N° 3166 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE |
N° 404 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006 |
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale |
Annexe au procès-verbal de la séance |
le 15 juin 2006 |
du 15 juin 2006 |
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DE LA LÉGISLATION
RAPPORT
sur
LES
AUTORITÉS ADMINISTRATIVES
INDÉPENDANTES
,
par
M. Patrice GÉLARD,
Sénateur.
Tome II : Annexes
L'Office parlementaire d'évaluation de la législation est composé de : M. Jean-Jacques Hyest, sénateur, président ; M. Philippe Houillon, député, premier vice-président ; MM. Patrice Gélard, Jean-Claude Peyronnet, sénateurs, MM. Bernard Derosier, Christian Philip, députés, vice-présidents ; M. Philippe Arnaud, sénateur, M. Jacques Brunhes, député, secrétaires.
Membres de droit : MM . Alain Dufaut, Yann Gaillard, Daniel Goulet, Alain Gournac, Yannick Texier, sénateurs, Mmes Brigitte Le Brethon, Marguerite Lamour, MM. Marc Le Fur, Jérôme Bignon, Alfred Trassy-Paillogues, députés ;
Membres désignés par les groupes : M. Nicolas Alfonsi, Mme Éliane Assassi, M. Yannick Bodin, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Claude Merceron, sénateurs ; MM. Julien Dray, Gaëtan Gorce, Michel Lefait, Xavier de Roux, François Sauvadet, Jean-Luc Warsmann, députés.
Autorités administratives indépendantes. |
ÉTUDE DRESSANT UN BILAN DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES, RÉALISÉE PAR MME MARIE-ANNE FRISON-ROCHE
LIGNES DIRECTRICES DU BILAN DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES
Les Autorités administratives indépendantes comme nouvelle façon de gouverner.
L'Etat est requis non seulement pour des raisons, proprement politiques, de légitimité, mais encore pour des raisons triviales d'efficacité par l'usage de la puissance publique. Mais comme l'usage de la puissance publique doit être également impartial, informé et accepté, les Autorités administratives indépendantes sont une nouvelle forme d'action publique, et si elles attaquent une conception traditionnelle de l'Etat, elles confortent l'idée même d'Etat.
Les Autorités administratives indépendantes, forme crédible de l'action publique.
Les Autorités administratives indépendantes sont très variées, en raison même de la diversité des situations sur lesquelles porte leur action, mais elles ont des points communs, qui les constituent comme forme crédible de l'action publique. C'est pourquoi il est essentiel qu'elles bénéficient du soutien de l'Etat, et si elles sont déliées d'un rapport hiérarchique à l'exécutif, elles appartiennent néanmoins pleinement à l'Etat, lequel ne se limite au Gouvernement.
La crédibilité fragile et complexe des Autorités administratives indépendantes.
Les Autorités administratives indépendantes tout à la fois tirent leur force et leur faiblesse de cette rupture avec l'exécutif. Elles en sont fragilisées parce qu'elles sont sorties du circuit de légitimité politique qui mène au Gouvernement, en tant que celui-ci est responsable politique devant le Parlement. La crédibilité des Autorités administratives indépendantes doit être construite, elle est fragile car elle est chaque jour en cause et doit chaque jour se donner à voir 1 ( * ) . Cette crédibilité est constituée par l'exercice adéquat des pouvoirs conférés pour concrétiser les diverses missions que leur a confié le Parlement. C'est à cette aune que de toujours plus nombreux pouvoirs leur sont conférés.
Adéquation des Autorités administratives indépendantes à l'aune de leurs missions, confiées par le législateur.
Ce lien téléologique conduit le législateur à dessiner non seulement les pouvoirs mais encore les contours mêmes des Autorités administratives indépendantes à l'aune des missions. Cette considération d'efficacité est première pour organiser les compétences au sein des Autorités, pour mesurer les moyens humains et financiers requis pour la bonne exécution des missions. C'est pourquoi les compétences techniques présentes dans les Autorités administratives indépendantes, au sein de leur collègue ou de leur service, doivent être favorisées. Elle doit demeurer la considération première pour envisager des fusions des Autorités ou améliorer l'interrégulation, et les relations entre les Autorités administratives indépendantes et les autres institutions, telles que l'administration traditionnelle ou les juridictions. Le lien avec les juridictions est aujourd'hui étroit, d'une part parce que les Autorités administratives indépendantes se sont juridictionnalisées, notamment par l'influence de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, d'autre part parce que les décisions sont de plus en plus soumises au contrôle du juge, la dualité entre ordre des juridictions judiciaires et ordre des juridictions administratives étant une sorte de fatalité historique française dont chacun s'accommode désormais.
L'indépendance, premier socle de crédibilité.
Par tautologie, les Autorités administratives indépendantes doivent être indépendantes, c'est-à-dire bénéficier d'une indépendance qui se donne à voir. Pour cela, les règles de nominations, de révocation, de renouvellement des mandats, mais aussi des règles dont le lien est moins direct telle que la collégialité ou la motivation, permettent d'asseoir une indépendance effective. A cette aune, l'indépendance budgétaire est cruciale, la LOLF interférant d'une façon dommageable. Des perspectives plus ou moins radicales se font jour, allant de la sortie des Autorités administratives indépendantes de la LOLF, à leur regroupement dans un programme spécifique, à un aménagement permettant la sanctuarisation d'un budget demeurant dans le budget général.
Le renforcement dialectique entre indépendance et reddition des comptes.
Mais il ne peut y avoir de véritable indépendance, dans son effectivité et dans son caractère supportable, que si l'organisme qui en bénéficie, alors même qu'elle agit au nom de l'Etat et dispose de pouvoirs considérables tant dans leur ampleur que dans leur effet, rend des comptes. Il ne s'agit pas de reprendre d'une main ce que l'on donne de l'autre. En effet, les Autorités administratives indépendantes ne doivent être ni contrôlées, ni être irresponsables. Il convient qu'elles justifient de leur efficacité, de leur compétence et du bon usage qu'elles font de leurs pouvoirs au regard des missions que le Parlement leur a confiées. Il s'agit de renforcer l' accountability , ce que l'on peut viser par l'expression « reddition des comptes ».
Dans le sens d'une plus grande indépendance associée à une plus grande reddition des comptes.
L'indépendance et la reddition des comptes ne fonctionnent pas en vases communicants, elles se renforcent mutuellement. La première reddition des comptes s'opère par le contrôle que les juridictions exercent sur les décisions des Autorités administratives indépendantes. Les modes plus politiques de reddition des comptes sont moins accessibles, alors qu'ils sont fondamentaux. Le Parlement doit accroître sa place en la matière. En amont, pourquoi ne pas organiser des auditions devant lui des personnalités nommées au sein des Autorités administratives indépendantes avant leur prise de fonction ? En aval, pourquoi ne pas renforcer l'effectivité d'une reddition pour l'instant plus formelle que réelle, en accroissant l'intérêt et l'implication des parlementaires en la matière ?
Les Autorités administratives indépendantes et le législateur pédagogue.
Le bilan des Autorités administratives indépendantes est certes difficile à faire conceptuellement, mais il est sans doute encore plus difficile à faire matériellement, en raison du très grand nombre d'Autorités et de la très grande diversité de très multiples règles. L'observation triviale peut conduire à des conclusions normatives. Pour que le système des Autorités administratives indépendantes soit légitime et efficace, il faut qu'il soit lisible. Dans ce sens, une loi-cadre aura une utilité. Elle pourrait expliciter le coeur des règles communes aux Autorités administratives indépendantes, prendre la forme d'une loi organique. On pourrait encore songer à un Code des Autorités administratives indépendantes.
* 1 Sur cette notion de l'apparence, en tant qu'on donne à voir une qualité, par delà le seul fait qu'on la possède, v. infra .