5. Humaniser la prise en charge des morts périnatales
Les conditions de prise en charge des morts périnatales doivent être humanisées. Les règles applicables, qui résultent pour l'essentiel d'une circulaire, ne sont pas suffisamment connues des familles.
Un acte de naissance produisant tous les effets juridiques liés à l'établissement de la filiation ne peut être dressé qu'à la condition qu'un certificat médical atteste que l'enfant est né vivant et viable -que l'enfant soit décédé ou non lors de la déclaration de naissance. La viabilité de l'enfant est appréciée par le médecin.
Selon le bilan établi annuellement par l'INSEE, 1,8 enfant né vivant sur mille serait décédé dans les 7 jours suivant l'accouchement en 2004.
Un acte d'enfant sans vie , prévu par l' article L. 79-1 du code civil , est délivré, de droit, pour un enfant né vivant mais jugé non viable par le médecin ou un enfant mort-né, dès lors que la naissance est intervenue après 22 semaines d'aménorrhée ou que l'enfant pesait un poids d'au moins 500 grammes.
Cet acte est inscrit uniquement sur les registres de décès. Il n'emporte ni reconnaissance de la personnalité juridique ni établissement d'un lien filiation. En revanche, il ouvre aux parents le droit d'obtenir la mention de l'enfant sur leur livret de famille, s'ils en ont déjà un (soit qu'ils soient mariés, soit qu'ils aient déjà eu un enfant né vivant et viable), et de faire procéder à l'inhumation ou à la crémation du corps. L'acte d'enfant sans vie a ainsi pour seule vocation de témoigner de l'existence de l'enfant et, par là même, d'aider les parents et la famille dans leur travail de deuil.
Les conditions requises pour sa délivrance et les conséquences qu'il emporte ont été fixées par une circulaire n° 2001-576 du 30 novembre 2001 relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance. Les seuils qu'elle prévoit reprennent les préconisations de l'Organisation Mondiale de la Santé. Ils établissent ainsi la distinction entre le foetus et l'enfant.
Le foetus est dépourvu de statut juridique . Le seuil de 14 semaines d'aménorrhée, fixé par la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse, modifiée par la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, constitue simplement la limite au delà de laquelle l'interruption volontaire de grossesse n'est plus possible. En disposant à l'article 16 du code civil que « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le début de sa vie », la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain a marqué une volonté de ne pas se prononcer juridiquement sur le moment où débute la vie d'un être humain au motif qu'il s'agissait d'une question non résolue par la science, non susceptible d'être tranchée par une norme législative et relevant par conséquent des convictions philosophiques ou religieuses de chacun. Cette abstention du législateur constitue un élément essentiel des consensus sociétaux qui ont permis de légiférer sur la question complexe des études ou des recherches sur l'embryon.
Sur le plan pénal, par trois arrêts consécutifs rendus en 1999, 2001 et 2002, la Cour de cassation a considéré que le principe de légalité des peines et des délits, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, empêchait que les faits reprochés en cas d'atteinte mortelle au foetus puissent entrer dans les prévisions de l'article 221-6 du code pénal réprimant l'homicide involontaire d'autrui.
Quand bien même aucun acte d'enfant sans vie n'a été dressé, la circulaire du 30 novembre 2001 prévoit l'incinération à la charge de l'établissement de santé du foetus, qui est traité comme une pièce anatomique, mais admet, en considération de la douleur des familles, la pratique de l' inhumation sous réserve de l'accord du maire . Elle invite l'établissement de santé à informer les familles de l'existence de cette possibilité.
De nombreuses communes ont ainsi décidé la création de « carrés des anges », espaces réservés dans les cimetières pour l'inhumation des enfants sans vie et, éventuellement, des foetus. Tel est notamment le cas de Marseille, comme l'a souligné M. Jean-Marc Benzi, conseiller municipal délégué aux opérations funéraires et cimetières, lors de son audition par vos rapporteurs.
Nombreuses ont été les personnes entendues ou contactées par vos rapporteurs à réclamer une évolution de ce régime juridique, qui résulte pour l'essentiel d'une circulaire.
En premier lieu, M. Jean-Paul Delevoye , Médiateur de la République, a exprimé le souhait qu'un livret de famille puisse être délivré aux parents non mariés dont le premier enfant est déclaré sans vie et qui souhaiteraient que cet événement fût consigné. Une telle modification lui est apparue de nature à mettre fin à une différence de traitement entre les couples mariés et non mariés.
Elle mérite cependant réflexion dans la mesure où la délivrance de ce livret à des parents non mariés est subordonnée à l'établissement d'un lien de filiation. Or, la filiation étant un élément de l'état de la personne, l'établissement d'un tel lien aurait pour effet de reconnaître au foetus une forme de personnalité juridique. Au surplus, rien ne s'oppose à ce que l'enfant sans vie soit inscrit sur le livret de famille qui pourra être délivré ultérieurement aux parents.
En deuxième lieu, le Médiateur de la République a recommandé, à juste titre, de simplifier les modalités d'inscription d'un enfant sans vie sur le livret de famille lorsque l'un des deux parents non mariés en possède déjà un .
Les modalités de déclaration de l'enfant sans vie diffèrent effectivement selon que les parents sont mariés ou non. En l'absence de mariage, le père ne figure sur l'acte en qualité de père que s'il déclare lui-même l'enfant sans vie à l'état civil. En cas de déclaration par un tiers, seule la mère est désignée. Si le père souhaite apparaître, il doit saisir le procureur de la République afin que soit apposée une mention marginale en ce sens.
Selon les indications recueillies par vos rapporteurs, les travaux d'application de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation pourraient conduire à l'établissement d'un nouveau modèle d'acte d'enfant sans vie n'établissant plus de distinction en fonction de la situation matrimoniale des parents. Des rubriques « père » et « mère » y figureraient et seraient remplies par l'officier de l'état civil dès lors qu'il disposerait des informations nécessaires, même si la déclaration était effectuée par une autre personne que le père.
En troisième lieu, le Médiateur de la République s'est interrogé sur l'opportunité de maintenir, dans la législation française, l'exigence de « viabilité » pour pouvoir établir un acte de naissance au bénéfice de l'enfant né vivant, dès lors que seraient conservés les critères de l'OMS .
Cette question mérite d'être posée. En effet, comme l'a observé la Commission internationale de l'état civil dans une étude intitulée « Etat civil et décès périnatal » publiée en décembre 1999, la France se distingue des quinze autres Etats membres de cette commission à un double titre. Tout d'abord, elle n'attribue qu'une faible portée à l'acte d'enfant sans vie (impossibilité d'établir une filiation et d'accorder un nom, restrictions à la possibilité d'inscrire un tel enfant sur le livret de famille, restrictions des droits sociaux...). De surcroît, dans la majorité des Etats, dès que l'enfant a vécu et que ce fait a été médicalement constaté, on lui applique les mêmes règles qu'aux enfants encore en vie. Pour tout enfant né vivant, même non viable, peuvent donc être dressés un acte de naissance et un acte de décès.
Toutefois, une telle réforme reviendrait à donner une nouvelle définition de la personnalité juridique et à remettre en cause l'ensemble des principes fondamentaux du droit des personnes retenus par la France. A titre d'exemple, l'article 725 du code civil prévoit que la qualité d'héritier n'est acquise que si le successible est né viable. En outre, elle aurait un impact financier non négligeable, en termes de prestations sociales, de droits à la retraite, de fiscalité...
Aussi est-ce à juste raison que le Médiateur de la République a suggéré la création d'un groupe de travail sur ce sujet.
En dernier lieu, la macabre découverte l'été dernier à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris des corps de 351 foetus et enfants morts-nés conservés à l'insu des parents, visiblement à des fins de recherche médicale, a montré la nécessité de clarifier les règles de prise en charge des corps des foetus et des enfants morts-nés .
Un projet de décret relatif aux décès des hospitalisés et à la prise en charge des enfants déclarés sans vie à l'état-civil a été élaboré à cet effet et soumis au Conseil national des opérations funéraires le 18 avril 2006.
Il prévoit de fixer un délai maximum de conservation, au sein des établissements de santé, des corps des personnes décédées et des enfants déclarés sans vie à l'état civil et permet d'organiser un suivi de ces corps. Cette obligation s'appliquerait également aux établissements de santé privés.
En revanche, le Gouvernement n'envisage pas de remettre en cause le pouvoir d'appréciation des maires en matière d'inhumation des foetus.
Vos rapporteurs n'ont pas estimé pouvoir se prononcer sur l'ensemble de ces questions . Elles méritent une réflexion et une concertation spécifiques qui n'ont pu être complètement menées à bien dans le cadre très large de leurs travaux. En revanche, afin d'améliorer l'information des familles, il leur semble nécessaire de fixer par décret et non par une simple circulaire les règles relatives à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance .
Recommandation n° 16 : Afin d'améliorer l'information des familles, prévoir par décret et non plus par circulaire les règles relatives à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance. |