SUISSE
par M.
François
BELLANGER
professeur à l'Université de Genève,
avocat
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La Suisse, avec sa structure fédérale à trois niveaux comprenant l'État fédéral, 26 cantons et 2880 communes politiques, offre de multiples exemples de modalités d'organisation de l'administration, de gestion des tâches publiques, et donc de recours à des autorités indépendantes. Nous restreindrons notre analyse à l'administration fédérale qui utilise les deux formes les plus courantes d'organisation d'une autorité indépendante : l'autorité indépendante rattachée à l'administration centrale (I) et l'autorité indépendante entièrement autonome (II). Nous prendrons un exemple pratique pour chacun de ces deux types de structures.
Tous les textes légaux cités sont accessibles sur Internet, sur le site de l'administration fédérale www.admin.ch , sous la rubrique « recueil systématique du droit fédéral. Il suffit d'accéder au lien correspondant à la mention « RS » à laquelle est accolé le numéro de classement de la loi, par exemple RS 952.0.
I - Les autorités indépendantes rattachée s à l'Administration centrale
Pour accomplir certaines tâches publiques, le législateur a souhaité assurer une certaine autonomie de décision à une autorité tout en la maintenant liée matériellement à l'administration centrale. Dans ces cas, le législateur a créé une structure détachée du pouvoir hiérarchique de l'exécutif mais intégrée à l'administration centrale pour les questions de responsabilité et de personnalité morale ou, parfois, si elle n'est pas autonome financièrement, aussi de locaux, de financement et de personnel.
Ce type d'organisation dans lequel une unité administrative est partiellement autonome tout en étant dépourvu de la personnalité juridique est qualifié de rapport d'indépendance avec rattachement à l'administration. Cette forme d'organisation est utilisée pour des unités qui doivent disposer d'une large autonomie pour accomplir les tâches qui leur sont confiées, notamment pour les autorités ayant une fonction de contrôle ou de régulation.
L'autorité indépendante agit au nom et pour le compte de l'État mais sans lui être subordonnée, en dépit de son rattachement. Elle ne peut donc recevoir d'instructions sur la manière d'exécuter les tâches étatiques qui lui sont confiées. L'article 8, alinéa 2, de l'Ordonnance du 25 novembre 1998 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (RS 172.010.1 ; OLOGA) prévoit ainsi expressément que « Les unités rattachées administrativement sont en règle générale, en ce qui concerne la gestion des ressources, assimilées à l'administration fédérale centrale ; elles exécutent leurs tâches sans être liées par des instructions » 633 ( * ) . L'activité de ces commissions fait uniquement l'objet d'un contrôle judiciaire 634 ( * ) .
Au plan fédéral, il existe plusieurs unités de ce type :
- Le Préposé fédéral à la protection des données (article 26, alinéas 1 & 2, de la Loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD, RS 235.1) : le Préposé fédéral à la protection des données est nommé par le Conseil fédéral ; il s'acquitte de ses tâches de manière autonome et est rattaché administrativement au Département fédéral de justice et police) ;
- Le Contrôle fédéral des finances (voir la Loi fédérale du 28 juin 1967 sur le Contrôle fédéral des finances (Loi sur le Contrôle des finances, LCF, RS 614.0) ;
- La Commission fédérale des banques (articles 23 à 24 de la Loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne (Loi sur les banques, LB), RS 952.0 ;
- La Commission de la concurrence (articles 18 à 25 de Loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (Loi sur les cartels, LCart), RS 251) ;
- La Commission fédérale de la communication (articles 56 et 57 de la Loi du 30 avril 1997 sur les télécommunications (LTC), RS 784.10).
- La Commission fédérale des maisons de jeu (articles 49 à 53 de la Loi fédérale du 18 décembre 1998 sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (Loi sur les maisons de jeu, LMJ), RS 935.52).
À titre d'exemple, la surveillance des banques, des fonds de placement, des bourses et des négociants en valeurs mobilières, de la publication des participations importantes et des offres publiques d'acquisition, est confiée à une Commission de sept à onze membres nommée par le Conseil fédéral. Cette Commission agit de sa propre autorité et est assistée d'un secrétariat permanent (article 23 LB). http://www.admin.ch/ch/f/rs/952_0/a23.html - fn2 Elle a le droit de prendre « les décisions nécessaires à l'application de la loi » et de veiller au respect des prescriptions légales (article 23bis LB). Sur cette base, elle peut notamment prendre des mesures préventives contre les banques, afin que celles-ci respectent la loi. L'article 23ter LB lui octroie également le droit, lorsqu'elle apprend qu'une infraction aux prescriptions légales ou d'autres irrégularités ont été commises, de prendre les mesures nécessaires au rétablissement de l'ordre légal et à la suppression des irrégularités. Elle peut aller jusqu'à révoquer une licence bancaire. La Commission peut également entretenir des relations directes avec ses homologues étrangers dans la mesure où cela est nécessaire pour sa mission de surveillance (article 23septies LB).
Du point de vue de l'organisation, la Commission est rattachée au Département fédéral des finances. Elle est autonome du point de vue financier dans la mesure où ses émoluments de surveillance sont fixés de façon à couvrir ses frais de fonctionnement 635 ( * ) .
L'organisation et le fonctionnement des autres autorités indépendantes correspondent de manière générale à ce modèle.
II - Les autorités indépendantes entièrement autonomes
Dans le cadre de la réforme de l'administration fédérale, la Confédération a décentralisé des services de l'administration afin de les rendre plus efficients et indépendants financièrement. Dans le domaine des autorités administratives chargées de tâches d'autorité, cette réforme a provoqué la création de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IFPI). Une entité intercantonale chargée de contrôler l'importation et la mise en vente de médicaments en Suisse a été également « fédéralisée » sous la forme d'un établissement public autonome, dénommé « SWISSMEDIC » 636 ( * ) .
L'IFPI est chargé de la gestion des droits de propriété intellectuelle (notamment brevets, marques, designs, dessins et modèles industriels) (article 1 de la Loi fédérale sur le statut et les tâches de l'Institut fédéral de la Propriété intellectuelle du 24 mars 1995 (LIPI, RS 172.010.31)). Il est organisé sous la forme d'un établissement de droit public de la Confédération, doté de la personnalité juridique. Sa structure implique qu'il est autonome dans son organisation et sa gestion, mais reste soumis à la surveillance du Conseil fédéral (article 9 LIPI). Ce pouvoir de surveillance est limité au contrôle de l'activité, il ne permet en principe pas au Conseil fédéral de donner des instructions particulières relatives au fonctionnement ou à la gestion de l'IFPI. L'Institut tient sa propre comptabilité et doit être géré selon les principes de l'économie d'entreprise.
Les organes de l'IFPI sont nommés par le Conseil fédéral (article 3 LIPI). Ils se composent d'un conseil de l'Institut chargé essentiellement de la haute direction (approbation du rapport de gestion, des comptes annuels et du budget annuel ; article 4 LIPI), d'un directeur chargé de la gestion de l'établissement (articles 5 et 7 LIPI) et d'un organe de révision qui contrôle la comptabilité et fait un rapport annuel au conseil de l'institut (article 6 LIPI).
L'IFPI étant chargé de toutes les tâches d'autorité liées à l'application des diverses lois de propriété intellectuelle, la loi prévoit, en dérogation au système usuel de surveillance, qu'il est tenu de respecter les directives du Conseil fédéral ou du Département compétent pour ces tâches (article 5, alinéa 1, LIPI). Il est en revanche libre de gérer ses autres activités dans la mesure où elles ne constituent pas des tâches relevant de la souveraineté ; l'IPFI peut ainsi fournir, dans le domaine relevant de sa compétence, des prestations de service sur la base du droit privé (article 2, alinéa 1, litt. g LIPI).
Outre l'exécution des lois et les prestations de services privées, l'IFPI peut assister des services généraux à la Confédération dans le domaine de la propriété intellectuelle, par exemple en conseillant le Conseil fédéral et les autres autorités fédérales dans le domaine de l ' économie générale sur les questions relatives à la propriété intellectuelle ou en représentant la Suisse pour le compte de la Confédération auprès d'instances internationales (article 2, alinéa 1, litt. c et d).
Les moyens d ' exploitation de l'IFPI se composent des taxes qu ' il perçoit pour les activités relevant de la souveraineté de l ' État, des rémunérations qu ' il demande pour les prestations de service et des indemnités qui lui sont versées au titre des prestations en faveur de l ' économie générale (article 12 LIPI).
Pour les activités relevant de la souveraineté, l'Institut perçoit des taxes sur la délivrance et le maintien en vigueur des titres de propriété intellectuelle, la tenue et la mise à disposition des registres, l'octroi d'autorisations et la surveillance des sociétés de gestion collective, et les publications légalement prescrites. Ces taxes sont fixées de manière à ce qu'en tenant compte de l'ensemble des ressources de l'IFPI, elles assurent la couverture des coûts inhérents à chaque domaine juridiquement protégé, et ce sur une période de quatre ans en moyenne (article 13 LIPI).
En revanche, pour les prestations fournies à l'économie privée, l'IFPI doit appliquer les prix du marché afin d'éviter une éventuelle atteinte à la concurrence (article 14 LIPI).
Le fonctionnement de SWISSMEDIC est similaire (article 68 à 81 LPTh).
* 633 C'est nous qui soulignons.
* 634 Voir par exemple SJ 1996 363.
* 635 Voir le rapport de gestion 2004 de la Commission, p. 128. Ce document est disponible sur Internet à l'adresse suivante : http ://www.ebk.admin.ch/f/publik/bericht/pdf/jb04.pdf.
* 636 L'Institut suisse des produits thérapeutiques, Swissmedic, est l'autorité chargée de l'autorisation de mise sur le marché, du contrôle de la fabrication et de la qualité ainsi que de la surveillance du marché des produits thérapeutiques, en application de la Loi fédérale sur les médicaments et les produits médicaux du 15 décembre 2000 (LPTh, RS 812.21).