b) Le pragmatisme des missions locales et la remotivation des jeunes en situation difficile
(1) L'efficacité de la démarche d'insertion des jeunes : son caractère global, le suivi par un référent unique et le contact direct avec l'employeur
L'insertion des jeunes constitue l'un des défis majeurs auxquels notre pays est confronté.
Les missions locales doivent quotidiennement trouver des solutions concrètes et adaptées à ceux qui sont le plus en difficulté. Elles portent, de ce fait, un regard plus réaliste et plus global sur le système de formation professionnelle qu'elles tentent de mobiliser. Les missions locales sont particulièrement bien placées pour mettre en évidence les limites de la formation stricto sensu au regard des facteurs dit « périphériques » mais cependant essentiels que sont la motivation des jeunes, l'orientation à travers la complexité ou les contradictions des différentes filières et enfin les difficultés familiales, de logement ou de transport.
L'accueil de plus d'un million de jeunes chaque année dont certains sont aujourd'hui fortement diplômés.
Les quelques 600 missions locales constituent un réseau mal connu du grand public mais particulièrement apprécié par les élus : ces associations, chargées d'une mission de service public partagée entre l'État, les régions et les autres collectivités territoriales, s'efforcent, en effet, d'aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans, en difficulté, à s'insérer au plan professionnel et social.
Le rapport sur l'insertion professionnelle et sociale des jeunes de M. Bertrand Schwartz avait préconisé, en 1981, une « remise en jeu économique et sociale des jeunes » , par une politique d'ensemble de qualification, de développement de l'alternance et du tutorat en entreprise. Telle est, notamment, l'origine de la création du réseau des missions locales (ML) et permanences d'accueil, d'information et d'orientation des jeunes instituées par une ordonnance du 26 mars 1982.
Leur vocation, très large, est d'aider à l'insertion sociale et professionnelle les jeunes de seize à vingt-cinq ans les moins qualifiés ou ayant des difficultés de toute nature. Cette action s'inscrit en particulier dans les priorités des plans régionaux de développement de la formation professionnelle.
Plus de 11 000 personnes, soit environ la moitié des effectifs de l'ANPE, travaillent dans les missions locales. Leur financement, entièrement public, est assuré par l'État, les collectivités territoriales et le Fonds social européen (10 %).
Le Plan de cohésion sociale et la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, ont conforté le rôle et la participation du réseau des ML-PAIO au service public de l'emploi.
Selon le rapport d'activité 2005 du Conseil national des missions locales, les 404 missions et 100 permanences d'accueil d'information et d'orientation (PAIO) ont accueilli 1,15 million de jeunes dans l'année. Parmi eux, 960 000 jeunes ont été reçus en entretien (entretien individuel par un conseiller, atelier ou information collective). Le réseau a permis à 455 000 jeunes l'accès à un emploi ou à une formation professionnelle dans l'année.
L'activité globale du réseau a fortement augmenté. Avec plus de 3 millions d'entretiens individuels assurés auprès des jeunes en 2005 contre 2,5 millions en 2004, l'accompagnement des jeunes dans leur parcours d'insertion s'est renforcé. Cet accompagnement soutenu au bénéfice d'un plus grand nombre de jeunes sans qualification résulte de la mise en place en mai 2005 du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS). Avec le CIVIS les missions locales mettent en oeuvre le droit à l'accompagnement pour tous les jeunes confrontés à un risque d'exclusion professionnelle, institué par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005. 122 280 jeunes sont entrés dans ce programme en 2005.
L'audition de M. Jean-Raymond Lepinay, président de l'Union nationale des missions locales (UNML) a fait ressortir des enseignements fondamentaux sur la façon d'adapter les parcours de formation et d'insertion aux réalités humaines telles qu'on les rencontre sur le terrain.
Rappelant , tout d'abord, que chaque mission locale est présidée par un élu, il a ensuite présenté à la mission sénatoriale les résultats inédits du tout récent dépouillement d'une enquête nationale exhaustive sur leur activité globale au cours de l'année 2006 : parmi les 1,1 million de jeunes qui ont été accompagnés dans leur démarche d'insertion, 44 % d'entre eux n'avaient aucun diplôme et 21 % étaient titulaires d'un BEP ou d'un CAP. Une part résiduelle de ces jeunes accueillis par ces associations en 2006 était fortement diplômée : la mission d'information s'inquiète de ce phénomène récent qui concerne, par exemple, des titulaires d'une formation bac + 5 se trouvant en difficulté depuis plusieurs années, notamment en raison de problèmes de logement.
Une méthode d'insertion efficace : à rebours de la dispersion et de la « logique de l'offre ».
La mission d'information a été frappée de constater à quel point l'efficacité de l'insertion des jeunes repose sur une démarche qui prend le contre-pied exact des défauts de cloisonnement et de dispersion parfois reprochés au système de formation professionnelle ou au service public de l'emploi.
Le représentant des missions locales a en effet décrit la méthode de prise en charge des jeunes qui comporte trois moments essentiels :
- l'accès et la préparation à l'emploi qui incorporent la découverte de l'entreprise et la préqualification ;
- le rapprochement du jeune avec l'entreprise ;
- et enfin l'entrée, ainsi que le maintien, dans l'emploi.
La mission d'information a également noté avec intérêt un certain nombre de préceptes dont la pertinence est généralisable bien au-delà de l'action des associations en charge de l'insertion des jeunes en difficulté.
- La « réactivité » des différents acteurs au cours du processus est fondamentale : il s'agit d'éviter les ruptures et les lenteurs au moment où le jeune est prêt à enchaîner les étapes de son parcours d'insertion, faute de quoi, bien souvent, « tout le travail est à reprendre à zéro ».
- L'accompagnement du jeune au cours de ces trois séquences par un référent unique et bien identifié est également un facteur essentiel de réussite. A l'inverse, les missions locales mettent en garde contre toute forme de « segmentation » de ce cheminement vers l'emploi, qui se traduit par d'éventuelles remises en cause de la pertinence des parcours définis par la mission locale et par de nouvelles orientations susceptibles de déstabiliser le jeune dans son élan. Ce besoin de cohérence avait été pris en compte par l'État qui a confié le pilotage exclusif du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) aux missions locales.
S'agissant des actions de qualification, seuls 20 % des jeunes pris en charge par les missions locales ont eu accès à une formation en 2006. A cet égard, M. Jean-Raymond Lépinay a estimé que, dans la pratique, la « logique de l'offre » de formation l'emporte trop souvent sur l'ajustement aux besoins.
Dans ces conditions, l'accès à l'intérim ou à des « petits boulots » apparaît souvent, comme décisif et plus efficace que bien des actions de qualification, à condition de veiller à donner des moyens de « survie financière » au jeune, entre deux phases d'intérim et en facilitant son accès au logement. En outre, la mobilité et le logement constituent souvent, bien plus encore que la formation, des facteurs d'insertion essentiels.
Le concept « d'emploi durable » apparaissant aujourd'hui assez largement comme une illusion, en raison de la mobilité actuelle du marché du travail, les missions locales, s'efforcent de maintenir l'accompagnement du jeune au moins jusqu'à la fin de la période d'essai lorsqu'il obtient un contrat à durée indéterminée, et également de « gérer l'interstitiel » entre deux contrats à durée déterminée (CDD).
Un cri d'alarme en faveur des 1,1 million de jeunes accueillis chaque année
M. Jean-Raymond Lépinay a enfin lancé un cri d'alarme que la mission sénatoriale tient à amplifier, en rappelant que notre pays se place dans les derniers rangs de l'Union européenne pour le taux d'emploi de ses jeunes et que l'impression d'être délaissés qu'ils éprouvent interpelle non seulement les pouvoirs publics, mais aussi les entreprises. De plus les systèmes d'insertion sont eux-mêmes soumis à un « compartimentage » qui induit des effets de seuil importants et une « fracture » pour les jeunes âgés de plus de vingt-six ans qui, en principe, ne relèvent plus des missions locales mais, le cas échéant, du revenu minimum d'insertion et de dispositifs gérés par les conseils généraux.
La mission, rendant hommage à l'action des missions locales qui « transforment des parcours chaotiques en parcours plus linéaires », souligne que l'origine des difficultés des jeunes ne doit plus être rattachée au seul échec en fin de scolarité obligatoire :
- d'une part, dans les premiers cycles universitaires, trop d'étudiants « perdent deux ans pour n'obtenir aucun diplôme » ;
- d'autre part , les acteurs de l'insertion constatent, dans leur public, un accroissement de la proportion de jeunes diplômés à bac+5 ou d'ingénieurs, eux aussi parfois « en galère ».