5. Le complexe agroalimentaire français, ou « système alimentaire »
Pour une assemblée comme le Sénat, l'après-guerre est un point de référence ; la plupart des sénateurs étaient alors enfants ou adolescents. Certains sont agriculteurs et beaucoup ont des liens familiaux directs avec des agriculteurs ; tous ou presque pourraient décrire une exploitation agricole de l'époque et témoigner de la vie qui s'y déroulait, puisqu'un tiers de la population était recensée comme « agricole ». Les « moins de 20 ans » d'aujourd'hui auraient du mal à dépeindre la vie d'une ferme de ce début du XXIème siècle ; très rares sont ceux qui pourraient traire une vache ! Quelque chose n'a donc pas duré ...
Itinéraire : baby-papy boom. Voici une ferme des années 50. On y trouve des animaux : des vaches laitières, des porcs, des moutons, des volailles, des chevaux, pour le travail et parfois pour les courses. Des animaux que l'on appelle aujourd'hui « de compagnie ». On y « écrème » et on y fait du beurre que l'on porte au marché hebdomadaire. On tue le cochon, mais aussi les bovins, les ovins et les caprins, pour la consommation. On peut y carder la laine. Après la moisson, la batteuse vient dans la cour. On va faire moudre du blé et on ramène de la farine, car on fait le pain une fois par semaine, dans la boulangerie. Il y a un pressoir ou bien on fait venir la pileuse pour faire le cidre ... et le bouilleur passe pour faire la goutte. On entretient les creux et les fossés, on fait du bois pour le chauffage, mais on trouve parfois une petite scierie. Il y a un énorme potager. On trouve du matériel de bourrelier pour entretenir les attelages, mais on gare maintenant le tracteur dans l'ancienne écurie. Il y a toujours quelque chose à construire et l'on sait monter un mur ou faire du béton. Toute la famille travaille : les enfants sont aussi de corvée. Mais en secret, et le temps passant, les parents rêvent d'un autre avenir pour les enfants. Aujourd'hui, la ferme a été prise en fermage par un voisin et tous les enfants sont à la ville. Presque tous les acteurs ont été recensés un jour comme « agriculteurs ». De nos jours, peu d'agriculteurs assumeraient autant d'activités. Avec le vocabulaire moderne, on pourrait dire que ces activités ont été « externalisées » et sont devenues « l'agroalimentaire », ou bien sont prises en charge par des artisans ou par des prestataires de services. Qui ne sont pas recensés comme agriculteurs. 50 ans après, le paysage a bien changé : c'est celui-là que nous cherchons à saisir et dont nous souhaitons pouvoir appréhender l'avenir.
Pilotage par l'aval. Cet ensemble a pu être décrit comme le « complexe agroalimentaire » comprenant : l'agrofourniture, l'agriculture, l'agroalimentaire, la distribution alimentaire, la restauration hors foyer et les autres activités de service. L'agriculture a longtemps été considérée comme centrale, avec des activités d'amont et des activités d'aval. Ces dernières sont devenues le « moteur » de l'ensemble, car elles drainent l'essentiel de l'alimentation destinée aux consommateurs ; de sorte que l'on parle désormais de « système alimentaire », en mettant de moins en moins l'accent sur les aspects agricoles ou ceux de l'industrie alimentaire et de la distribution. La « tertiarisation » de l'ensemble s'accentue. Les exigences du consommateur deviennent principales, en termes de sécurité, de santé, mais aussi d'environnement, dans un contexte de plus en plus mondialisé.
D'un produit alimentaire agricole à un produit alimentaire tertiaire. Le chapitre premier s'attachera à la compréhension des évolutions que l'on vient de suggérer, pour saisir les mécanismes qui façonnent déjà pour l'avenir cet ensemble employant 4 millions de personnes en France. Bien entendu, les forces qui s'exercent sur le système sont considérables. Ce sont, d'une part, les « forces de la nature », qui seront traitées dans le chapitre 2. Ce sont, d'autre part, les groupes humains du monde entier, qui interagissent lors de leur confrontation à l'échelon de la planète ; des ensembles régionaux, comme l'Europe ; des Etats, comme la France, et même des entreprises. Nous en traiterons au chapitre 3.