4. Difficultés suscitées par les articulations de compétences entre les autorités administratives indépendantes
2.1.2. Les difficultés d'articulation des compétences entre les Autorités administratives indépendantes proprement dites, du fait de l'évolution technique. Le législateur français, qui n'adhère pas à l'idée a priori de confier à plusieurs organismes la même tâche, a pris soin de ne pas confier une même tâche à deux entités. Le recouvrement s'est donc souvent opéré a posteriori , du fait de l'évolution des techniques. On peut prendre deux exemples de cette évolution qui fait naître des perspectives ignorées à l'époque où l'Autorité avait été instituée. La convergence en matière de télécommunications et d'audiovisuel rend moins évidente la distinction précédente entre le contenant et le contenu, ce qui remet en discussion la distinction entre l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (le contenant) et Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (le contenu). La loi du 3 juin 2004 transposant l'ensemble des directives européennes sur les télécommunications, a pris en compte cette convergence en élargissant la compétence du régulateur en matière de télécommunications au domaine plus large des communications électroniques, extension de compétence que la loi du 20 mai 2005 a entérinée en même temps qu'elle intégrait la régulation postale, à travers l'appellation d'Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes - ARCEP. Un second exemple peut être pris en matière financière et bancaire, perspective moins souvent évoquée que la précédente. On distinguait aisément la régulation financière et la régulation bancaire, la première gardant le principe de transparence et d'égalité des investisseurs dans un secteur, la seconde gardant le principe de gestion des risques, ce qui justifie une régulation moins publique et portant sur les établissements de crédit. Aujourd'hui les établissements financiers sont des opérateurs cruciaux dans le secteur financier, ce qui entraîne un recouvrement nouveau de compétence entre notamment l'Autorité des Marchés Financiers et la Commission Bancaire.
2.1.3. Le recouvrement des compétences entre les Autorités administratives indépendantes de médiation sociale et les organes d'intervention et de protection publique. Le recouvrement entre compétences des Autorités administratives indépendantes et compétences d'organisation des organismes traditionnels par l'Etat est plus problématique car la situation est alors pérenne. C'est notamment le cas des Autorités administratives indépendantes exerçant une fonction sociale à la fois particulière quant à l'objectif et générale quant à l'assiette de son action, à savoir la société tout entière. Il est vrai que les Autorités concernées présentent ces recouvrements comme autant de « complémentarités » 64 ( * ) . Ce recouvrement, ou cette complémentarité, peut être très large. C'est le cas notamment du Médiateur de la République, surtout lorsqu'il définit lui-même sa fonction au-delà du lien entre les administrés et l'administration, ce qui recouvrirait alors d'une autre façon la mission de la CADA, mais l'exprime à travers l'impératif de traitement juste des personnes dans leurs relations sociales 65 ( * ) , ce qui en fait un « défenseur des libertés » 66 ( * ) . Le Défenseur des enfants joue un rôle de médiation et d'explication des droits et intérêts des enfants, notamment par rapport des autorités publiques, comme l'école ou l'hôpital 67 ( * ) . On peut citer aussi le Haut Conseil à l'intégration qui se définit « comme un relais entre la société civile et l'autorité publique » 68 ( * ) . C'est encore le cas de la HALDE, dont certes l'objectif est précis, à savoir la lutte contre les discriminations, mais dont l'assiette recouvre celle de la police et du ministère public, puisque les comportements visés sont par ailleurs prohibés par le droit pénal. Nous revenons ici à la question essentielle posée précédemment 69 ( * ) , à savoir s'il faut prendre acte de la faiblesse des dispositifs généraux de l'intervention de l'Etat en créant des structures ponctuelles plus efficaces mais contribuant à affaiblir encore les dispositifs ordinaires, alors qu'on pourrait concevoir de renforcer le système général.
2.1.4. Le recouvrement des compétences entre les Autorités administratives indépendantes de régulation sectorielle et le Conseil de la concurrence. Le recouvrement peut encore venir de la pluralité des objectifs donnés aux Autorités administratives indépendantes 70 ( * ) , l'un des objectifs recouvrant un objectif d'autres institutions. Une hypothèse plus particulière concerne les Autorités administratives indépendantes qui ont mission de favoriser l'ouverture à la concurrence de secteurs naguère monopolistiques, ce qui rencontre nécessairement la compétence du Conseil de la concurrence. La France a choisi de ne pas confier aux autorités sectorielles un pouvoir autonome d'application du droit de la concurrence, mais a opté pour un système d'articulation, notamment d'articulation procédurale et technique 71 ( * ) . On aurait pu concevoir de déléguer aux Autorités sectorielles un pouvoir autonome de sanction des comportements anticoncurrentiels, en exclusive ou en cumul des pouvoirs généraux du Conseil de la concurrence. Le droit français a préféré pour l'instant organiser par la loi de manière de plus en plus fine, par exemple dans les rapports entre la CRE et le Conseil, l'ARCEP et le Conseil, le CSA et le Conseil, etc. Mais des recouvrements peuvent être moins organisés, parce que moins conçus, par exemple dans l'interférence entre la régulation bancaire et la régulation concurrentielle.
2.1.5. Le recouvrement des compétences entre les Autorités administratives indépendantes et les juridictions. La question des rapports entre les Autorités administratives indépendantes et les juridictions d'une part, et l'administration traditionnelle d'autre, sera vue ultérieurement. Il demeure que certains y voient un recouvrement des compétences, notamment parce que l'Autorité a un pouvoir de sanction, ce qui la superpose aux juridictions répressives, ou parce qu'elle exerce un office de règlement des différents, ce qui la superpose aux juridictions civiles. Les personnalités du monde judiciaire considèrent d'ailleurs fréquemment que la création des Autorités administratives indépendantes, dans leur ensemble, est un signe de défiance à l'égard des juridictions ordinaires bien plus qu'à l'égard de l'Etat centralisé 72 ( * ) . Le recouvrement sera d'autant plus net que l'Autorité exerce, comme le fait une juridiction, un contrôle ex post de comportement, sans exercer de pouvoir ex ante (tel des certifications, agrément, etc.) pas plus que ne le fait une juridiction, ce qui est notamment le cas du Conseil de la concurrence.
* 64 Ainsi, la HALDE expose, dans sa réponse au questionnaire, que « Les Missions de la Haute autorité sont complémentaires au déploiement des politiques publiques de l'Etat sur les discriminations, au travail des institutions et plus particulièrement à la mise en oeuvre des recours devant les tribunaux administratifs et judiciaires. - Complémentarité avec la CNDS : les réclamations concernant les plaintes relatives à l'action des forces de sécurité sont transmises à cette Haute Autorité. - Complémentarité avec la CNCDH : la CNCDH ne peut pas traiter les cas individuels. - Complémentarité avec les autres AAI : le Médiateur de la République ne peut pas intervenir dans la sphère privée ; ... ». De la même façon, le CSA estime, dans sa réponse au questionnaire, que sa mission « s'exerce de manière complémentaire de celle de la Direction du développement des médias (DDM - services du Premier ministre) ».
* 65 Le Médiateur de la République souligne, dans sa réponse au questionnaire, qu'il « joue un rôle « d'interface » entre les citoyens et les organismes publics lorsque survient un litige. Il s'est fixé comme ligne de conduite de toujours tenter d'identifier le « juste ou pas juste » dans l'action de l'administration à l'égard des citoyens. C'est dans cet esprit que le Médiateur de la République exerce ses deux principales missions. D'une part, son action de médiation individuelle ..., d'autre part, son action en matière de réforme.
* 66 Réponse du Médiateur de la République au questionnaire.
* 67 L'Autorité précise, dans sa réponse au questionnaire, qu'elle « contribue ... à mieux faire prendre en compte les situations individuelles par les différents prestataires de services à l'enfance (école, hôpitaux, services sociaux, justice, police, associations ...), en leur apportant des éléments d'information. ».
* 68 Réponse au questionnaire.
* 69 V. supra.
* 70 Sur l'interférence de cette multiplicité d'objectifs avec l'effectivité du contrôle des Autorités administratives indépendantes, v. infra.
* 71 Sur la technique de cette articulation, v. infra.
* 72 Sur la défiance à l'égard de l'Etat organisé traditionnellement, comme raison de créer des Autorités administratives indépendantes, v. supra.