c) Conforter le rôle de la volonté des parties
La mission est en revanche favorable au renforcement du rôle de la volonté des parties, à la condition de protéger les plus faibles.
(1) Etendre la liberté contractuelle, sauf en cas de déséquilibre entre les parties
La proposition de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription consistant à prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par accord des parties ou de leurs représentants légaux, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, suscite des avis divergents .
Mme Valérie Lasserre-Kiesow, professeur à l'université du Maine, la CCIP et l'AFEP, y ont largement souscrit.
Le MEDEF et la FBF ont estimé que les parties devaient être autorisées à diminuer mais non à augmenter contractuellement les délais de prescription.
M. Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du trésor et de la politique économique du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, professeur à l'université de Paris 2, et l'association de consommateurs CLCV ont souligné l'importance du déséquilibre entre les parties dans les contrats d'adhésion. La garantie que représente la prohibition des clauses abusives est apparue trop fragile aux yeux de certains, parmi lesquels M. Dominique Main, avocat général à la chambre commerciale de la Cour de cassation. Aussi a-t-il été suggéré de réserver aux relations entre professionnels la possibilité d'aménager contractuellement des délais de prescription.
Sensible à ces derniers arguments, la mission d'information recommande de prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par accord des parties ou de leurs représentants légaux, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, sauf en droit des assurances et en droit de la consommation, domaines privilégiés des contrats d'adhésion où le déséquilibre entre les parties ne permet pas d'envisager une extension de la liberté contractuelle .
Recommandation n° 15 : prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par voie contractuelle, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, sauf en droit des assurances et en droit de la consommation. |
(2) Conserver l'interdiction faite au juge de relever d'office la prescription
La mission d'information n'est pas favorable à une extension des pouvoirs du juge, sauf pour renforcer la protection des consommateurs .
Lors de son audition, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, professeur à l'Université de Paris 2, a relevé que ces pouvoirs du juge étaient bien plus importants dans d'autres pays comme le Royaume Uni et l'Allemagne.
Ainsi, en vertu des mécanismes dits de l' estoppel et de la Verwirkung , les juges anglais et allemands peuvent sanctionner l'attitude de l'une des parties lorsque son comportement n'est pas constitutif d'une fraude caractérisée. Faisant application de la maxime « nul ne peut se contredire au détriment d'autrui », ils peuvent écarter un délai de prescription lorsque le débiteur a empêché le créancier d'agir à temps en lui donnant l'impression qu'il ne l'invoquerait pas ou, à l'inverse, prononcer avant terme la déchéance des droits du créancier qui a donné l'impression à son débiteur qu'ils ne les exerceraient pas.
La méfiance des rédacteurs du code civil à l'endroit du pouvoir d'équité des parlements d'Ancien régime explique que de telles solutions n'aient pas été retenues en France. Si les juges français ont fait revivre l'adage « contra non valentem » afin d'élargir les causes de suspension, ils ne l'appliquent pas pour sanctionner les comportements des parties. Seul l'article 40 de la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises interdit au vendeur de se prévaloir de la prescription « lorsque le défaut de conformité porte sur des faits qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qu'il a révélés à l'acheteur . »
La mission d'information observe ainsi que la transposition en France des solutions anglaise et allemande heurterait trop frontalement nos traditions et risquerait d'alimenter un sentiment d'arbitraire et de défiance de nos concitoyens envers leur justice. Aucune des personnes qu'elle a entendues ne l'a d'ailleurs réclamée.
En revanche, il a été suggéré, de permettre au juge de relever d'office la prescription .
M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a estimé que ce pouvoir devrait leur être reconnu pour l'ensemble des prescriptions, estimant que la prescription répondait avant tout à des considérations d'ordre public.
M. Laurent Bedouet, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats, et l'association FO consommateurs ont réclamé ce pouvoir dans le les litiges de consommation, afin d'assurer la protection de consommateurs généralement peu avertis.
Considérant que les fondements de la prescription sont d'ordre essentiellement privé en matière civile, la mission d'information souhaite conserver le principe de l'interdiction, pour le juge, de relever d'office ce moyen. Elle n'est en revanche pas hostile à ce que ce pouvoir leur soit reconnu au cas par cas.
(3) Poser le principe de la soumission des délais dits de forclusion au même régime que les délais dits de prescription, tout en conservant au cas par cas des règles spécifiques
Compte tenu des incertitudes qui entourent leur détermination et des évolutions jurisprudentielles récentes tendant à rapprocher leur régime de celui de la prescription, la mission d'information recommande de poser le principe de la soumission des délais de forclusion aux mêmes règles que les délais de prescription .
Ces délais pourraient ainsi faire l'objet d'aménagements conventionnels, d'interruption ou de suspension. Le bénéficiaire d'une forclusion acquise pourrait y renoncer tandis que le juge ne pourrait la relever d'office.
Retenir un tel principe suppose néanmoins d' envisager le maintien d'exceptions, justifiées non plus par la qualification du délai mais par la particularité de la situation à prendre en compte .
Lors de son audition, Mme Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, a ainsi souligné à juste titre, à propos du contentieux du crédit à la consommation, la nécessité d'éviter que les créanciers laissent s'accumuler les intérêts et les pénalités de retard avant d'intenter leur action contre l'emprunteur défaillant. Elle a donc jugé légitime que le délai biennal de forclusion de l'action en paiement de l'emprunteur défaillant ne puisse être ni aménagé contractuellement, ni suspendu, ni interrompu, sauf en cas de citation en justice devant la juridiction compétente, et puisse être relevé d'office par le juge.
De même, comme l'ont souligné les représentants de la Cour de cassation, le délai de forclusion 185 ( * ) applicable aux déclarations des créances dans le cadre des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires 186 ( * ) , doit être préservé. La volonté de tirer l'entreprise de ses difficultés implique que le juge prescrive rapidement les moyens d'assurer la pérennité de son activité économique et de ses emplois ; au préalable doit donc être déterminé le patrimoine du débiteur, en particulier grâce au mécanisme de la déclaration, auprès des organes de la procédure collective, des sommes restant à devoir aux créanciers. Permettre la suspension ou l'interruption du délai de déclaration des créances irait manifestement contre cet objectif. Du reste, il convient d'observer que le créancier négligent peut obtenir du juge-commissaire, à certaines conditions, d'être relevé de sa forclusion 187 ( * ) .
Recommandation n° 16 : poser le principe de la soumission des délais dits de forclusion ou préfix au même régime que les délais dits de prescription, tout en conservant au cas par cas des règles spécifiques. |
* 185 Fixé à deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture de la procédure.
* 186 Articles L. 622-24 et L. 641-3 du code de commerce.
* 187 Articles L. 622-26 et L. 641-3 du code de commerce.