisfaction immédiate des besoins en main-d'oeuvre et l'ajustement des compétences) pose problème quand un stage doit être cofinancé ; en l'absence de diagnostic commun sur les besoins en formation, l'offre se construit de façon non concertée, ce qui suscite des doublons dans les stages proposés par l'État et par la région, et rend difficile le montage des cofinancements ».
Aucun interlocuteur de la mission n'a tenté d'esquisser la démonstration inverse...