b) L'environnement microéconomique
Jusqu'à une période récente, il semblait raisonnable de considérer que les régulations importantes des marchés des biens et du travail dans de nombreux pays industrialisés avaient des effets complexes sur la productivité et la croissance, et certainement pas univoques .
S'agissant ainsi des effets de l'environnement concurrentiel sur l'innovation et la productivité, une absence de protection (par exemple, en matière de propriété intellectuelle), décourage l'innovation mais, à l'inverse, une protection permanente réduit la compétition et affaiblit l'innovation des entreprises qui bénéficient des rentes procurées par des innovations antérieures. De même, l'accroissement de la pression concurrentielle peut stimuler l'effort d'innovation des entreprises - et des économies - les plus proches de la frontière technologique. A l'inverse, elle décourage celui des entreprises - ou des économies - éloignées de la frontière technologique, pour lesquelles les rentes associées à l'innovation diminuent avec la pression concurrentielle, et deviennent ainsi insuffisantes pour justifier l'effort d'innovation .
Cependant, au fur et à mesure que les pays européens se sont rapprochés du stade le plus avancé du développement technologique, les régulations importantes des marchés des biens et du travail auraient désormais un effet défavorable important sur la croissance et la productivité. Certaines « rigidités » qui pouvaient ne pas brider la croissance pendant les « Trente Glorieuses », et même la stimuler, deviennent pénalisantes dans un contexte de mutations technologiques de grande ampleur, qui exigent la recherche continue des meilleures opportunités et, à ce titre, reposent sur la souplesse et l'adaptabilité des entreprises et de la main d'oeuvre.
Les barrières à l'entrée de nouvelles firmes sur un marché constituent l'exemple le plus fort des facteurs réglementaires qui brident et diminuent l'effort d'innovation, et donc les gains de productivité. Dans ses nombreux travaux, Philippe AGHION met ainsi en évidence le lien positif entre créations et destructions d'entreprises , d'une part, et productivité et innovation, d'autre part. Il cite ainsi l'exemple du secteur pharmaceutique aux États-Unis où 50 % des nouveaux produits sont mis sur le marché par des entreprises âgées de moins de 10 ans, alors que ces jeunes entreprises ne sont à l'origine de la mise sur le marché que de 10 % des nouveaux produits en Europe.
De même, à la fin des années 1990, 12 % des plus grandes entreprises américaines avaient moins de 20 ans contre 4 % en Europe, et la faiblesse européenne en matière de destruction-création d'entreprises (turnover) est encore plus faible en Europe relativement aux États-Unis si l'on prend en compte les 500 plus grandes entreprises.
Le remplacement d'entreprises dont l'efficacité décline par des nouvelles entreprises plus innovantes jouerait ainsi un rôle très important dans les gains de productivité globaux de l'économie américaine, alors que la plus grande partie des gains de productivité en Europe s'observe dans les entreprises plus anciennes 96 ( * ) .
Même si les indicateurs de rigidité mobilisés par l'OCDE montrent une amélioration substantielle dans les pays de la zone euro, et en particulier en France et en Allemagne, ces deux pays se caractérisent cependant, au vu de ces indices, par un niveau de rigidités supérieur à la moyenne de l'OCDE. Certains économistes (Olivier BLANCHARD, par exemple) privilégient une vision optimiste : les pays de la zone euro percevraient prochainement les bénéfices en termes de productivité et d'innovation des réformes passées et en cours des différents marchés.
La thèse dominante, cependant, affirme la nécessité de poursuivre ces réformes visant à réduire les rigidités diverses sur les marchés des biens et du travail, afin que les entreprises puissent saisir l'ensemble des opportunités offertes par les nouvelles technologies.
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Une croissance basée sur l'innovation requiert des politiques complémentaires et interdépendantes .
Il y aura immanquablement des perdants et des gagnants à la mise en oeuvre de certaines d'entre-elles : par exemple, l'abaissement des barrières réglementaires à l'entrée sur certains marchés, si elle stimule l'innovation pour des entreprises « à la frontière technologique », pénalise celles qui en sont éloignées et qui s'appuyaient jusque-là sur les rentes permises par la protection du marché.
De plus, les coûts associés à ces réformes, concentrés sur un nombre réduit de perdants, sont plus « visibles » que les gains, dilués parmi un plus grand nombre de gagnants.
Ceci constitue un obstacle à leur mise en oeuvre et rend d'autant plus nécessaire des politiques d'accompagnement. Parmi celles-ci, une politique macroéconomique expansive permettrait d'indemniser plus facilement les perdants, faciliterait les reclassements des secteurs en déclin vers les secteurs en expansion (et les plus innovants) et, au total, leur acceptabilité politique.
Il serait ainsi tout à fait opportun que la politique monétaire prenne en compte les réformes déjà intervenues dans la zone euro, que la Banque centrale européenne (BCE) a elle-même vivement recommandées, tant en termes de réduction du déficit budgétaire structurel, de modération salariale (dans un contexte de hausse des prix de l'énergie), ou de libéralisation des marchés, réformes qui ont permis de créer un contexte clairement désinflationniste. Autrement dit, que la politique monétaire accompagne la poursuite des réformes structurelles 97 ( * ) .
La réflexion sur la politique de change doit s'inscrire dans la même logique. Certes, des obstacles « structurels » brident, au sein de la zone euro, une croissance fondée sur l'innovation : l'appréciation de l'euro n'en est pas « responsable ». Mais une politique de change qui limite les risques d'investissement dans la recherche et l'innovation, en préservant les débouchés et la demande adressée aux entreprises, ne constitue-t-elle pas une condition déterminante pour la résorption de ces handicaps structurels ? L'analyse, théorique ou empirique, a toujours apporté des éléments de réponse très clairs à cette question, les États-Unis semblent les connaître et votre rapporteur ne connaît pas de raisons pour qu'ils aient changé.
* 96 Ceci a été démontré par les travaux de G. NICOLETTI et S. SCARPETTA (2003).
* 97 Sur cette question, voir le Rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) : « Politique économique et croissance en Europe », par Philippe AGHION, Élie COHEN et Jean PISANI-FERRY ainsi que le rapport d'information du Sénat n° 89, 2006-2007, sur « les perspectives économiques 2007-2011 », présenté par Joël BOURDIN au nom de la Délégation pour la Planification (pages 61 et 62).