B. ALLER VERS UN « ETAT STRATÈGE »
En matière de sécurité sanitaire, les principales propositions de réforme ont souvent porté sur l'architecture des agences, l'indépendance de l'expertise ou les dispositifs de veille, c'est-à-dire, en réalité, sur la partie « évaluateur » du dispositif. Or, les marges de progression portent également et, peut-être même surtout, sur le « gestionnaire » du risque sanitaire, c'est-à-dire l'administration et ses modes de gouvernance.
Pour votre rapporteure spéciale, les modalités de décision et d'action de l'Etat doivent être revues en profondeur, afin de devenir celles d'un véritable « Etat stratège ».
1. Les missions de l'« Etat stratège »
a) Un Etat qui maîtrise son périmètre
Un Etat stratège est, tout d'abord, un Etat qui connaît et maîtrise son périmètre . Or force est de constater que cela n'est pas le cas aujourd'hui en matière de sécurité sanitaire. La multiplication d'instances aux compétences imbriquées et aux statuts hétérogènes, source de dispersion de moyens financiers et de compétences, en est le témoin.
C'est pourquoi, votre rapporteure spéciale préconise :
- un réexamen de l'ensemble des structures compétentes en matière de sécurité sanitaire en termes de coût de fonctionnement et d'utilité effective au regard des différentes instances existantes et notamment des agences ;
- la réalisation systématique d'études d'impact avant la création de toute nouvelle structure.
b) Un Etat qui se fixe une vision de long terme
La sécurité sanitaire, domaine pluridisciplinaire et mouvant, nécessite également une vision prospective et une continuité dans l'action de l'Etat , ce qui suppose :
- un travail interministériel réel et efficace ;
- une impulsion politique forte ;
- la fixation d'un nombre réduit d'objectifs hiérarchisés ;
- le suivi régulier de ces derniers .
Pour ce faire, votre rapporteure spéciale suggère, comme l'y invitait également la mission dirigée par le professeur Jean-François Girard, de mettre en place une instance interministérielle placée sous l'autorité du Premier ministre et regroupant l'ensemble des acteurs de la politique sanitaire . Cette instance pourrait être créée à partir de l'actuel Comité national de santé publique, à condition d'en revoir la composition et notamment de prévoir son ouverture aux agences sanitaires.
c) De la tutelle au pilotage
Enfin, la LOLF, comme la mise en place d'agences, suppose une rénovation en profondeur de la définition et de l'exercice de la tutelle , celle-ci devant principalement s'orienter vers la supervision stratégique et le suivi de la performance. Il est dès lors indispensable de s'interroger sur ce que doit être « le pilotage » d'une agence.
• Les travaux menés sur les opérateurs de la culture, un exemple à suivre
De ce point de vue, votre rapporteure spéciale a trouvé éclairants les travaux menés, par la mission d'audit de modernisation IGF/IGAAC 79 ( * ) , sur la tutelle et le pilotage des opérateurs du ministère de la culture . Elle a notamment relevé la définition donnée de la notion de « pilotage » qu'elle estime pouvoir être appliquée aux opérateurs de la mission « Sécurité sanitaire » et qui est présentée dans l'encadré suivant :
Pilotage d'un opérateur Définition : Détermination et suivi par un service de l'Etat des objectifs de la ou des politiques publiques mises en oeuvre par un opérateur. Activités principales : - négociation des objectifs et élaboration des indicateurs de mesure de l'activité et de la performance, formalisée dans un contrat de performance ; - analyse annuelle ou infra-annuelle des résultats des indicateurs par rapport aux cibles fixées ; - allocation des subventions en fonction de la performance atteinte dans l'exécution des budgets antérieurs, des objectifs fixés pour l'année suivante et de l'évaluation des ressources propres ; - évaluation des résultats de l'opérateur ; - détermination des modalités et du montant de la rémunération à la performance des dirigeants. Activités complémentaires : - contrôle de la soutenabilité budgétaire et détection des risques financiers, réalisation d'analyses financières par le contrôleur financier ; - réalisation d'analyses financières par le comptable. Source : mission d'audit de modernisation, IGF/IGAAC, Rapport sur la tutelle et le pilotage des opérateurs du ministère de la culture, avril 2007, page 4 |
• Le degré d'autonomie à accorder aux agences, l'étude des références étrangères
La question du pilotage des agences rejoint une autre réflexion de votre rapporteure spéciale, à savoir le degré d'autonomie qu'il convient d'accorder aux agences sanitaires. Car si la sécurité sanitaire doit rester une prérogative régalienne , l'autonomie de gestion des agences peut également être un vecteur d'efficience.
Pour cela, votre rapporteure spéciale s'est intéressé aux dispositifs de veille et de sécurité sanitaires mis en place à l'étranger. Même si toute schématisation présente ses limites, deux grands modèles se dégagent :
- le modèle « tout agence » anglo-saxon et suédois où la gestion des risques sanitaires est confiée à des agences indépendantes ;
- le modèle de gestion ministérielle danois, où celle-ci est assurée, à titre principal, par l'administration.
Le système français , qui repose sur le principe de séparation des fonctions d'évaluation (dévolue aux agences) et de gestion du risque (qui relève de la responsabilité des administrations) semble dès lors offrir une voie intermédiaire entre ces deux modèles.
A ce stade et faute d'investigations approfondies, votre rapporteure spéciale ne peut conclure à la performance d'un modèle sur un autre . Une étude précise des références étrangères pourrait néanmoins apporter un éclairage intéressant sur le point d'équilibre à établir entre, d'une part, la préservation des prérogatives régaliennes et, d'autre part, la recherche d'une plus grande efficience du dispositif.
2. Les instruments de l'« Etat stratège »
a) Des moyens budgétaires clairement identifiés
Un préalable nécessaire au pilotage de toute politique publique est la connaissance exacte des moyens budgétaires consacrés à celle-ci. C'est pourquoi votre rapporteure spéciale préconise, comme le suggère le CIAP 80 ( * ) , que le Parlement puisse disposer d'un document de politique transversale « Sécurité sanitaire », piloté par le ministère de la santé.
b) Un profil diversifié des gestionnaires du risque
La réorientation de l'exercice de la tutelle vers le pilotage stratégique des opérateurs suppose également de revoir les compétences des personnels chargés de cet exercice, et particulièrement des responsables de programme . L'anticipation des risques, l'évaluation de la performance nécessitent en effet la mobilisation de ressources humaines qui combinent spécialité technique, management et gestion. Pour votre rapporteure spéciale, cette démarche doit s'inscrire dans l'instauration d'une réelle gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences au sein de l'administration.
c) Une contractualisation plus évidente
Selon votre rapporteure spéciale, il est enfin indispensable que soit élaboré, pour chaque opérateur, un document où la performance annuelle de celui soit lisible . Ce document devrait être à la fois axé sur les objectifs des PAP et permettre de retracer les gains annuels d'efficience de chaque agence.
* 79 Mission d'audit de modernisation, IGF/IGAAC, rapport sur la tutelle et le pilotage des opérateurs au ministère de la culture, avril 2007.
* 80 CIAP, rapport d'audit n° 2006-AI-R-39-01 sur le programme n° 228.