2. Promouvoir l'esthétique des cimetières
L'esthétique des cimetières mérite d'être promue, afin de favoriser la conservation du patrimoine et le recueillement des familles. Or les pouvoirs de la commune, singulièrement du maire, sont limités et les procédures de protection traditionnelles s'avèrent insuffisantes.
Les tombes sont composées de trois éléments distincts. Le fonds, immeuble par nature, est propriété de la commune qui peut le concéder. Le caveau et le monument funéraire, également immeubles par nature, sont des constructions incorporées au fonds par le concessionnaire et qui lui appartiennent. Ce dernier est également propriétaire des signes et emblèmes funéraires (statues, pierres tombales, stèles funéraires), immeubles par destination.
La gestion du cimetière , c'est-à-dire ce qui a trait à sa création, à son entretien, à son aménagement, à son agrandissement, à sa suppression, relève des attributions du conseil municipal . Il lui appartient ainsi de décider s'il y a lieu d'accorder des concessions, de réglementer les conditions de leur délivrance, d'en fixer le tarif, d'indiquer les plantations à effectuer dans le cimetière, de décider la création d'un columbarium, d'un jardin du souvenir...
Le maire exerce quant à lui la police des cimetières . Il est chargé d'y assurer l'hygiène, la salubrité, la décence, le bon ordre, la sécurité et la tranquillité ainsi que d'en garantir la neutralité. A ce titre, il élabore un règlement du cimetière fixant les règles relatives aux horaires d'ouverture et de fermeture, à la largeur des allées, à la circulation des véhicules, aux plantations... La jurisprudence lui dénie le pouvoir de fonder une mesure sur des considérations esthétiques 48 ( * ) . Le Conseil d'Etat s'est prononcé une première fois en ce sens en 1972, contre l'avis de son commissaire du gouvernement qui l'invitait à juger qu'« en introduisant dans l'architecture funéraire du nouveau cimetière un minimum de modestie et de sobriété », le maire n'avait pas excédé les pouvoirs qu'il tenait du code des communes et à décider qu'« il se trouvera en France au moins un cimetière civil dont l'aspect ne démentira pas la fonction et que l'immodestie de quelques uns ne rendra pas insupportable à tous . » Etant libre de choisir l'emplacement des concessions et des terrains communs à l'intérieur du cimetière, le maire peut simplement procéder à des regroupements de concessions avec l'accord des familles et modeler ainsi l'esthétique du cimetière communal selon les projets de chaque nouveau concessionnaire.
Sous réserve de ne pas contrevenir aux règles d'hygiène, de sécurité et de décence, les particuliers jouissent d'une grande liberté . Ils peuvent, sans autorisation, faire placer sur la fosse d'un parent ou d'un ami une pierre sépulcrale ou un autre signe indicatif de sépulture ( article L. 2223-12 du code général des collectivités territoriales ). Les concessionnaires peuvent donner au monument funéraire toute forme, taille, style qu'ils veulent sous réserve de rester dans les limites du terrain concédé.
Une circulaire du ministère de la culture et de la communication n° 2000/22 du 31 mai 2000 observe que les travaux n'entrent pas dans le champ du code de l'urbanisme et ne sont donc soumis ni au permis de construire ni au permis de démolir. Plus exactement, l' article R. 421-1 du code de l'urbanisme dispose que n'entrent pas dans le champ d'application du permis de construire : les statues, monuments ou oeuvres d'art, lorsqu'ils ont une hauteur inférieure ou égale à 12 mètres au-dessus du sol et moins de 40 mètres cubes de volume, et les autres ouvrages dont la surface au sol est inférieure à 2 mètres carrés et dont la hauteur ne dépasse pas 1,50 mètre au-dessus du sol.
La jurisprudence dénie au maire le pouvoir de déterminer les dimensions et la hauteur des monuments funéraires 49 ( * ) . Il peut seulement prescrire que les terrains seront entretenus par les concessionnaires en bon état de propreté et de solidité. En cas de méconnaissance de ces prescriptions, il est tenu d'en dresser procès-verbal mais il ne peut, sauf urgence ou péril imminent, procéder d'office à l'exécution des mesures nécessaires.
Certes, les éléments constitutifs des tombes peuvent, s'ils présentent un intérêt historique ou artistique, être protégés au titre des monuments historiques suivant les procédures définies dans la loi du 31 décembre 1913 .
La circulaire du 31 mai 2000 précitée recensait plus de 400 cimetières ou parties de cimetières bénéficiant d'une telle protection , qu'il s'agisse de tombes isolées, comme celle de Chateaubriand sur l'îlot du Grand Bé à Saint-Malo, de cimetières militaires, comme le cimetière militaire allemand de Veslud dans l'Aisne, ou de tout ou partie d'un cimetière communal.
Les travaux sur les monuments funéraires protégés sont soumis soit au régime de la déclaration préalable, si le monument est inscrit, soit au régime de l'autorisation, si le monument est classé. De surcroît, lorsque des travaux sont envisagés sur des tombes ou un cimetière situés aux abords d'édifices protégés, que cet édifice soit situé à l'extérieur du cimetière ou qu'il s'agisse d'un monument funéraire à l'intérieur de celui-ci, ces travaux sont soumis au régime de l'autorisation préfectorale après avis simple de l'architecte des bâtiments de France.
Lors de son audition, M. Pascal-Hervé Daniel, chef du service des cimetières de la Ville de Paris, a toutefois regretté que nombre de tombes du cimetière du Père Lachaise ne puissent être restaurées et se dégradent inexorablement, contraignant le maire à prendre presque quotidiennement des arrêtés de péril pour éviter tout accident engageant la responsabilité de la ville. A cet égard, il convient d' inviter les architectes des bâtiments de France à coopérer davantage avec les élus locaux .
Pour encadrer les constructions nouvelles et répondre aux attentes de la population, vos rapporteurs jugent nécessaire de confier au maire une police de l'esthétique des cimetières .
Un tel pouvoir ne constituerait en rien une innovation : des législations particulières investissent en effet déjà des autorités d'un pouvoir de police spéciale pour garantir l'esthétique d'un site : à titre d'exemple, le maire peut interdire par arrêté toute publicité sur des immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque ( article L. 581-4 du code de l'environnement ) ou encore interdire l'accès de certaines voies aux véhicules dont la circulation sur ces voies est de nature à compromettre (...) la mise en valeur des sites à des fins esthétiques ( article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales ).
Pour éviter des décisions solitaires et arbitraires, ce pouvoir de police devrait être exercé dans le cadre d'un plan de mise en valeur architecturale et paysagère élaboré par le conseil municipal. Point n'est nécessaire de recourir à un nouveau document, le conseil municipal ayant en effet la possibilité d'instituer une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) pour le cimetière communal 50 ( * ) .
La proposition de loi n° 464 (Sénat, 2004-2005) tend quant à elle à prévoir la soumission des jardins du souvenir, des columbariums et des autres équipements cinéraires à des prescriptions fixées par décret.
A la réflexion, vos rapporteurs jugent préférable de laisser aux élus locaux plutôt qu'au pouvoir réglementaire national le pouvoir de fixer de telles prescriptions et d'étendre ce pouvoir à l'ensemble du cimetière.
Il leur paraît donc nécessaire de donner aux élus la possibilité de prendre les décisions nécessaires pour veiller à l'esthétique des sites cinéraires qu'ils créent. Trop souvent malheureusement, les jardins du souvenir se réduisent à un terrain dépourvu de végétation et d'équipement. Quant aux columbariums, nombre de personnes entendues par vos rapporteurs les ont qualifiés d'« HLM de la mort » pour signifier leur faible attrait.
Recommandation n° 27 : Confier au maire une police de l'esthétique des cimetières et des sites cinéraires dans le cadre d'un plan de mise en valeur architecturale et paysagère élaboré par le conseil municipal. |
* 48 Conseil d'Etat - 18 mars 1972 - Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de la Haute-Garonne. Conseil d'Etat - 11 mars 1983 - Commune de Bures-sur-Yvette.
* 49 Conseil d'Etat - 21 janvier 1910.
* 50 Réponse ministérielle n° 62146 - Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale du 20 août 2001, page 4775.