B. SURENGAGEMENT OU SOUS-FINANCEMENT DE LA RECHERCHE POLAIRE ?
Les difficultés auxquelles fait face la recherche en milieu polaire ne s'expliquent pas seulement par certaines faiblesses de pilotage, de vision stratégique ou des problèmes administratifs, les résultats, le plus souvent au plus niveau mondial, le montrent suffisamment.
En revanche, votre rapporteur s'interroge sur l'équilibre entre moyens financiers et objectifs. Il s'est posé la question du surengagement. L'IPEV en fait-il trop ? S'est-il trop dispersé en développant sa présence en Arctique et en construisant la nouvelle base Concordia à l'intérieur du continent antarctique. Cette opinion est notamment soutenue par le Préfet des TAAF qui pointe les coûts et s'interroge sur la pertinence scientifique.
Votre rapporteur ne partage pas cette analyse. Au contraire, il s'est précédemment efforcé de montrer combien il était important d'être plus présent en Arctique, présence qui reste encore à ses yeux trop modeste, et combien il était stratégique d'être présent à l'intérieur de l'Antarctique au niveau européen aux côtés de la Russie, des États-Unis et prochainement de la Chine.
Votre rapporteur doit donc faire le constat préoccupant d'une recherche insuffisamment soutenue financièrement par les pouvoirs publics. Cette faiblesse du soutien se traduit par trois questions très importantes : la place devenue préoccupante de l'activité océanographique au sein de l'IPEV, l'insuffisance des moyens logistiques au regard de nos ambitions internationales et la question de la rénovation et de l'avenir de la base Dumont d'Urville.
1. L'IPEV, une agence polaire ou océanographique ?
La question du caractère essentiellement polaire ou océanographique de l'activité de l'IPEV, pour être iconoclaste, est désormais une question incontournable.
En 2007, l'activité du Marion Dufresne , navire océanographique et logistique, sera plus importante financièrement que l'activité polaire. Cette situation est l'aboutissement d'une progressive mais constante croissance des coûts d'affrètement du navire - + 25 % depuis 2002 - dont l'essentiel du coût revient à l'IPEV qui doit financer 217 jours de campagne océanographique depuis 2000. L'activité polaire a quant à elle cru de moins de 3 % sur la même période. Cela s'explique par la croissance des remboursements d'emprunt, d'une part, et par celle des coûts d'affrètement, d'autre part.
Il faut en effet rappeler que ce navire a été construit en 1995 pour une durée de 20 ans. Il a été financement par un emprunt de 33 M€ . Une convention d'affrètement a été signée avec la CMA-CGM le 16 mars 1993 par les TAAF, qui en sont propriétaires. De 1993 à 2003, les TAAF en ont été l'unique affréteur. Le Marion Dufresne offre une capacité de 35 % supérieure à celle de son prédécesseur. Mais, dès 1998, les TAAF constataient la situation de surcapacité et les surcoûts attenants . L'idée d'un navire de substitution pour toutes les rotations où la pleine capacité du Marion Dufresne n'était pas nécessaire a été évoquée et expérimentée une fois en 1999. Mais cette voie n'a pas été poursuivie . En revanche, a été décidé de confier le navire à l'IPEV pour l'essentiel de l'année, soit 217 jours au lieu de 135, et remédier à sa sous utilisation scientifique .
Evolution des recettes et dépenses de l'IPEV
(2002-2006)
|
||||||||
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
02/06 |
% 02/06 |
||
Dépenses (K€) |
||||||||
Dépenses "Siège" |
1 501 |
1 520 |
1 418 |
1 505 |
1 399 |
-102 |
-6.80% |
|
Dépenses "MD II" |
8 239 |
8 379 |
8 380 |
9 046 |
9 769 |
1 530 |
18.57% |
|
Dépenses "Polaire" (2) |
9 961 |
8 606 |
8 995 |
9 703 |
10 229 |
268 |
2.69% |
|
Total |
19 701 |
18 505 |
18 793 |
20 254 |
21 397 |
1 696 |
8.61% |
|
Recettes (K€) |
||||||||
Subvention Ministère de la Recherche |
16 850 |
16 285 |
16 740 |
17 804 |
18 921 |
2 071 |
12.29% |
|
Recettes Membres GIP |
833 |
366 |
421 |
421 |
421 |
-412 |
-49.46% |
|
Recettes Diverses (3) |
201 |
129 |
238 |
289 |
171 |
-30 |
-14.93% |
|
Ressources extérieures océanographiques |
1 817 |
1 725 |
1 394 |
1 740 |
1 884 |
67 |
3.69% |
|
Total |
19 701 |
18 505 |
18 793 |
20 254 |
21 397 |
1 696 |
8.61% |
|
(1) Salaires du personnel CNRS et mise à disposition du réseau informatique IFREMER |
||||||||
(2) Iles Subantarctiques, Dumont d'Urville, Concordia, Arctique, Astrolabe, Curieuse |
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(3) Prestations de services |
Depuis 2002, le Marion Dufresne a absorbé 75 % de l'augmentation de la dotation de l'IPEV. Or, parallèlement et logiquement suite à son retrait du GIP, l'Outre-mer ne verse plus de subvention à l'IPEV depuis 2003.
Aujourd'hui, la recherche de contrats rémunérateurs pour le Marion Dufresne est nuisible à l'ensemble de l'activité scientifique puisqu'elle se fait au détriment du soutien dû aux programmes en zone polaire. Elle pourrait être nuisible à la qualité scientifique des programmes menés à bord et provoque un effet d'éviction au détriment des laboratoires nationaux qui ne peuvent payer l'affrètement du bateau. Cette situation induit aussi une mobilisation démesurée des responsables de l'IPEV au détriment du reste de l'activité, alors que les ressources à en attendre sont quasiment constantes d'année en année et sont comprises entre 1,7 et 1,9 M€.
L'activité polaire est déjà fortement pénalisée par l'effet de vases communicants entre le polaire et l'océanographique. Aujourd'hui ce sont les missions mêmes de l'IPEV qui sont menacées par cette croissance non maîtrisée des coûts du Marion Dufresne .
Dès lors, l'IPEV n'est sans doute plus le bon organisme gestionnaire pour le Marion Dufresne à moins de dénaturer le GIP. Même si l'Institut disposait du budget suffisant pour mener à bien la gestion du Marion et la conduite de l'activité polaire, son objet serait modifié par le fait que son activité deviendrait majoritairement océanographique et non polaire. La légitimité à gérer le Marion sera toujours plus faible vis-à-vis de l'opérateur principal de la flotte scientifique française, l'IFREMER.
Le retour intégral de la gestion du Marion aux TAAF paraît exclu car elles ne sont sans doute pas les plus outillées pour assurer la gestion scientifique du navire. Le désengagement complet de l'IPEV irait peut-être au-delà de ce qui serait nécessaire. Mais, la présence d'un troisième acteur qui prendrait le rôle prépondérant paraît indispensable. Cet acteur serait vraisemblablement l'IFREMER. L'essentiel ou la totalité du budget actuellement attribué à l'IPEV pour cette mission devrait lui être naturellement affecté .
Il faut avoir conscience qu'une telle solution ne résoudra pas toutes les difficultés et n'éludera pas la question des ressources budgétaires nouvelles mais elle clarifierait certainement une anomalie de plus en plus évidente aussi bien pour les missions de l'IPEV que pour la gestion de la flotte scientifique.
Au-delà même du problème financier se pose à plus long terme la question du remplacement d'un navire en service depuis maintenant 11 ans. L'expérience du Marion Dufresne devrait sans doute conduire à envisager une solution beaucoup moins coûteuse et véritablement proportionnée aux besoins de desserte de souveraineté des îles.