2. La coopération verticale entre les autorités administratives indépendantes et les juridictions
12.1.5. Les juridictions, contrôleurs légitimes et légitimant des Autorités administratives indépendantes . L'Etat de droit oblige que les décisions individuelles des Autorités administratives indépendantes soient soumises à un contrôle juridictionnel. Le droit français est très clair sur le principe, imposé d'ailleurs par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l'Homme 290 ( * ) . La distinction vient plutôt de la désignation d'une juridiction judiciaire ou d'une juridiction administrative pour ce faire, ce qui sera examiné plus loin.
L'essentiel tient dans la compétence technique des magistrats, d'un ordre ou de l'autre, qui connaissent de ces recours, notamment lorsque la décision prises par l'Autorité est très technique (ce qui est plus souvent le cas pour les régulateurs économiques 291 ( * ) ), l'observation valant aussi bien pour les magistrats que pour les experts qui les assistent 292 ( * ) .
12.1.6. Le recours comme mode de coopération. Il faut que le législateur veille à ne pas monter les Autorités administratives indépendantes contre les juridictions et réciproquement. On observera que les cas d'annulation ou réformation sont assez rares et portent généralement sur des questions de procédure ou d'une façon plus large sur la « façon de faire » de l'Autorité lors de l'exercice de ses pouvoirs 293 ( * ) . C'est pourquoi le recours doit constituer un mode vertical de coopération, ce qui est toujours difficile entre des institutions se définissant dans un tel cas comme un contrôlé face à un contrôleur. C'est à ce titre que le pouvoir exceptionnel pour les Autorités administratives indépendantes de formuler des observations devant la juridiction de recours, est justifié. En outre, mais cela n'est pas affaire de législation mais de pratique, les rencontres régulières et les échanges non seulement d'informations techniques mais encore de culture (par exemple culture économique et culture juridique), sont le véritable gage de faire en sorte que les recours ne soient pas des procédés d'annihilation d'un pouvoir par un autre, mais une coopération efficace.
SECTION 13 : L'INTERFÉRENCE DE L'ACTION DES JURIDICTIONS SUR L'ACTION DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES
3. La concomitance des procédures propres aux autorités administratives indépendances et des procédures ordinaires devant les juridictions et les instances disciplinaires
13.1.1. La tendance à multiplier les concomitances des procédures Ce n'est pas parce que les Autorités administratives indépendantes sont titulaires de pouvoirs de type juridictionnel, ce qui est nécessaire à l'efficacité de leur action 294 ( * ) , que les compétences ordinaires des juridictions cessent. C'est pourquoi le droit positif a multiplié la concomitance des procédures, analogues devant les Autorités administratives indépendantes et devant les juridictions. Cela est la conséquence nécessaire de deux logiques, l'une tenant à l'efficacité de l'action publique, l'autre tenant à l'office ordinaire des juridictions de sanctionner et de trancher des litiges, deux logiques générales et fondamentales qui ne peuvent pas s'écarter l'une l'autre.
13.1.2. Les inconvénients pratiques de la concomitance . Il en résulte une complexité du système, un coût important et des comportements opportunistes de la part d'opérateurs puissants qui peuvent à leur choix faire jouter les uns plutôt que les autres, les uns contre les autres. Les avocats dont l'importance est corrélée à la juridictionnalisation de l'action des Autorités administratives indépendantes et à l'ampleur du contrôle de leurs actions par les juridictions sont au service de telles stratégies, légitimes pour ceux qui les mènent, dommageables pour le système. Mais l'expérience montre que l'action des Autorités et l'action des juridictions, que les parties prenantes peuvent saisir en première instance et alors même que le droit laisse faire cette concomitance et n'organise notamment pas d'autorité de chose décidée au bénéfice des Autorités à l'égard des juridictions ordinaires, les conflits ne sont guère advenus. Sans doute faut-il se contenter de cette satisfaction pratique sur une organisation juridique pourtant lacunaire, puisque les deux compétences se superposent sans hiérarchie ni opposabilité. Le droit de la concurrence est exemplaire à ce titre, puisque de fait l'application concomitante qu'en fait le Conseil de la concurrence et à sa suite la Cour d'appel de Paris, et les juridictions administratives sous le contrôle du Conseil d'Etat, ne produit pas de divergences substantielles. Si celles-ci existaient, elles seraient insurmontables car le système juridique français ne comprend pas de juridictions aptes à briser une divergence de jurisprudence (sauf à ce que le Parlement vienne briser une des jurisprudences), mais ces divergences n'adviennent pas, ou sur des points de détail, ou d'une façon provisoire.
13.1.3. L'inconvénient de principe lié au principe non bis in idem . Lorsqu'il s'agit du pouvoir de sanction, l'inconvénient devient de principe. Le Conseil constitutionnel lui-même après avoir admis le cumul des sanctions administratives prononcées par les Autorités administratives indépendantes avec les sanctions pénales prononcées par les tribunaux répressifs 295 ( * ) a exprimé des réserves par sa décision 96-378 DC du 23juillet 1996 en raison de la valeur constitutionnelle de la règle non bis in idem . Même si la censure du Conseil constitutionnel demeure incertaine, sa décision pouvant prêter à interprétation, le législateur doit être lui-même sensible à cette protection des personnes, que le principe de proportionnalité ne suffit pas à établir 296 ( * ) et alors même qu'il est établi que le pouvoir de sanction est nécessaire à l'efficacité de l'action des Autorités administratives indépendantes.
13.1.4. Le modèle de l'Autorité des Marchés Financiers. La question a été profondément discutée devant le Parlement à l'occasion de la création de l'AMF et au regard de l'expérience du pouvoir de sanction exercé par la COB. Pour rendre admissible ce pouvoir de sanction, sans lequel l'Autorité perd une grande partie de l'efficacité de son action et alors même que les juridictions n'ont pas les moyens d'avoir une efficacité équivalente, et dont la disparition aurait donc fait diminuer considérablement l'efficacité de l'action de l'Etat dans la régulation des marchés financiers, le législateur a tout d'abord distingué fonctionnellement dans l'organisation de l'Autorité l'exercice du pouvoir de sanction de l'exercice des autres pouvoirs 297 ( * ) . La Commission des sanctions, organe distinct du collège, peut donc constituer un exemple à suivre. En outre, la loi a prévu que l'Autorité qui décide d'ouvrir une procédure administrative de sanction se voit alors privée du droit de saisir des juridictions répressives, alors qu'à l'inverse, elle peut, facilitée en cela par sa nouvelle personnalité morale 298 ( * ) , non seulement saisir les juridictions pénales mais encore se constituer partie civile, dès l'instant qu'elle renonce à ouvrir pour son compte une procédure de sanction. Cette organisation qui laisse perdurer les deux types de procédure, procédure administrative de sanction et procédure pénale de sanction, établit un équilibre conforme au principe constitutionnel non bis in idem , sans plus recourir à l'argument sophistique de la distinction de nature entre sanction administrative et sanction pénale 299 ( * ) , et en ne diminuant pas l'efficacité de l'action de l'Etat, portée par l'Autorité administrative indépendante.
* 290 V. supra.
* 291 Renaud Chazal de Mauriac, premier président de la Cour d'appel de Paris, souligne dans un entretien que « la difficulté liée à l'inexpérience des magistrats dans les domaines spécialisés fait l'objet d'une réflexion. Pour la Première chambre H, nous cherchons des spécialistes ayant le bon profil. Ce n'est pas toujours facile. On pourrait envisager de créer des filières particulières ou un échevinage ? Cela soulève de délicates questions, et la situation actuelle demeure encore insatisfaisante ». Il poursuit : « un effort doit être consenti pour amener les magistrats à avoir une culture économique et financière suffisante, mais il convient de concevoir une politique judicieuse du Garde des Sceaux en matière de gestion des ressources humaines, si l'on veut justifier cet effort. ». En ce qui concerne la Cour plus particulièrement, Renaud Chazal de Mauriac expose : « Pour l'instant, nous avons trois formations de jugement, une pour l'AMF, l'autre pour la CRE, et l'une pour l'ARCEP. Les affaires du Conseil de la concurrence sont réparties entre les trois selon différents critères. Les magistrats composant ces formations n'y sont pas affectés à titre exclusif. Aujourd'hui nous menons une réflexion sur l'opportunité d'avoir une seule formation entièrement spécialisée, tout en se demandant si on peut se permettre d'affecter 3 magistrats à plein temps sur un nombre limité de dossiers. Pour l'instant, cette option n'a pas été retenue. ».
* 292 Ainsi, Paul Champsaur, président de l'ARCEP, souligne dans un entretien « la faiblesse du système judiciaire, avec une grande difficulté d'expertise du fait de l'inexistence des experts indépendants. L'expertise est souvent le fait de non spécialistes et se limite à une expertise comptable. C'est pourquoi les autorités participent par la suite au contentieux. Ce qui peut poser un problème d'indépendance. Toutefois, la compétence des juges tend à s'accroître. ».
* 293 Par exemple, l'ARCEP, dans sa réponse au questionnaire, souligne que « Peu de décisions de l'Autorité ont été annulées depuis 1997 ; les moyens d'annulation sont souvent liés à un défaut de transparence ou vice de procédure (contentieux sur le service universel ou sur le dégroupage notamment). ».
* 294 V. supra.
* 295 V. supra.
* 296 V. supra.
* 297 V. supra.
* 298 V. supra.
* 299 V. supra.