C. LA LOLF, UN DISPOSITIF TRANSPOSABLE AUX OPÉRATEURS ?
La mise en oeuvre de la LOLF a eu des conséquences importantes sur la budgétisation et les modalités de gestion interne des opérateurs, ce qui s'est traduit, pour la plupart d'entre eux, par des lourdeurs administratives fortes et des difficultés d'apprentissage , dont il convient de tenir compte.
Mais surtout, la mission de contrôle de votre rapporteure spéciale sur les agences de sécurité sanitaire l'a amenée à s'interroger, de façon plus transversale, sur la déclinaison des principes de la LOLF aux opérateurs de l'Etat . Le thème des agences sanitaires a, en effet, joué comme un révélateur de l'ambiguïté de la notion d'opérateur et de l'application difficile des principes de la loi organique à ces derniers.
1. L'opérateur, un objet juridique non identifié ?
La notion d'opérateur existait avant la mise en oeuvre de la LOLF . Elle figurait notamment dans la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 1995 relative à la réforme de l'Etat. « Les « opérateurs », dont le rôle « consiste à gérer, à appliquer des réglementations ou à servir des prestations », étaient alors définis par opposition à l'État « régulateur » » 81 ( * ) .
Mais le terme n'apparaît pas en tant que tel dans la LOLF . Il s'agit d'une notion budgétaire et comptable élaborée a posteriori pour accompagner sa mise en oeuvre.
Plusieurs documents ont tendu à clarifier ce concept , démontrant par la même le caractère mouvant de la définition 82 ( * ) , la dernière d'entre elles est donnée par la circulaire du 14 mai 2007 relative au projet de loi de finances pour 2008 : « une entité dotée de la personnalité morale, quel que soit son statut juridique est présumée appartenir au périmètre des opérateurs de l'Etat dès lors qu'elle répond cumulativement à trois critères :
- une activité de service public ;
- un financement assuré majoritairement par l'Etat (dotation budgétaire ou ressources affectées) ;
- un contrôle direct par l'Etat ».
Outre la valeur juridique réduite des documents qui définissent cette notion, votre rapporteure spéciale a relevé une contradiction : l'EFS et l'INTS sont inscrits sur la liste des opérateurs de la mission « sécurité sanitaire », alors même qu'ils ne reçoivent pas de subventions publiques et ne répondent donc pas au second critère de la définition d'un opérateur.
D'après les propos recueillis auprès de la direction du budget, ces deux agences seraient des opérateurs secondaires . Néanmoins, selon votre rapporteure spéciale, il convient de clarifier cette définition, dans un texte de valeur juridique supérieur à celle d'une simple circulaire, afin de déterminer la nature du contrôle et du pilotage que les responsables de programme sont en mesure d'exercer sur ces derniers .
2. L'exercice de la tutelle budgétaire
Comme les interlocuteurs de votre rapporteure spéciale ont pu le souligner, la LOLF induit, s'agissant de l'exercice de la tutelle budgétaire des agences, une nouvelle configuration des rôles respectifs des ministères et de la direction du budget . A terme, celle-ci devrait tendre à recentrer son rôle sur l'analyse de la justification au premier euro, qui détermine le montant de l'enveloppe budgétaire globale allouée au programme concerné . La direction du budget ne serait dès lors plus chargée de déterminer le montant de la subvention pour charges de service public de chaque opérateur et d'examiner en détails les crédits alloués à ces derniers. Il reviendra, en revanche, au responsable de programme de ventiler les crédits entre BOP et opérateurs , ventilation qui devra intervenir après un dialogue de gestion avec l'agence. En cours d'exécution, le responsable de programme devrait également être conduit à piloter cette subvention en fonction de la réalisation ou non des objectifs fixés à l'opérateur .
Si votre rapporteure spéciale approuve cette nouvelle répartition des compétences entre la direction du budget et les responsables de programme, et estime que le rôle de ces derniers dans la budgétisation initiale des crédits alloués aux agences doit se renforcer, elle s'interroge néanmoins sur leurs marges de manoeuvre actuelles , ainsi que sur leurs compétences techniques pour assumer ce nouveau rôle .
Ces nouveaux acteurs impliquent, en effet, de repenser les logiques administratives traditionnelles , qui ne peuvent plus reposer sur une organisation hiérarchique de l'administration, mais sur son organisation en réseau. La LOLF invite, en effet, à dissocier la responsabilité managériale du niveau hiérarchique. Or, ceci suppose un changement culturel fort qui ne semble pas encore avoir eu lieu.
3. L'articulation des programmes annuels de performances (PAP) et les contrats d'objectifs et de moyens (COM) ou contrats de performance
En ce qui concerne la mesure de la performance des opérateurs , votre rapporteure spéciale entend souligner certaines difficultés ou contradictions :
- s'agissant, tout d'abord, de la couverture de l'activité des opérateurs au sein des PAP, une contradiction semble émerger entre, d'une part, la nécessité de réduire le nombre d'indicateurs présentés dans ces documents et, d'autre part, la nécessité d'y retracer l'activité de tous les acteurs participant à la performance du programme (services de l'administration centrale, services déconcentrés et opérateurs). C'est pourquoi la déclinaison des objectifs et indicateurs doit avant tout passer par les COM et contrats de performance signés entre opérateurs et administration de tutelle ;
- cette première réflexion appelle une seconde remarque : la nécessaire articulation des COM ou des contrats de performance avec les objectifs des PAP. Comme votre rapporteure spéciale l'a souligné, les contrats, qui viennent d'être signés avec certaines des agences sanitaires, sont essentiellement axés sur les missions des opérateurs et non sur les objectifs du programme. Ceci peut, certes, s'expliquer par le fait qu'il s'agissait des premiers contrats signés et que leur but était, à ce stade, de préciser les missions et le positionnement de l'agence dans le schéma d'ensemble de la sécurité sanitaire. Néanmoins, à terme, il convient de veiller à une meilleure articulation des deux documents ;
- enfin, une clarification semble nécessaire s'agissant de la contractualisation sur les moyens . Il est vrai qu'un engagement financier pluriannuel peut être source de rigidités budgétaires et être difficilement compatible avec l'annualité budgétaire. Néanmoins, il donnerait aux opérateurs plus de visibilité et leur permettrait de mieux planifier leurs activités . D'ailleurs, il semble difficile de s'inscrire dans une logique de performance, -qui doit mettre en relation les résultats attendus par rapport aux moyens engagés, sans contractualisation sur les moyens .
4. La gestion et le suivi des effectifs
Quant aux effectifs, la LOLF implique des règles nouvelles de gestion avec notamment la règle du « plafond d'emploi » et de la « fongibilité asymétrique », selon laquelle les excédents de crédits de personnel peuvent servir à financer des dépenses de fonctionnement, mais pas l'inverse.
Selon votre rapporteure spéciale, il apparaît nécessaire de réfléchir à leur application aux opérateurs de l'Etat, sous peine de renoncer à la LOLF.
• Le plafond d'emploi
Les emplois rémunérés par les opérateurs n'entrent pas aujourd'hui dans le plafond d'emplois ministériels, voté par le Parlement .
Certes, ces emplois font l'objet d'un plafond voté par le conseil d'administration de l'agence. Par ailleurs, la présentation du détail des emplois des opérateurs dans les PAP permet d'améliorer l'information du Parlement . Il semble également, selon les propos recueillis par votre rapporteure spéciale, que l'inscription des effectifs prévisionnels des opérateurs dans les PAP soit un instrument important de négociation avec les agences ; ce plafond devenant une sorte de référence opposable à l'agence. Cependant, il n'est pas soumis au vote du Parlement et les dépenses de personnel des opérateurs n'entrent pas dans la norme de dépense de l'Etat.
Pour votre rapporteure spéciale, la question du contrôle des effectifs des opérateurs doit néanmoins être examinée au regard du principe d'autonomie de gestion des agences. En effet, inclure les effectifs des opérateurs sous le plafond d'emploi de l'Etat permet, certes, un contrôle accru du Parlement, mais pourrait être de nature à remettre en cause l'autonomie de gestion des opérateurs.
• La fongibilité
Le budget de l'agence est voté en trois enveloppes : dépenses de personnel, de fonctionnement, d'investissement. La fongibilité s'exerce à l'intérieur de ses trois enveloppes. Ceci a introduit une certaine souplesse de gestion en réduisant de façon significative le nombre de décisions modificatives jusqu'alors nécessaires. En revanche, les mouvements de crédits entre ces trois enveloppes doivent toujours faire l'objet d'un vote de décision modificative par le conseil d'administration.
C'est pourquoi, comme le préconise la mission d'audit de modernisation menée sur les opérateurs du ministère de la culture 83 ( * ) , votre rapporteure spéciale s'interroge sur la possibilité d'autoriser à terme une plus grande fongibilité des crédits des opérateurs entre les trois enveloppes, à condition d'appliquer parallèlement la règle de la « fongibilité asymétrique », c'est-à-dire uniquement des crédits de personnel vers les crédits d'investissement ou de fonctionnement.
Ces difficultés étant des thèmes récurrents soulevés par votre commission des finances, votre rapporteure spéciale propose que soit menée une réflexion approfondie sur l'application des principes de la LOLF aux opérateurs de l'Etat .
La question est simple : la LOLF est-elle applicable aux opérateurs ? Si non, disons-le ; si oui, faisons-le.
* 81 Mission d'audit de modernisation, IGF/IGAAC, rapport sur la tutelle et le pilotage des opérateurs au ministère de la culture, avril 2007.
* 82 Note d'orientation de la direction de la réforme budgétaire du 11 avril 2003 ; circulaire du 31 juillet 2006 de la direction du budget.
* 83 Mission d'audit de modernisation, IGF, IGAAC, rapport sur la tutelle et le pilotage des opérateurs de la culture, avril 2007.