4. Pertinence des moyens humains des autorités administratives indépendantes par rapport à leurs missions
7.1.1. Les besoins relativement modestes des Autorités administratives indépendantes en personnel . Il est difficile de formuler une règle valant pour toutes les Autorités administratives indépendantes.
Sans doute faut-il faire un sort particulier aux Autorités qui ont besoin de « capteurs » 178 ( * ) , c'est-à-dire de personnes qui sont disséminées pour percevoir les informations, techniques ou sociales. Il en est ainsi du Médiateur de la République 179 ( * ) , ou du Défenseur des enfants 180 ( * ) , ou plus nouvellement encore de la CNIL 181 ( * ) . Le plus souvent, il s'agit de « bénévoles indemnisés ». D'une façon plus générale, cela peut être le cas en protection du consommateur, des enfants, ou des autorités de médiation sociale, ce qui requiert du personnel sur le terrain.
Cette circonstance n'est pas d'ailleurs donnée, puisqu'il peut arriver que l'évolution de la mission d'une Autorité la conduise à requérir de tels capteurs qui n'étaient pas requis dans une conception précédente plus restrictive de sa mission. Ainsi, la CNIL qui avait avant sa réforme de 2004 une définition assez passive de sa mission en a aujourd'hui, notamment du fait de cette réforme, une conception plus dynamique, qui la conduit à mettre en place des délégations sur l'ensemble du territoire français.
Les autres Autorités administratives indépendantes ont des offices beaucoup plus concentrés sur des activités normatives qui sont ce que l'on pourrait désigner comme des services à haute valeur ajoutée, nécessitant avant tout de l'expertise technique.
7.1.2. A ce moment, l'enjeu est de pouvoir recruter le nombre relativement restreint de personnes requises, en leur offrant des salaires pouvant entrer en compétition avec ceux du marché 182 ( * ) .
7.1.3. La pénalisation budgétaire des Autorités administratives indépendantes les plus anciennes par rapport aux Autorités les plus récentes. Cependant, certaines Autorités administratives indépendantes ont des moyens budgétaires qui ne sont pas à la hauteur de la technicité de leurs missions.
Il en est ainsi du Conseil de la concurrence, qui ne dispose annuellement que d'un budget de 10 millions d'Euros, alors qu'il doit traiter des cas d'une grande technicité et fait face à des entreprises qui peuvent mobiliser des moyens financiers considérables pour apporter au Conseil des informations élaborées en leur faveur.
Le Conseil est démuni par la faiblesse de son budget, faiblesse qui l'offre en capture au secteur économique sur lequel il doit exercer son emprise, et alors même que l'asymétrie d'information est le plus grand risque pour l'efficacité, la légitimité et l'indépendance d'une autorité. Pourquoi cette situation très dommageable pour l'Etat, dont le Conseil de la concurrence est un organe et dont il ne peut pas vouloir la faiblesse ?
Cela tient sans doute au fait que le Conseil de la concurrence a été créé relativement anciennement par rapport à d'autres Autorités administratives indépendantes. Il demeure donc dans les règles que l'on jugeait adéquates en 1986. La pesanteur, notamment dans les négociations budgétaires des situations annuelles précédentes, le maintient en quelque sorte au sol, alors que des Autorités administratives indépendantes plus récemment créées, sont dotés de moyens humains et financiers qui correspondent aux enjeux actuels (par exemple la CRE, qui dispose à juste titre d'un budget, de 20 millions d'Euros).
Cela n'est dû à cette pesanteur historique qui favorise ce que l'on pourrait désigner comme les organismes nouveaux entrants dans la catégorie des Autorités administratives indépendantes. L'absence de raison plus forte devrait conduire à reconsidérer cette situation.
7.1.4. Les besoins d'un personnel hautement qualifié. Cette nécessité d'une grande expertise technique au sein du personnel de l'Autorité doit être corrélée avec le fait que les membres du collège, dans le système actuel, n'ont pas nécessairement à être dotés de toutes les expertises requises 183 ( * ) et que les membres du collège, collège dont l'existence est désormais quasiment la règle dans les Autorités administratives indépendantes, ne consacrent pas un temps plein à y siéger, à l'inverse du Président et du Directeur général qui sont généralement à plein-temps 184 ( * ) . Par exemple, les membres du collège de l'AMF y consacrent de 10 à 20% de leur activité professionnelle, de même que ceux de la CNIL y consacrent une partie très minoritaire de leur temps, et l'on pourrait dire de même de quasiment tous les membres des collègues d'Autorités.
7.1.5. Les membres du collège de la HALDE y consacrent un temps « variable » 185 ( * ) . Les expertises des services doivent donc être fortes et de multiples natures, les différents tableaux accessibles informatiquement montrant qu'elles varient suivant la mission donnée aux autorités.
7.1.6. L'essentiel pouvoir des Autorités administratives indépendantes à choisir elles - mêmes les personnes requises . Dans des schémas anciens, dont certaines traces demeurent, les Autorités administratives indépendantes disposaient de personnels composés de fonctionnaires, ce qui n'est pas nécessairement un grief, encore moins dans des matières dans lesquelles l'administration traditionnelle avait amassé une grande expertise (comme en matière de télécommunications au moment de la libéralisation).
Le constat peut tourner en grief s'il s'avère que ce sont les ministères qui peuvent choisir le personnel qui sera transféré dans l'Autorité en question. Aujourd'hui, le principe de l'autonomie de gestion, qui vient compléter l'autonomie financière ou qui en compense l'absence 186 ( * ) , permet d'éviter cela. Cela est d'autant plus requis pour les fonctions qui au sein de l'Autorité requièrent des compétences qui ne sont pas celles développées naturellement dans l'Etat 187 ( * ) .
7.1.7. Mise à disposition, détachement et embauche contractuelle . Désormais, les Autorités administratives indépendantes ont la possibilité, si elles en ont les moyens budgétaires, de choisir le mode par lequel une personne intègre leurs services. On observe que la majorité du personnel est constituée d'agents de droit public 188 ( * ) . La LOLF joue là aussi son effet de révélateur 189 ( * ) , puisqu'en regard d'une certaine vérité des affectations des moyens et du coût financier supporté à ce titre, les mises à disposition de fonctionnaires ne sont plus un moyen disponible pour les Autorités administratives indépendantes. Cela peut constituer un passage difficile pour des Autorités ayant jusqu'ici fonctionné sur ce mode, comme le Médiateur de la République 190 ( * ) , en comparaison par rapport à l'Autorité des Marchés Financiers, ou la CNIL qui a une maîtrise de son personnel 191 ( * ) , mais l'on peut penser qu'il s'agit d'une face, certes plus douloureuse, du principe d'indépendance des Autorités administratives indépendantes à l'égard du Gouvernement. Les détachements de fonctionnaires sont désormais le mode accessible pour les Autorités administratives indépendantes qui veulent s'appuyer sur l'Etat, ce qui est normal puisqu'elles agissent en son sein, et présentent des garanties plus sûres d'indépendance en raison de la durée dès le départ convenue et du fait que les Autorités administratives indépendantes peuvent choisir les fonctionnaires qui, à leur incitation, solliciteront un tel détachement. L'expérience semble d'ailleurs montrer que ce sont des fonctionnaires dynamiques et compétents qui sont l'objet de telles procédures de détachement, ce qui finit par engendrer une rupture d'égalité au détriment de l'administration traditionnelle. Enfin, et c'est une situation qui ne cesse de s'étendre, les Autorités administratives indépendantes passent des contrats de droit privé, ce qui requiert dès lors les moyens budgétaires pour y procéder 192 ( * ) .
7.1.8. Appréciation des moyens humains, entre la direction, le président, le collège et les services. Si l'on doit chercher pourtant à donner une image générale de la question des moyens humains, il apparaît que les moyens humains ne sont pas les mêmes suivant qu'il s'agit des services, de la direction, du collège, voire du président.
7.1.8.1. Les qualités requises pour les services. En effet, et cela peut guider le choix des uns et des autres, les services doivent être structurés suivant les enjeux techniques de la mission de l'Autorité. La direction de ces services, confiée au secrétaire général de l'Autorité - ou Directeur général selon la terminologie applicable, est d'une très haute importance car c'est cette direction générale qui fait le lien entre les services (l'expertise) et le collège (le choix entre les décisions possibles). L'observation montre d'ailleurs que le Président et le directeur général font souvent tandem pour assurer le bon fonctionnement de l'Autorité 193 ( * ) .
7.1.8.2. Les qualités propres au président de l'Autorité. Si l'on peut s'autoriser encore une observation, le Président de l'autorité doit avoir deux aptitudes propres, qui s'ajoutent à celle de la maîtrise requise pour le bien-mené de la mission. La première aptitude, difficile à cerner juridiquement, est celle d'imposer l'autorité de l'institution, c'est-à-dire de disposer d'un prestige personnel 194 ( * ) . Cela tient à la dimension charismatique que le président offre ainsi à des Autorités administratives indépendantes organisées par ailleurs à travers leur collège sur le modèle de l'anonymat technocratique. La seconde aptitude est celle de maîtriser les rouages de l'Etat, non seulement parce que les Autorités administratives indépendantes en relèvent mais encore parce que l'observation pratique montre que les négociations, notamment budgétaires, requièrent cette habilité. Le constat de la nécessité de cette aptitude est purement factuel, il n'est pas normatif. Si l'on estime qu'il n'est pas normal que cette aptitude soit requise, et qu'il faudra notamment pouvoir désigner sans dommage une personnalité ayant une autorité technique ou morale, mais non nécessairement une bonne connaissance des rouages des ministères, et sans pour autant pénaliser l'Autorité dans ses rapports avec l'administration traditionnelle, alors il faudra mettre en place des systèmes qui leur permettent d'externaliser ce type de négociation 195 ( * ) .
* 178 L'expression est notamment utilisée par Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, qui, dans un entretien, souligne d'une façon générale : « nous accordons beaucoup d'importance à la teneur de nos dossiers, et nous avons mis en place de nombreux « capteurs » sur l'évolution de la société, afin de lancer le débat, devant le politique, sur l'opportunité d'une réforme dans tel ou tel domaine. ».
* 179 Qui dispose d'environs 300 personnes réparties sur le territoire français.
* 180 Celui-ci estime d'ailleurs, dans sa réponse au questionnaire, qu' « il serait utile de généraliser aux correspondants territoriaux du Défenseur des Enfants les textes réglementaires et législatifs appliqués aux délégués du Médiateur de la République. ». L'Autorité poursuit en soulignant que « si l'Institution bénéficiait d'une dotation budgétaire plus importante, elle consacrerait avant tout les moyens supplémentaires au recrutement de nouveaux correspondants territoriaux qui constituent en fait un véritable service extérieur et un rouage essentiel de l'institution. ».
* 181 La loi d'août 2004 prévoit des correspondants de la CNIL non seulement dans les collectivités publiques, mais encore dans les entreprises ou les associations.
* 182 Ainsi, l'Autorité des Marchés Financiers se satisfait, dans sa réponse au questionnaire, de sa politique salariale, car « les recrutements sont effectués essentiellement sur le marché de l'emploi. Les rémunérations offertes par l'Autorité sont proches du niveau du marché ... à quelques exceptions près et permettent de pourvoir à l'ensemble des postes vacants de l'Autorité ».
Le cas de la CNIL est particulièrement intéressant puisqu'il présente un mixte du cas de figure, l'Autorité précisant dans sa réponse au questionnaire que « La politique salariale de la CNIL lui permet de recruter des collaborateurs sur le marché du travail. En début de carrière, les rémunérations offertes par la CNIL correspondent globalement au premier quartile du marché. L'écart se creuse ensuite. Au bout de 10 ans de carrière, les rémunérations offertes se rapprochent de celles de la fonction publique de l'État et s'éloignent de celles pratiquées sur le marché. ».
* 183 Lors de l'entretien, Julien Dourgnon, directeur des études et de la communication à l'UFC - Que Choisir, souligne : « il faut aussi évoquer la possibilité de fort décalage entre l'analyse technique des services (soustraits à la pression politique » et les collèges ».
* 184 Ce n'est pas vrai du Haut Conseil du commissariat aux comptes, dans lequel le président est à mi-temps.
* 185 La HALDE décrit ainsi, dans sa réponse au questionnaire, l'organisation : « Les membres ont des disponibilités différentes, qui peuvent varier au cours de leur mandat. Les réunions du collège, d'une durée de 2 heures, ont lieu au moins deux à trois fois par mois. ».
* 186 V. infra.
* 187 Par exemple, la Commission de Régulation de l'Energie souligne, dans sa réponse au questionnaire, que « La politique salariale de la CRE s'inscrit dans la logique budgétaire des lois de finances. Les moyens budgétaires qui lui sont accordés et la nécessité de s'inscrire en cohérence avec la grille salariale de la fonction publique limitent sa capacité à effectuer les recrutements au niveau les mieux adaptés à l'exercice de ses missions. En effet, dans certains domaines (droit public, comptabilité...) on trouve des personnels dans l'administration. Toutefois, ce n'est pas toujours le cas dans d'autres secteurs, tels que l'électricité et le gaz.
* 188 Par exemple, l'Autorité des Marchés Financiers dispose au 1 er octobre 2005 de 355 personnes, dont 307 agents de droit public (en balance avec les 36 salariés de droit privé), mais à l'intérieur desquels 268 sont contractuels (en balance avec les 31 fonctionnaires).De toutes les façons, les agents de droit public ou de droit privé sont soumis à un statut unifié, y compris dans la représentation collective du personnel.
Par comparaison, le Conseil de la concurrence dispose de 120 emplois contractuels ou par détachement. En outre, des agents dépendant de l'administration centrale du Ministère de l'Economie et des Finances sont affectés au Conseil et rémunérés sur son budget.
Plus encore, sans doute en raison de la conscience d'appartenir profondément à la sphère de l'Etat, des Autorités ne souhaitent pas bénéficier d'autres personnels que relevant d'un statut de droit public. Ainsi, le Défenseur des enfants, dans sa réponse au questionnaire, souligne : « les personnels de l'Institution du Défenseur des Enfants sont des agents contractuels de droit public. Pas de souhait particulier d'évolution de ce statut. ».
De la même façon, les agents de la CNIL sont des contractuels de droit public ou des personnes détachées de statut public. et la nature des emplois budgétaires de la CNIL lui permet d'accueillir des personnels détachés de statut public. Certes, dans sa réponse au questionnaire, la CNIL estime qu' « Il serait souhaitable de faire évoluer le statut des contractuels sur différents points. Notamment, la possibilité de détacher un contractuel permettrait des échanges entre homologues français et européens. ».
On peut encore citer la Commission de Régulation de l'Energie, au sein de laquelle tous les agents sont de droit public, soit fonctionnaires (23%) soit contractuels (77%), la Commission estimant, dans sa réponse au questionnaire, qu' « Aucune évolution de ce statut n'apparaît nécessaire. ».
* 189 V. infra.
* 190 Sur les 94 agents permanents travaillant au 31 août 2005 au siège de l'Institution, 56 sont encore des agents mis à disposition par les administrations de l'Etat sans remboursement.
* 191 La CNIL dispose de 95 postes d'agents contractuels sur lesquels, éventuellement, peuvent être mis à disposition des agents statutaires de la fonction publique. Elle peut recruter des agents contractuels par contrats à durée indéterminée.
* 192 Sur ce point plus particulier de la passion de contrats, v. infra.
* 193 Il est fréquent que le Président ait le pouvoir de désigner ou de proposer la personne qui prendra cette fonction de direction des services. Par exemple, le directeur général de la HALDE est nommé par décret sur proposition du Président.
* 194 Ainsi, lors d'un entretien, Julien Dourgnon, directeur des études et de la communication à l'UFC - Que Choisir, souligne : « du point de vue du praticien, et notamment en ce qui concerne les télécoms qui sont ma spécialité, c'est une question de structures, mais surtout d'hommes. Quel que soit le poids ou le statut juridique de la structure, l'influence des individualités est assez déterminante. Par exemple, au Conseil de la concurrence, la personnalité de Bruno Lasserre, connu pour son indépendance, son goût de l'innovation, a considérablement renouvelé le travail du Conseil ». Cédric Musso, chargé des relations institutionnelles, rajoute : « les AAI qui sortent du lot sont effectivement celles dirigées par une personne charismatique. Le succès de la CRE, par exemple, est très lié à la personnalité de Jean Syrota. Se pose alors la question de la nomination des présidents pour garantir que ce sont bien des personnalités marquantes du secteur. ».
* 195 V. infra.