3. Des positions probablement divergentes entre États membres
À ce stade, l'initiative de la Commission n'a fait l'objet que d'un échange de vue informel au sein d'un groupe technique du Conseil. Il est somme toute probable que soient réaffirmées les positions désormais traditionnelles entre États membres.
La crise des chaussures chinoises et vietnamiennes, l'été passé, au cours de laquelle l'Union européenne a mis plusieurs semaines à décider de mesures antidumping a en effet révélé un clivage profond.
Le contentieux antidumping sur les chaussures en
cuir
Le régime de contingentement des produits du secteur de la chaussure établi par l'Union européenne en 1994 est arrivé à expiration le 1er janvier 2005 après une phase de démantèlement progressif. Depuis, le contentieux antidumping dans le secteur des chaussures en cuir est récurrent, notamment à l'égard des producteurs chinois. Les producteurs européens ont ainsi réclamé l'ouverture d'une enquête antidumping auprès de la Commission contre les producteurs chinois et vietnamiens. Celle-ci l'a initiée en juillet 2005. A la suite de cette enquête, un droit antidumping provisoire a été adopté le 7 avril 2006 sur les importations de certaines chaussures en cuir originaires de la Chine et du Vietnam. L'enquête a en effet confirmé l'existence d'un dumping et d'un préjudice pour les producteurs de la Communauté. Le droit antidumping provisoire expirant le 7 octobre 2006, le Conseil a institué le 5 octobre 2006, après des discussions très difficiles, un droit antidumping définitif sur les importations de chaussures en cuir originaires de la Chine et du Vietnam (règlement (CE) n° 1472/2006 du 5 octobre 2006). Ce nouveau règlement instaure des droits de 16,5 % et 10 % sur les importations de chaussures en cuir originaires respectivement de la Chine et du Vietnam. Cette affaire des chaussures en cuir témoigne en définitive, outre la profonde division des États membres sur le sujet, des difficultés de pilotage de la politique de défense commerciale qui, sous une apparence technique, relève largement d'arbitrages politiques. Cela se vérifie dans l'affaire des chaussures notamment à deux égards. Il existe un décalage entre le droit antidumping provisoire et le droit antidumping définitif. En effet, le premier excluait les chaussures pour enfants. Cette exclusion initiale semblait s'expliquer par des considérations principalement d'opportunité. Les différentes parties étant divisées sur la question, la Commission semble avoir recherché de la sorte une solution de compromis. Cependant, cette décision s'est révélée rapidement inopérante, du fait de multiples détournements, de sorte que le règlement du Conseil instituant un droit antidumping définitif est revenu sur cette exclusion et comprend désormais les chaussures pour enfants, puisque « les caractéristiques techniques et physiques essentielles que les chaussures pour enfants ont en commun avec le produit concerné l'emportent largement sur leurs différences éventuelles ». En outre, les nouvelles mesures antidumping ne seront applicables que pour une durée de deux ans, alors que la procédure normale prévoit une durée de cinq années. Cette exception se justifie pour le Conseil par le fait que « la présente procédure est caractérisée par des éléments particuliers et exceptionnels » , le plus important étant que le marché des chaussures à dessus en cuir est encore dans une phase de réorganisation. La situation exceptionnelle de ce marché justifie donc pour le Conseil que la durée d'application des mesures antidumping soit limitée. Cependant, cette exception s'explique sans doute aussi à nouveau par la recherche d'un compromis entre les États membres. |
D'un côté, un groupe d'États membres de tradition libérale, mené par le Royaume-Uni et les Pays nordiques, appuyé par les entreprises importatrices, critique les instruments de défense commerciale. Selon ceux-ci, l'économie mondialisée a changé les conditions du commerce international en généralisant la délocalisation de la production. Dans ce nouveau contexte, des mesures antidumping risqueraient de frapper les entreprises qui ne produisent plus sur le sol européen. En outre, de telles mesures ne prennent pas en compte l'intérêt du consommateur, mais uniquement celui de certains producteurs européens, incapables de relever le défi de la concurrence mondiale.
De l'autre, un groupe d'États membres méditerranéens ayant l'appui de la France et, désormais, de l'Allemagne, refuse de baisser la garde, face à la concurrence à bas coût en provenance notamment d'Asie, et prône au contraire un arsenal de défense commerciale robuste. Celui-ci se justifie d'autant plus que les entreprises de l'Union sont elles-mêmes de plus en plus victimes de mesures similaires décidées par les nouvelles grandes puissances économiques.
Ce clivage semble devoir se confirmer face à l'initiative du commissaire Mandelson. La présidence allemande fait à ce stade preuve de prudence et ne devrait proposer qu'un point d'étape informel en mai.