b) Ne pas introduire, de manière générale, un délai butoir
L'institution d'un délai butoir de dix ou trente ans à compter du fait générateur de l'obligation, qui serait applicable à l'ensemble des prescriptions et ne serait susceptible ni de report, ni d'interruption, ni de suspension, ni d'aménagement conventionnel, constitue assurément l'une des innovations majeures de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription.
Lors de son audition, M. Pierre Catala, professeur émérite de l'université de Paris 2, a pris soin de préciser qu'en dépit des ambiguïtés résultant de la formulation retenue dans le dispositif proposé, le délai butoir cesserait bien évidemment de courir lorsqu'une action en justice serait engagée et aussi longtemps qu'elle n'aurait pas reçu de solution définitive .
Cette solution présente le double intérêt d'assurer l'effectivité et la prévisibilité de la prescription, donc de renforcer la sécurité juridique, et apparaît comme le corollaire utile d'un assouplissement des règles relatives au point départ et aux causes de suspension.
Telle est sans doute la raison pour laquelle elle a déjà été retenue par l'Allemagne et la Belgique, envisagée au Royaume-Uni et suggérée dans les principes du droit européen des contrats et les principes d'Unidroit.
Plusieurs personnes entendues par la mission d'information s'y sont déclarées favorables , du moins dans son principe : le MEDEF, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP), la Fédération bancaire française (FBF), les représentants de la profession d'avocats, ou encore Mme Valérie Lasserre-Kiesow, professeur à l'université du Maine, qui a rappelé que la prescription avait pour rôle de « mettre fin aux litiges potentiels ».
Nombre d'entre elles ont toutefois souligné la nécessité de veiller à ce que le titulaire d'un droit ne se retrouve pas forclos sans avoir jamais été en mesure d'agir .
L' importance de ce risque et la difficulté de le prévenir expliquent les vives réserves de plusieurs représentants de la Cour de cassation et de M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, sur l'introduction d'un tel dispositif.
Les premiers ont mis en garde contre une violation possible de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont le premier paragraphe garantit à chacun le droit de faire statuer par un tribunal sur toute contestation portant sur ses droits et obligations de caractère civil. Toutefois, comme le rappelle la Cour de Strasbourg, « ce droit n'est pas absolu et peut faire l'objet de limitations de la part des Etats, si elles tendent aÌ un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé 184 ( * ) . »
Le second a souligné que, dans l'hypothèse où un délai butoir général, même trentenaire, serait institué, le salarié qui s'apercevrait au moment de la liquidation de ses droits à la retraite, en 2007, que son employeur avait omis, entre 1970 et 1975, de verser au régime général les cotisations nécessaires à la constitution de ces droits, ne pourrait plus intenter aucune action.
Sensible à ces arguments et à ce stade de la réflexion, la mission d'information n'est pas favorable à l'institution d'un délai butoir applicable à l'ensemble des prescriptions mais juge préférable d'examiner au cas par cas, selon une méthode déjà éprouvée, l'opportunité d'assortir tel ou tel délai de prescription d'un butoir .
* 184 Cour européenne des droit de l'homme, affaire Stubbings et autres contre Royaume-Uni, 22 octobre 1996. Dans cet arrêt, la Cour de Strasbourg a noté que « des délais de prescription dans les affaires d'atteinte à l'intégrité de la personne sont un trait commun aux systèmes juridiques des Etats contractants. Ces délais ont plusieurs finalités importantes, aÌ savoir garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels aÌ l'abri de plaintes tardives peut-être difficile à contrer, et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé . »