2. Lutter contre le changement climatique est un « bien public »
Les interrelations solidaires deviennent de plus en plus évidentes à propos du changement climatique ; c'est ainsi que sont nés les marchés internationaux de quotas de droits d'émission de gaz à effet de serre. Il en résulte une stimulation pour la recherche et l'innovation dans les industries concernées. Doit-on laisser l'agriculture à l'écart, sous prétexte que les acteurs agricoles sont extrêmement disséminés ? Il doit être possible de faire participer l'agriculture à la lutte contre les gaz à effet de serre en imaginant les moyens de regroupement lui permettant d'accéder aux marchés du CO2. Il en découlerait une stimulation, y compris financière, pour une agriculture améliorée. Celle-ci étant un acte complexe touchant aussi à l'eau, aux sols et à la biodiversité, c'est une « réaction en chaîne » positive qui serait encouragée. Loin d'opposer agriculture intensive et agriculture biologique, comme on le fait souvent sans trop s'interroger, nous serions amenés à favoriser de nouvelles pratiques agricoles plus productives pour « économiser des hectares » et plus intensives pour « économiser les ressources en énergie ». Osons dire qu'il faudrait plutôt pour l'agriculture des technologies productives écologiquement intensives. En n'oubliant pas que l'agriculture est l'activité basée sur la photosynthèse qui permet de capter l'énergie solaire et de produire la biomasse ! Une « éco agriculture » doit être à l'origine de nouveaux métiers de l'industrie de la biomasse, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, en substituant progressivement à l'utilisation d'intrants chimiques des méthodes se servant de la photosynthèse, et en se servant de la capacité de l'agriculture (et de la forêt) à séquestrer le CO2. C'est de cette façon que la deuxième génération de biocarburants devrait être constituée, d'ici 15 ou 20 ans, de nouveaux carburants liquides biologiques à base de cellulose de bois, de paille et de déchets organiques. Les incitations déjà faites en faveur de la production agricole non alimentaire, de biomatériaux et de biocarburants, devraient être augmentées, sous réserve d'écobilans incontestablement positifs, et complétées par des comportement exemplaires, de la part de l'Etat entre autres, caractérisés par l'utilisation de biocarburants et de matériaux recyclables et biologiquement dégradables obtenus à partir d'agroressources renouvelables. Des actions interprofessionnelles devraient être stimulées et encouragées en ce sens.
La France pourrait se sentir tenue à l'écart de ce genre d'effort, compte tenu d'une situation naturelle autorisant des productions relativement élevées et régulières et de besoins alimentaires futurs relativement contenus. Cela serait évidemment un contresens, puisque nous savons désormais que nous devons raisonner « réseau » et « système », même si de nombreuses décisions doivent être prises localement. Nous pourrions au contraire découvrir des intérêts distinctifs à notre situation : malgré de fortes incertitudes, nous savons que les besoins alimentaires de l'Europe vont baisser dans les prochaines décennies, tandis qu'ils augmenteront significativement en Amérique du Nord et en Océanie, qu'ils doubleront en Amérique latine, qu'ils seront multipliés par 2,5 en Asie et par 5 en Afrique.
Nous devons comprendre que la lutte contre les changements climatiques et l'accès à l'eau doivent être l'occasion d'anticiper la réorientation de nos modes d'agriculture. La pression sur les terres des productions agricoles alimentaires et non alimentaires peut être modulée : mouvements commerciaux compensant les déficits et les excédents vivriers, modifications des régimes alimentaires (y compris en donnant la priorité à des politiques alimentaires plutôt qu'à des politiques agricoles : subventionner la consommation de tels produits alimentaires pour tels consommateurs plutôt que subventionner la production de tels productions agricoles de tels agriculteurs), mouvements sur le prix des énergies, mouvements entre blocs monétaires.
De plus en plus conscients de ces phénomènes, les agriculteurs savent qu'ils doivent être à l'écoute. Ce qu'ils vont faire, localement, là où ils implantés, n'a rien d'évident. Chez nous, le mythe de « l'ordre éternel des champs » est à peine disparu ; peut-être est-il d'ailleurs plus présent dans le « mental » des non agriculteurs que chez les agriculteurs eux-mêmes ! Ceux-ci sont certainement beaucoup plus marqués par la fonction nourricière dont ils se sont sentis responsables pendant la seconde moitié du XXème siècle, tandis que beaucoup des urbains n'imaginent pas les progrès techniques dont ils ont été capables. Et voilà que même cette fonction nourricière n'apparaît plus capable de faire vivre les agriculteurs, au moment où les consommateurs consacrent -relativement- de moins en moins de leurs revenus à se nourrir ! Pire : le mode « productiviste » effraie et le cercle vicieux se déclenche, rendant l'agriculture coupable des dérèglements climatiques, de la stagnation des pays en voie de développement ou de la « malbouffe ». Il faut reconstruire la raison d'être des agriculteurs. On vient de voir qu'ils peuvent être des contributeurs essentiels au « bien public » que constitue la lutte contre le changement climatique. Ils sont aussi capables d'initiatives pour anticiper les biens agricoles qu'ils doivent produire afin de répondre aux demandes futures de biens alimentaires des citoyens. Ils cherchent ce qu'ils doivent faire.