3. Le tourisme, nouvelle menace pacifique ?
En Antarctique, la croissance du tourisme est devenue un sujet de préoccupation. En 2005, la fréquentation touristique de l'Antarctique était estimée à 23 000 touristes alors qu'ils n'étaient que 6 700 en 1992.
L'arrivée des touristes est de plus en plus rapide. Le premier vol touristique pour l'Antarctique fut un survol en avion en 1956 à partir du Chili, puis une 1 ère croisière fut organisée en 1957-1958. Il a fallu attendre 1990 pour que le 50 000 e touriste arrive en Antarctique mais le 100 000 e y entrait en 1998 et le 200 000 e a dû y prendre pied en 2006.
Le parallèle avec les Malouines ne peut qu'inquiéter. Ces îles se sont fortement ouvertes aux touristes avec l'arrivée de navires de plus de 1 000 places. En 1994-1995 seules 5 000 personnes par an visitaient ces îles ; en 2000, il y en avait près de 40 000.
La même évolution n'est pas aujourd'hui impossible en Antarctique avec de fortes conséquences sur la faune et la flore. En effet, le temps est dépassé des croisières emmenant un nombre très limité de passagers dans des conditions sommaires. Les navires de plus de 3 000 places desservant l'Antarctique se multiplient, permettant d'offrir des croisières à partir de 5 000 euros.
Cette évolution va à l'encontre des prescriptions de l'Association internationale des tour-opérateurs polaires antarctiques, la IAATO, créée en 1991 à l'initiative de la NSF 8 ( * ) et des opérateurs américains. Elle tente de limiter l'impact du tourisme en menant une politique éducative, en respectant des mesures de non-prolifération biologique (pédiluves), en respectant la faune - interdiction d'approcher à moins d'une certaine distance.
Les tour-opérateurs ont en outre un réel intérêt à préserver le caractère sauvage de ces croisières en n'étant jamais plus d'un bateau par site et en limitant le nombre des touristes débarqués par rotation.
Il n'en reste pas moins que l'essentiel du flux touristique se concentre sur une cinquantaine de sites de la péninsule où la faune peut être facilement observée, soulevant d'inévitables difficultés.
Aujourd'hui, il y a de réels facteurs d'inquiétude. La tentation est forte d'augmenter la capacité des navires. Or plus elle sera importante, moins il sera possible d'effectuer une quelconque régulation. Inévitablement une massification aura lieu : plusieurs bateaux dans le même site, augmentation du nombre des touristes débarqués, artificialisation du site pour le protéger (passerelles...), voire constructions d'infrastructures permanentes et vraisemblablement d'hôtels. Quelles seront les conséquences sur la faune, la flore et le travail scientifique ? Les Australiens ont déjà montré qu'au contact des bases, des manchots Adélie avaient été contaminés par des virus.
Les opérateurs scientifiques antarctiques intervenant dans la péninsule s'inquiètent de plus en plus de l'influence des touristes sur l'activité des bases car cela nécessite des mesures particulières pour contrôler les visites et éviter les perturbations. Lors d'accidents, ce sont aussi les moyens logistiques destinés à la recherche qui doivent être mobilisés. Tout déplacement est évidemment compliqué, coûteux, voire dangereux.
La France a pour l'instant été relativement à l'abri de cet afflux car la terre Adélie est trop isolée.
Les îles subantarctiques sont accessibles via le Marion Dufresne lors de ses rotations annuelles. Le tourisme reste très limité en nombre et ne pourrait sans doute guère se développer compte tenu des délais extrêmement longs d'acheminement, tous les trajets s'effectuant par mer.
La situation est néanmoins très originale puisque c'est une collectivité publique qui joue le rôle d'opérateur touristique, au risque dans certains cas d'en assumer les conséquences financières . Ce fut notamment le cas en 1999-2000, où l'organisation d'une croisière du millénaire fut un échec cuisant. En effet, comme le rapporte la Cour des comptes dans son rapport public pour 2005, seuls 4 passagers, sur 38 places disponibles, ont réservé et acquitté le prix du voyage. « La plupart des passagers étaient des personnes proches du territoire, invitées pour la grande majorité d'entre elles ». Le coût total de cette opération s'est élevé à 730 000 € à la charge du contribuable ! Heureusement exceptionnelle, une telle situation ne montre pas moins les limites d'une entreprise touristique menée par une collectivité publique et non par un professionnel privé agissant à ses risques.
La question se pose désormais du développement du tourisme en terre Adélie . Il est envisagé d'ouvrir des cabines pour les touristes sur l' Astrolabe et d'organiser sur la base Dumont d'Urville un « circuit touristico-scientifique » auquel devraient participer les chercheurs présents dans une mission d'ouverture et de pédagogie.
Votre rapporteur est fermement opposé à de tels projets, s'ils étaient avérés .
Ils sont tout d'abord tout à fait irréalistes compte tenu du très grand inconfort des deux semaines de trajet aller et retour sur l' Astrolabe , dans une mer très difficile, alors que le navire pour affronter les glaces est à fond plat !
Il est choquant de vouloir entreprendre des aménagements de sécurité ou de confort au profit des touristes sur l' Astrolabe et sur la base de Dumont d'Urville, alors même qu'ils seraient en premier lieu nécessaires pour les chercheurs .
De la même façon, on ne comprend pas qu'il soit possible d'envisager que les quelques moyens logistiques disponibles pour effectuer des travaux scientifiques en mer ou dans des lieux éloignés de Dumont d'Urville, c'est-à-dire l' Astrolabe et son hélicoptère, puissent être affectés prioritairement aux quelques touristes plutôt qu'à la recherche .
Il est ensuite choquant de vouloir transformer une base scientifique en attraction touristique en imaginant les scientifiques dans l'obligation de faire visiter leurs lieux de vie, leurs laboratoires, voire de faire participer les touristes à leur travail. Il n'y a pas un laboratoire en France qui soit soumis à une telle obligation.
Enfin, quand bien même on persisterait à vouloir ouvrir cette base au tourisme et à imposer une telle évolution aux scientifiques, il faudrait prendre en considération les conséquences très importantes qu'aurait cette décision sur notre crédibilité dans le système antarctique alors même que notre pays a été à l'origine de la protection totale du continent.
Sans doute, ne faut-il pas exclure tout développement du tourisme en terre Adélie. Mais est-ce vraiment à la collectivité territoriale de l'organiser à partir des moyens dévolus à la logistique de l'activité scientifique ?
Pour votre rapporteur, la réponse est clairement négative.
* 8 National Science Foundation des Etats-Unis (équivalent du CNRS) - Office des programmes polaires.