B. LA DÉLICATE QUESTION DE LA PRISE EN COMPTE DE LA PLACE DU BEAU-PARENT DANS LE DROIT DE LA FAMILLE
La multiplication des familles recomposées pose le problème, particulièrement délicat, de la prise en compte de la place du beau-parent dans le droit de la famille.
En effet, nombre de beaux-parents s'investissent beaucoup, pendant des années, pour l'éducation des enfants de leur compagnon et apportent une contribution financière et matérielle à leur entretien. Des relations affectives très fortes peuvent se nouer au fil d'une vie quotidienne partagée, le beau-parent étant amené à jouer auprès de l'enfant de son compagnon un rôle quasi-parental et à exercer une autorité de fait sur lui.
Pourtant, au regard du code civil, le beau-parent n'ayant aucun lien de filiation avec l'enfant est considéré comme un tiers qui ne détient aucun droit sur cet enfant et n'a pas davantage de devoirs à son égard , ainsi que l'a souligné devant la délégation Mme Anne-Marie Lemarinier, responsable du service des affaires familiales au tribunal de grande instance de Paris.
Cette situation apparaît à certains égards paradoxale car, ainsi que l'a également noté Mme Anne-Marie Lemarinier, si le droit civil ignore le beau-parent, il n'en est pas de même pour d'autres branches du droit. Ainsi, le droit fiscal prend en compte l'existence d'enfants à charge pour le calcul de l'impôt lorsque l'enfant vit effectivement au foyer du beau-parent, le droit pénal considère le beau-parent comme personne ayant autorité sur l'enfant à l'occasion d'incriminations telles que les violences, le viol ou les agressions sexuelles et le droit social fait bénéficier le bel-enfant de l'assurance maladie du beau-père et prévoit le versement des allocations familiales à la personne qui a la charge effective de l'enfant.
Faut-il pour autant envisager la mise en place d'un « statut » juridique du beau-parent ?
De l'avis de l'ensemble des personnes auditionnées par la délégation, l'institution d'un « statut » rigide et uniforme du beau-parent ne serait pas satisfaisante, pour au moins deux séries de raisons.
D'une part, elle risquerait de s'opérer au détriment du parent biologique non gardien de l'enfant, alors même que l'évolution récente du droit de la famille a constamment cherché à privilégier la préservation des liens de l'enfant avec ses deux parents biologiques et l'exercice en commun de l'autorité parentale par ceux-ci, qu'ils soient ou non séparés, au nom du principe de la coparentalité.
Selon Mme Anne-Marie Lemarinier, la création d'un statut du beau-parent risquerait de multiplier les conflits d'autorité et sa mise en oeuvre serait susceptible d'ajouter des difficultés à celles qui sont déjà inhérentes à la coparentalité au sein d'une famille monoparentale.
D'autre part, ainsi que l'a par exemple souligné devant la délégation Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau, ancien bâtonnier du Val-de-Marne, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers, les familles recomposées sont elles-mêmes sujettes à séparation et à recomposition et un enfant peut donc avoir plusieurs beaux-parents successifs. L'institution systématique d'un statut de beau-parent reviendrait à conférer à chacun d'entre eux des liens de droit avec l'enfant, au risque d'une certaine confusion.
En outre, pour Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, doyen de la faculté de droit de Lille 2, l'institution d'un statut de beau-parent nécessiterait au préalable l'existence d'un lien de droit au sein du couple, tel que le mariage, car selon elle, il est difficile d'envisager la création d'un lien de droit entre le beau-parent et l'enfant s'il n'existe pas déjà un lien de doit entre le parent biologique et le beau-parent.
Plutôt que l'institution d'un nouveau statut s'appliquant d'une façon générale au beau-parent, les personnes auditionnées par la délégation ont plutôt préconisé de faciliter le recours aux divers dispositifs prévus par le code civil permettant déjà de conférer des droits au beau-parent, et éventuellement d'en assouplir les modalités.
Ces dispositions offrent en effet au beau-parent la possibilité de participer à l'exercice de l'autorité parentale ou même d'acquérir un lien de filiation à l'égard de son bel-enfant, notamment grâce à l'adoption simple.
1. Les possibilités de délégation ou de partage de l'autorité parentale au profit du beau-parent
a) Un dispositif élargi par la loi du 4 mars 2002
En application de l'article 372 du code civil, l'exercice de l'autorité parentale revient aux père et mère de l'enfant.
L'autorité parentale est en principe indisponible et ne peut faire l'objet d'une renonciation ou d'une cession, sauf en vertu d'un jugement prévoyant une délégation ou un partage de l'autorité parentale, qui peut notamment bénéficier au beau-parent.
(1) La délégation d'autorité parentale
La délégation (totale ou partielle) d'autorité parentale, prévue à l'article 377 du code civil, peut être décidée par le juge aux affaires familiales à la demande des père et mère (agissant ensemble ou séparément) au profit d'un tiers, notamment un « proche digne de confiance », « lorsque les circonstances l'exigent ».
Les modalités de cette délégation ont été assouplies par la loi du 4 mars 2002. Auparavant réservée aux mineurs de moins de 16 ans et subordonnée à la remise de l'enfant à un tiers, elle est désormais possible quel que soit l'âge du mineur, indépendamment de sa remise à un tiers, à partir du moment où les circonstances l'exigent. Les deux parents doivent être appelés à l'instance afin qu'ils puissent donner leur avis sur la mesure de délégation, qui peut être demandée par un seul d'entre eux.
La délégation d'autorité parentale a pour effet de transférer au délégataire l'exercice de l'autorité parentale dont les parents conservent la jouissance. Lorsqu'elle est totale, elle concerne tous les droits relatifs à l'enfant, sauf celui de consentir à son adoption. La délégation peut aussi n'être que partielle et concerner seulement certains droits, comme la garde ou la surveillance.
Elle peut prendre fin à tout moment (ou être transférée) par un nouveau jugement « s'il est justifié de circonstances nouvelles » qu'il revient au juge aux affaires familiales d'apprécier.