4. La clarification du contrôle juridictionnel des autorités administratives indépendantes
13.1.5. La diversité des juridictions de recours contre les régulateurs économiques. Les Autorités administratives indépendantes ont longtemps relevé du contrôle du Conseil d'Etat, conséquence naturelle de leur nature administrative, solution ayant l'avantage de la simplicité et l'avantage de solutions juridictionnelles unifiées. Cela demeure fondamentalement le cas des régulateurs de médiation et de protection des personnes et des libertés publiques 300 ( * ) . Mais la législation a, à partir de 1987, transféré la compétence du contrôle vers la Cour d'appel de Paris, notamment pour le Conseil de la concurrence, le régulateur des marchés financiers, etc. (à l'exception notable des Autorités de régulation bancaire, Commission bancaire et CECEI qui demeurent sous le contrôle du Conseil d'Etat). Il en a résulté une complexité dans l'organisation des recours juridictionnels.
13.1.6. La complexité qui résulte de la diversité des juridictions de recours et l'interférence du critère du type de pouvoirs exercés par les régulateurs économiques. La complexité ne vient pas tant du fait que certaines Autorités relèveraient du juge administratif et d'autres du juge judiciaire, la répartition étant plus fine et compliquée que cela. En effet, suivant le type de pouvoir exercé par l'Autorité, le recours sera porté soit devant la Cour d'appel de Paris, soit devant le Conseil d'Etat. Si l'Autorité n'exerce qu'un seul type de pouvoir, par exemple le Conseil de la concurrence qui sanctionne les comportements anticoncurrentiels mais n'est pas doté de pouvoir ex ante , de pouvoir réglementaire ou d'agrément 301 ( * ) , et dont les décisions relèvent du contrôle de la Cour d'appel de Paris. Mais dès l'instant que les pouvoirs sont diversifiés, alors l'exercice du pouvoir réglementaire relèvera du Conseil d'Etat et le pouvoir de règlement des différents de la Cour d'appel de Paris, conséquence naturelle du type de pouvoir exercé. La question du pouvoir de sanction est plus difficile, suivant qu'on le considère de type répressif (conduisant logiquement au juge judiciaire) ou de type disciplinaire (conduisant logiquement au juge administratif). Il en résulte que le Tribunal des conflits est amené régulièrement à statuer sur la compétence de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif, aussi bien en matière financière 302 ( * ) qu'en matière énergétique 303 ( * ) .
13.1.7. La perspective radicale d'une juridiction unifiée et nouvelle de contrôle des régulateurs économiques. Une solution radicale consisterait dans la création par le Parlement d'une juridiction absolument autonome, c'est-à-dire qui ne soit insérée ni dans l'ordre des juridictions judiciaires ni dans l'ordre des juridictions administratives, et compétente pour tout type de recours contre tout type de décision, prise par tout type d'Autorité administrative en charge d'une régulation économique.
13.1.8. Évaluation du coût d'une telle solution. Dans son principe, cette solution est très séduisante, ne serait-ce parce qu'elle prend acte de l'affaiblissement de la distinction entre droit public et droit privé en matière économique. Mais le coût d'un tel établissement est très élevé, non pas tant en termes financiers qu'en termes institutionnels et au regard de la sécurité juridique d'une telle solution 304 ( * ) . En effet, si l'on estime que la question ne concerne que les régulateurs économiques et non pas les régulateurs sociaux de protection des personnes, cela suppose que l'on puisse très fermement classer les Autorités administratives indépendantes dans cette summa divisio , ce qui est en réalité difficile, notamment concernant le CSA 305 ( * ) . En outre, il n'est pas sûr que doter d'un pouvoir de contrôle de légalité une juridiction n'appartenant pas à l'ordre des juridictions administratives passe aisément le contrôle du Conseil constitutionnel. Enfin, le coût institutionnel d'une telle liberté prise par rapport au principe de dualité des ordres est très élevé et la phase d'apprentissage technique risque d'être assez longue, engendrant une période d'incertitude juridique qui constitue en elle-même un risque et un coût.
13.1.9. Évaluation comparée de la difficulté de la solution par rapport aux difficultés de la situation qu'il s'agit d'améliorer. Cette sorte de dépense institutionnelle n'est pourtant pas inenvisageable si elle permet de résoudre une difficulté très grande. En effet, la dualité des ordres de juridictions peut être surmontée si elle produit de graves inconvénients. Mais l'observation pratique montre que les Autorités administratives indépendantes ne présentent pas cette question comme une difficulté majeure 306 ( * ) . Plus encore, les opérateurs concernés par l'exercice que les régulateurs économiques font de leur pouvoir sont des entreprises puissantes et informées qui ont intégré la complication indéniable née de la dualité des ordres de juridictions et n'en demandent pas particulièrement la mise à l'écart. Ces entreprises demandent davantage des garanties de compétence technique et de droits processuels effectifs 307 ( * ) que l'édiction d'une juridiction de recours ad hoc . La difficulté qui pourrait justifier une telle édition est autre : le risque que court le système juridique lui-même, lorsqu'une même situation, ou l'exercice d'un même type de pouvoir, donne lieu à des solutions divergentes, dont l'antagonisme ne peut être résolu car les décisions contradictoires, soit dans leurs solutions particulières, soit dans l'interprétation du droit qui y a abouti (hypothèse plus grave), demeurent intactes, protégées chacune par leur ordre de juridiction. Mais là aussi l'expérience montre que les solutions sont articulées spontanément. Là encore, c'est affaire de pratique, notamment par la rencontre régulière des divers magistrats concernés.
* 300 Sur cette summa divisio, v. supra.
* 301 V. supra.
* 302 Trib. Conflits, 22 juin 1992, Diamantaires d'Anvers.
* 303 Trib. Conflits, 26 avril 2004, Powernext.
* 304 Cette perspective est d'ailleurs très généralement rejetée par ceux auprès de laquelle elle est évoquée. Par exemple, Renaud Chazal de Mauriac, premier président de la Cour d'appel de Paris, estime que « Une juridiction économique unique, c'est tentant et conceptualisable mais serait-ce vraiment la réponse au regard du coût, c'est difficile à dire. Je serai plus enclin d'améliorer le dispositif existant. ».
* 305 V. supra.
* 306 Par exemple, Paul Champsaur, président de l'Arcep, précise dans un entretien que « cela fonctionne sans problème. ».
* 307 V. supra.