3. Lutter plus efficacement contre la dégradation des copropriétés privées
Les copropriétés en difficulté posent un problème particulièrement important dans les zones urbaines sensibles (ZUS). En effet, la proportion de ménages à bas revenus y est très élevée dans le parc locatif privé (30 % des locataires ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté), de même que le nombre de propriétaires occupants à bas revenus (9 %) 23 ( * ) . L'existence de copropriétés privées très dégradées pose ainsi des problèmes majeurs dans certaines villes. On rappellera à cet égard que le quartier de la copropriété « La Forestière », à Clichy-sous-Bois a constitué l'un des berceaux des émeutes urbaines de novembre 2005.
a) Des conditions d'habitat indignes
On estime aujourd'hui à 600.000 le nombre de logements situés dans des copropriétés en difficulté (350.000) ou dans des copropriétés en cours de fragilisation. Celles-ci achètent ou louent parfois très cher à des populations « captives » des logements en très mauvais état dans des immeubles qui ne sont plus entretenus, faute de moyens ou de volonté. La présence de marchands de sommeil ou de propriétaires bailleurs, plus soucieux de rentabilité locative que de l'entretien des immeubles, amplifie les phénomènes de dégradation 24 ( * ) .
La mission a pu constater, au cours de ses déplacements, l'ampleur des problèmes posés par l'existence de ces copropriétés. Pour des raisons historiques 25 ( * ) , celles-ci sont bien souvent situées dans les mêmes quartiers que l'habitat social qui fait l'objet d'opérations de rénovation urbaine. Ainsi la copropriété de la Forestière avait initialement vocation à accueillir les cadres supérieurs travaillant à Roissy, la construction d'une route rapide et l'implantation d'une gare de RER devant rapprocher ce quartier de l'aéroport. Faute de réalisation de ces équipements publics, et sous l'effet d'autres facteurs plus spécifiques, ce patrimoine figure aujourd'hui parmi les copropriétés les plus dégradées de France 26 ( * ) . La mission a également observé, notamment à Fort-de-France, le problème posé par les logements détenus en indivision, qui restent souvent vacants, faute de rénovation.
b) Des solutions spécifiques à mettre en oeuvre
Il existe déjà, pour traiter le problème des copropriétés, des instruments d'intervention lourde, comme l'OPAH copropriété, le plan de sauvegarde ou la démolition, dans laquelle peut intervenir l'ANRU 27 ( * ) . Mais il s'agit là de procédures longues et coûteuses, qui constituent un dernier recours. Il conviendrait d'améliorer le traitement des copropriétés avant que leur dégradation soit telle qu'elle justifie le recours à l'expropriation. En effet, la plupart des interventions s'effectuent lorsque les problèmes sont devenus particulièrement graves et menacent l'ordre public. Il est ainsi paradoxal de constater que les collectivités se retrouvent à devoir investir 200 à 300.000 euros pour des opérations lourdes, alors que le financement d'actions de formation et d'information des copropriétés pourraient jouer un rôle préventif important, comme au Québec.
Cette carence des politiques de prévention s'explique notamment par le fait que les élus manquent de spécialistes en nombre suffisant pour intervenir en amont, y compris dans des grandes villes. De telles politiques supposent en effet l'existence d'une « culture de droit privé » qui fait bien souvent défaut aux acteurs publics, qu'il s'agisse des collectivités territoriales ou de l'Etat. De surcroît, il requiert un dialogue avec des acteurs qui ne sont pas des partenaires « naturels » de la puissance publique, comme les syndics.
La mission ne peut donc qu'inciter les municipalités concernées à « investir » dans la prévention, par la désignation d'un correspondant chargé des copropriétés, la mise en oeuvre d'actions de médiation pour le paiement des charges, le financement d'actions de formation des copropriétaires et des conseils syndicaux et l'accompagnement financier des petits propriétaires occupants de bonne foi pour leur permettre de réaliser des travaux de rénovation. Une telle politique requiert, à l'évidence, d'importants investissements financiers, qu'il conviendrait de dégager dans le cadre des moyens consacrés à la rénovation urbaine.
D'autres mesures, proposées notamment par le Conseil national des villes, devraient être étudiées : l'obligation pour les propriétaires de réaliser des travaux d'entretien sous menace de plafonnement des loyers, l'obligation, pour les notaires, de signaler au procureur l'absence de syndic constatée à l'occasion d'une vente et l'amélioration du recouvrement des charges impayées 28 ( * ) . En outre, il convient de souligner que l'aide juridictionnelle, théoriquement ouverte aux copropriétés « pauvres » ne fonctionne pas de manière satisfaisante, notamment du fait de l'insuffisance des crédits ouverts au titre de l'aide juridictionnelle.
Par ailleurs, la mission rappelle que la présence de gardiens dans les immeubles peut permettre de rétablir du lien social, de réguler les conflits, de signaler les dysfonctionnements et, in fine, de maintenir la tranquillité publique. Il existe d'ailleurs une obligation qui pèse sur les bailleurs sociaux, en ZUS, d'employer un agent de médiation 29 ( * ) à partir de 100 logements. La mission estime que cette présence humaine est également particulièrement nécessaire dans les copropriétés privées situées dans ces zones. C'est pourquoi elle préconise d'instituer une exonération de charges sociales pour favoriser l'emploi de gardiens dans les copropriétés situées en zones urbaines sensibles ou faisant l'objet d'un plan de sauvegarde ou d'une « OPAH-copropriété ». Ces agents de médiation pourraient bénéficier d'une formation spécifique et se voir confier des missions précises.
* 23 Enquête nationale Logement 2002 réalisée par l'INSEE, citée dans le rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles 2005, p. 68. Un ménage sur cinq vivant en ZUS, soit environ 340.000 ménages habitent dans un immeuble en co-propriété, la moitié étant propriétaire, l'autre locataire.
* 24 Conseil national des villes, janvier 2005, Propositions en faveur des co-propriétés en difficulté.
* 25 Immeubles correspondant à des « bouclages » de zone d'aménagement concertée, voire des ratages de promotion immobilière, dans certains cas.
* 26 Voir notamment, sur ce point, la situation de La Forestière, décrite dans le compte-rendu de la visite effectuée à Clichy-sous-Bois en annexe au présent rapport.
* 27 La loi du 1 er août 2003 a renforcé les pouvoirs d'intervention du maire sur les copropriétés en difficulté, ouvert aux syndicats de co-propriétaires l'accès à l'aide juridictionnelle et permis l'intervention de l'ANRU sous plusieurs formes (démolition, financement du portage immobilier provisoire, résidentialisation). Plus récemment, la loi portant engagement national pour le logement a prévu la réalisation d'un repérage des copropriétés dégradées dans le cadre des programmes locaux de l'habitat (article 43). Elle a également procédé à la ratification de l'ordonnance relative à la lutte contre l'habitat insalubre.
* 28 En étendant aux impayés de charge l'utilisation de l'art 68 de la loi de 1991 relative aux procédures civiles d'exécution qui permet à l'huissier d'opérer une saisie conservatoire sans autorisation préalable du juge, l'établissement de celle-ci pouvant être demandée ensuite.
* 29 Le décret n° 2001-1361 du 28 décembre 2001 énumère cinq types d'emplois : concierge, gardien, employé d'immeuble à usage d'habitation, agent de prévention et de médiation, correspondant de nuit.