2. Qui peut créer des autorités administratives indépendantes ?
1.1.14. La création des Autorités administratives indépendantes entre pouvoir législatif et pouvoir réglementaire. Dans la mesure où la catégorie des Autorités administratives indépendantes n'existe guère en tant que telle, il est difficile d'affirmer d'une façon très générale s'il s'agit d'une compétence exclusive du législateur ou si le pouvoir réglementaire peut créer une Autorité administrative indépendante. Cela tient au fait que pour l'instant, c'est davantage la mission des Autorités administratives indépendantes qui prévaut sur leur forme.
1.1.15. La compétence exclusive en considération du type de missions confié aux Autorités administratives indépendantes. Dès lors, il n'existe de compétence exclusive du législateur que si la mission de l'Autorité administrative indépendante croise la liste de l'article 34 de la Constitution. Pour prendre un exemple, de nombreuses Autorités administratives indépendantes ont en charge ou croisent les garanties fondamentales des citoyens et les libertés publiques 35 ( * ) , ce qui interdit au pouvoir réglementaire de créer des Autorités administratives indépendantes en la matière et réserve au législateur le soin, la charge, d'organiser entièrement l'Autorité. Comme on le sait, la distinction littéralement opérée par la Constitution quant aux matières dans lesquelles le législateur peut se contenter de fixer les principes généraux a été effacée par la jurisprudence, ce qui conduit à réserver la même pleine compétence législative, lorsque sont en cause des matières, telles que l'enseignement ou le régime de propriété, concernées par certaines Autorités administratives indépendantes, tel que le Comité National d'Évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (CNE).
1.1.16. La compétence exclusive en considération du type de pouvoirs attribué aux Autorités administratives indépendantes. En outre, l'article 34 réserve au Parlement l'attribution de certains pouvoirs dont sont fréquemment dotées les Autorités administratives indépendantes. En premier lieu, si une Autorité dispose du pouvoir réglementaire, celui-ci ne peut être conféré que par une loi 36 ( * ) , en ce qu'une telle délégation porte atteinte à la compétence du Premier Ministre de diriger l'action du Gouvernement, compétence exclusive du législateur qui subit elle-même des restrictions dans une telle délégation du pouvoir réglementaire 37 ( * ) . En outre, si l'Autorité doit être dotée d'un pouvoir de sanction, le principe de la légalité des délits et des peines, assis tout à la fois sur l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et sur l'article 34 de la Constitution, seul le législateur peut prévoir et organiser de tels pouvoirs, en visant les sanctions encourues mais aussi nécessairement les mesures destinées à préserver les droits et libertés constitutionnellement garanties dont les personnes doivent pouvoir se prétendre à l'encontre de l'Autorité.
1.1.17. La perspective d'un exercice exclusif par le Parlement du pouvoir de création. A première vue, si l'on n'est pas dans le champ de l'article 34 de la Constitution, l'on pourrait concevoir des Autorités administratives indépendantes directement créées par le pouvoir réglementaire. Cette solution juridiquement accessible présente pourtant deux dangers. En premier lieu, en raison de l'extension par la jurisprudence du nombre de principes fondamentaux pour lesquels l'exercice du seul pouvoir législatif est requis si le texte y porte atteinte (par exemple la diminution du principe du contradictoire), un risque d'inconstitutionnalité existe si la création est l'oeuvre seule du pouvoir réglementaire. En deuxième lieu, dans la mesure où les Autorités sont des organismes juridiques se soustrayant à de nombreuses règles, dans leur principe par leur rupture avec la hiérarchie de l'exécutif, et dans leur disposition technique par exemple par la dispense du contrôle financier, il est plus prudent que le législateur en toutes matières soit celui qui porte les Autorités administratives sur les font baptismaux. Cela serait même concevable si l'Autorité concernait le domaine du pouvoir réglementaire, sauf au Gouvernement à intervenir pendant la procédure législative 38 ( * ) .
1.1.18. Les compétences des pouvoirs législatif et exécutif au regard de la nature des Autorités administratives indépendantes. En troisième lieu, les Autorités administratives indépendantes doivent à la fois être les plus indépendantes possibles du Gouvernement, ce qui rend paradoxal le fait que leur source ne soit que réglementaire. Leur problème récurrent de légitimité 39 ( * ) rend très opportune leur création et la définition de leurs principes généraux d'organisation par le Parlement. En quatrième lieu, la légitimité de l'indépendance des Autorités administratives indépendantes tient dans leur capacité à rendre des comptes 40 ( * ) (au sens d' accountability ), et c'est devant le Parlement que cette reddition a vocation à s'opérer 41 ( * ) . Le système conduit donc à poser que toutes les Autorités administratives indépendantes ont vocation au-delà des prescriptions littérales de la Constitution, à être créées par le Parlement, même si une création d'une Autorité administrative indépendante par le pouvoir réglementaire n'est pas juridiquement exclue, à la triple condition que la mission de l'Autorité ne croise pas la liste de l'article 34, que l'Autorité ne doit pas dotée des pouvoirs que seul le législateur peut conférer, et que son organisation ne limite pas un principe fondamental infra-légal et supra-décrétal.
1.1.19. Le partage de la tâche entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Cela dit, rien n'oblige le législateur à prévoir dans tous les détails l'organisation et le fonctionnement des Autorités administratives indépendantes. Tout a été dit sur l'inflation législative et la prise en charge par la loi de fines prescriptions que le pouvoir réglementaire pourrait dessiner. Cette remarque générale n'est pas propre aux Autorités administratives indépendantes mais elle vaut également pour elles. On remarquera que la pratique des ordonnances permet au pouvoir réglementaire d'interférer sur le droit des Autorités administratives indépendantes. C'est ainsi l'ordonnance du 8 septembre 2005 qui a conféré la qualité même d'Autorité administrative indépendante au Haut Conseil du commissariat aux comptes (Art. L. 821-1 du Code de commerce). Il est difficile de considérer que cet acte de qualification équivaut à un acte de création, mais enfin c'est bien ainsi que ce conseil est advenu Autorité administrative indépendante. Ainsi, les décrets pourraient préciser les règles d'organisation et fonctionnement des Autorités administratives indépendantes, dès l'instant que nous ne sommes pas dans le domaine exclusif de la loi. Dans cette perspective, une loi-cadre sur les Autorités administratives indépendantes 42 ( * ) pourrait avoir le bon effet de contraindre le pouvoir réglementaire dans l'exercice de son pouvoir.
1.1.20. La création des règles d'organisation des Autorités administratives indépendantes par elles-mêmes . Que ce soit sur l'indication de la loi 43 ( * ) ou sur sa seule incitation 44 ( * ) , les Autorités administratives indépendantes adoptent des règlements intérieurs. Ces règlements intérieurs ont notamment pour objet d'accroître la sécurité des personnes concernées et l'impartialité des décisions de l'autorité. Par exemple, l'article 13 du règlement intérieur de la CNIL dispose que « dans le mois qui suit son entrée en fonctions, chaque membre de la commission informe le président des intérêts directs ou indirects qu'il détient, des fonctions qu'il exerce et de tout mandat qu'il détient au sein d'une personne morale ». Il doit faire de même en cours de mandat. De même, les articles 5 et 8 du règlement intérieur du Conseil de la concurrence organisent une véritable procédure orale contradictoire alors que l'article L. 463-7 du Code de commerce se borne à indiquer que les parties peuvent être entendues par le Conseil.
Le plus souvent cependant, il s'agit pour l'autorité d'organiser la procédure de prise de décision tout en respectant les principes généraux fixés par la loi. A cet égard, le règlement intérieur de l'ARCEP, qui suit pas à pas le code des postes et télécommunications, est caractéristique.
Une place particulière doit être cependant faite au règlement général de l'Autorité des marchés financiers, homologué par arrêté du 12 octobre 2004. Ce règlement très précis procède à l'identification de certaines infractions comme les abus de marché par opérations d'initiés et manipulations de marché qui en font le véritable texte de référence des opérateurs 45 ( * ) .
* 35 Par exemple et parmi de nombreuses autres la CNIL, le CSA, la CADA, la HALDE, le Défenseur des enfants ou encore la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
* 36 Déc. Cons. Const. N° 88-248 DC du 17 janvier 1989, CSA, Rec . , p. 18.
* 37 V. infra.
* 38 Décision n°82-143 DC du 30 juillet 1982, dite « Blocage des prix et des revenus » (Rec., 57, GDCC n°33). Cependant, le Conseil constitutionnel semble revenir vers une volonté de plus fort respect du domaine réglementaire contre le pouvoir législatif (décision n°2005-512 DC du 21 avril 2005, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école)
* 39 V. infra.
* 40 V. infra
* 41 V. infra
* 42 V. infra
* 43 Par exemple, l'article L. 621-5-1 du Code monétaire et financier pour l'AMF.
* 44 La CNIL s'appuie pour cela sur la loi du 6 janvier 1978..
* 45 Par exemple, l'article 621-1 définit l'information privilégiée, ce que ne fait pas d'une façon aussi précise le Code monétaire et financier.