II. DES MESURES ATTENDUES DONT L'APPLICATION EFFECTIVE N'A POURTANT PAS CONSTITUÉ UNE PRIORITÉ
Comme celui de 1994, le législateur de 2004 a inscrit le principe de la révision de la loi au plus tard cinq ans après sa promulgation, soit en 2009, après son évaluation par l'Opecst dans les quatre ans. Toutefois, le retard d'ores et déjà pris dans la publication des textes réglementaires rend très probable la répétition du scénario qui a précédé la révision des lois de juillet 1994 et inquiète déjà les chercheurs français.
A. L'ENTRÉE EN VIGUEUR TRÈS PROGRESSIVE DES DISPOSITIONS DE LA LOI DU 6 AOÛT 2004
1. Les mesures immédiatement applicables
Sur les quarante articles qui constituent la loi, vingt-quatre ne nécessitent pas de texte de nature réglementaire et sont donc devenus directement applicables.
a) Les articles d'application directe
Les articles entrés en vigueur dès le 6 août 2004 ont trait pour l'essentiel :
- aux règles de consentement aux examens des caractéristiques génétiques d'une personne (article 4) ;
- au don et à l'utilisation des éléments du corps humain : fixation du régime du prélèvement, de la distribution et de l'utilisation du sang et de ses composants (article 8), mise en place d'une information obligatoire sur les modalités de consentement au don d'organes à fin de greffe dans le cadre de l'appel de préparation à la défense (article 10), principe de la participation de tous les établissements de santé à l'activité de prélèvement d'organes ou de tissus (article 11), sollicitation des comités de protection des personnes en cas de constitution d'une collection d'échantillons biologiques et de changement de finalité d'utilisation à des fins scientifiques d'éléments du corps humain (article 13), dispositions pénales relatives au non-respect des dispositions régissant le prélèvement d'organes, de tissus, de cellules ou de produits du corps humain (articles 15 et 16) ;
- à l'encadrement des conditions de brevetabilité d'une invention constituant l'application technique d'une fonction d'un élément du corps humain et d'exploitation de ces brevets (articles 17 et 18) ;
- aux dispositions pénales relatives aux conditions de constitution, de distribution, de cession, d'importation ou d'exportation de préparations de thérapie génique ou de thérapie cellulaire xénogénétique (article 20) ;
- à l'interdiction du clonage reproductif, défini comme une intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée (article 21) ;
- à la qualification du clonage reproductif et de l'eugénisme comme « crime contre l'espèce humaine » et à la fixation des sanctions applicables aux infractions en matière d'éthique biomédicale, dont le délit de clonage à des fins thérapeutiques ou de recherche (articles 28 et 29) ;
- à la possibilité de dissoudre un mouvement sectaire en cas de condamnation pénale pour infraction contre l'espèce humaine (articles 30 et 31) ;
- à l'inscription dans le code de la santé publique des dispositions concernant le régime pénal applicable en cas d'infraction à l'interdiction du clonage reproductif, de l'eugénisme et de la recherche sur l'embryon (article 32).
En outre, bien que figurant au sein d'articles du texte requérant l'intervention de textes réglementaires, certaines dispositions ont pu entrer immédiatement en vigueur. C'est le cas, par exemple, de la prise en charge intégrale des frais de prélèvement et de collecte par les établissements de santé (article 7), du caractère de priorité nationale de la greffe et du prélèvement d'organes et du principe d'équité dans la répartition et l'attribution des greffons (article 9).
b) Les dispositions transitoires
Les dispositions transitoires appliquées dès la promulgation de la loi concernent :
- la prorogation des mandats des membres des comités d'experts chargés d'autoriser les prélèvements de moelle osseuse sur les mineurs jusqu'à l'installation de nouveaux comités d'experts (article 33) ;
- le régime transitoire applicable aux autorisations délivrées aux établissements de santé pour effectuer des prélèvements de moelle osseuse ou de cellules hématopoïétiques et l'établissement d'équivalences pour les autorisations accordées sous la précédente réglementation pour les produits de thérapies cellulaire et génique (articles 34 et 35) ;
- le régime transitoire prévu pour la mise en conformité des organismes se livrant à des activités de conservation et de cession d'éléments du corps humain à des fins de recherche avec les obligations posées par la loi du 6 août 2004 (article 36) ;
- enfin, la prorogation pour deux ans des autorisations et des agréments délivrés pour la réalisation des examens des caractéristiques génétiques d'une personne et les pratiques de diagnostic prénatal (DPN), de diagnostic préimplantatoire (DPI) et d'AMP (article 38).
c) Les mesures à effet différé
Enfin, la loi du 6 août 2004 comprend plusieurs articles dont l' effectivité interviendra postérieurement à sa promulgation, sans pour autant nécessiter de textes réglementaires. Il s'agit essentiellement de mesures relatives à l'évaluation de la législation .
Ainsi, l'article 22 prévoit que, un an au plus tard après la promulgation de la loi, le Gouvernement devra déposer au Parlement un rapport sur les initiatives qu'il aura prises pour élaborer une législation internationale réprimant le clonage reproductif.
De la même manière, l'ABM et l'Opesct sont chargés d'établir un rapport évaluant les résultats respectifs des recherches sur les cellules souches embryonnaires et adultes et ce, six mois avant la fin de la période de cinq ans pendant laquelle la recherche sur l'embryon est autorisée à titre dérogatoire (article 26).
2. Les décrets publiés : une accélération récente
L'application effective des autres dispositions de la loi requiert la publication de quarante-quatre textes réglementaires , dont vingt-quatre décrets et vingt arrêtés.
A ce jour, treize décrets seulement ont été publiés , mais qui ont permis de mettre en oeuvre la loi du 6 août 2004 sans ses aspects essentiels.
a) La mise en place de la nouvelle organisation institutionnelle
Au printemps 2005, soit plus de six mois après la promulgation de la loi, est parue au Journal officiel la première série de textes réglementaires d'application concernant le CCNE et la nouvelle ABM. Leur publication a permis la création effective de l'agence le 10 mai 2005, dès nomination de sa directrice.
Article 1 - Art. L. 1412-5 du code de la santé publique Objet : Conditions de désignation des membres du CCNE et modalités de saisine, d'organisation et de fonctionnement. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-390 du 28 avril 2005 relatif au Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Article 2 - Art. L. 1418-3 du code de la santé publique Objet : Nomination du président du conseil d'administration et du directeur général de l'ABM (décret), et des autres membres du conseil d'administration (arrêté). - Décret du 9 mai 2005 portant nomination de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine. - Décret du 30 mai 2005 nommant le président du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. Article 2 - Art. L. 1418-4 du code de la santé publique Objet : Nomination du président et des membres du conseil d'orientation de l'ABM. - Arrêté du 21 juin 2005 portant nomination au conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine. Article 2 - Art. L. 1418-6 du code de la santé publique Objet : Règles de fonctionnement du conseil d'orientation, des groupes d'experts ou de toute autre commission siégeant auprès de l'ABM garantissant l'indépendance de leurs membres et l'absence de conflits d'intérêts. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-420 du 4 mai 2005 relatif à l'Agence de la biomédecine et modifiant le code de la santé publique. Article 2 - Art. L. 1418-8 du code de la santé publique Objet : Modalités d'application du chapitre VIII (biomédecine). Décret en Conseil d'Etat n° 2005-420 du 4 mai 2005 précité. Article 2 Objet : Transfert des compétences, biens, moyens, droits et obligations de l'Etablissement français des greffes (EFG) à l'ABM. Décret en Conseil d'Etat n° 2004-420 du 4 mai 2005 précité. Article 3 Objet : Transfert des fichiers existants des donneurs volontaires de cellules hématopoïétiques à l'ABM. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-1342 du 27 octobre 2005 relatif à l'indemnisation du transfert du fichier des donneurs tenu par l'association France greffe de moelle à l'Agence de la biomédecine. Article 3 Objet : Transfert des droits et obligations afférents à la constitution et à la gestion du fichier des donneurs de l'association France greffe de moelle à l'ABM. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-1391 du 8 novembre 2005 relatif au transfert à l'Agence de la biomédecine du fichier des donneurs tenu par l'association France greffe de moelle. |
b) Les décrets pris en matière de greffe
Une seconde série de textes réglementaires a ensuite été publiée au dernier semestre de l'année 2005 . Il s'agit des décrets nécessaires à l'application des dispositions relatives aux greffes et prélèvements d'organes et de produits du corps humain, essentielle dans un contexte de pénurie de greffons. Le fonctionnement de l'ABM constituait un préalable à l'applicabilité de ces dispositions.
Les deux décrets relatifs aux prélèvements sur les donneurs vivants et aux prélèvements sur les donneurs à coeur arrêté, notamment l'assouplissement des règles de sélection clinique et biologique des donneurs, devraient permettre de mieux répondre aux besoins des patients en attente de greffons.
Mesures réglementaires prises
Article 7 - Art. L. 1211-9 du code de la santé publique Objet : Conditions dans lesquelles les médecins assurent l'information, modalités de la prise en charge prévue, liste des produits du corps humain. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-1618 du 21 décembre 2005 relatif aux règles de sécurité sanitaire portant sur le prélèvement et l'utilisation des éléments et produits du corps humain et modifiant le code de la santé publique . Article 8 - Art. L. 1221-12 du code de la santé publique Objet : Produits sanguins labiles et pâtes plasmatiques. - Décret n° 2006-215 du 22 février 2006 relatif à l'importation des produits sanguins labiles et des pâtes plasmatiques. Ce décret n'est pas prévu formellement par la loi. Article 9 - Art. L. 1231-4 du code de la santé publique Objet : Modalités d'application des dispositions du chapitre. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-443 du 10 mai 2005 relatif aux prélèvements d'organes et de cellules hématopoïétiques issues de la moelle osseuse et modifiant le code de la santé publique . Article 9 - Art. L. 1235-5 du code de la santé publique Objet : Approbation des règles de bonnes pratiques qui s'appliquent au prélèvement, à la préparation, à la conservation, au transport et à l'utilisation des organes du corps humain. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-949 du 2 août 2005 relatif aux conditions de prélèvement des organes, des tissus et des cellules et modifiant le livre II de la première partie du code de la santé publique (dispositions réglementaires). Article 12 - Art. L. 1245-8 du code de la santé publique Objet : Adaptations, pour les hôpitaux des armées, des procédures d'autorisation applicables aux établissements de santé. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-364 du 18 avril 2005 relatif à l'adaptation, pour les hôpitaux des armées, des procédures d'autorisation prévues pour les établissements de santé, en application des articles L. 1235-7, L. 1245-8, L. 4211-11 et L. 5121-21 du code de la santé publique. Article 19 - Art. L. 4211-11 du code de la santé publique Objet : Adaptations, pour les hôpitaux des armées, des procédures d'autorisation applicables aux établissements de santé. - Décret en Conseil d'Etat n° 2005-364 du 18 avril 2005 précité. |
Il convient de rappeler, à cet égard, que les textes relatifs aux greffes qui n'ont pas encore été publiés correspondent, pour la majorité d'entre eux, à des dispositions déjà existantes et non modifiées par la loi du 6 août 2004 mais qui doivent faire l'objet d'une actualisation.
c) Les dispositions réglementaires sur la recherche sur l'embryon
Dans l'attente de l'ouverture du moratoire de cinq ans sur la recherche sur l'embryon, le dispositif transitoire prévu par l'article 37 de la loi a été mis en place dès septembre 2004 avec la publication du décret n° 2004-1024 du 28 septembre 2004 relatif à l'importation à des fins de recherche de cellules souches embryonnaires, aux protocoles d'étude et de recherche et à la conservation de ces cellules.
Il s'agissait notamment de permettre aux chercheurs français de postuler à l'appel d'offres européen prévu pour le financement de ces recherches, dont la clôture était fixée à l'automne 2004.
Le décret a lui-même été complété par trois arrêtés :
- l'arrêté du 28 septembre 2004 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article 5 du décret n° 2004-1024 du 28 septembre 2004 précité ;
- l'arrêté du 28 octobre 2004 portant nomination au comité ad hoc créé par l'article 37 de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique ;
- l'arrêté du 22 mars 2005 portant autorisation d'importation de cellules souches embryonnaires humaines à des fins scientifiques en application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.
Ce dispositif transitoire a ainsi été accordé à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) par trois arrêtés du 16 février 2005, ce qui lui a permis de commencer ses recherches grâce à l'importation de lignées de cellules embryonnaires étrangères.
Dans le cadre de ce système transitoire, l'agence a déjà traité quarante-cinq dossiers d'autorisation, dont dix-sept concernent des implantations de cellules souches, dix la conservation de cellules et dix-huit l'importation de cellules souches embryonnaires. Dix-huit protocoles de recherches ont été autorisés grâce aux lignées de cellules fournies par six pays étrangers. Cinq de ces lignées concernaient des cellules malades issues de DPI.
Selon l'agence, 80 % des cellules souches embryonnaires importées par la France proviennent des Etats-Unis et d'Israël . Pour le reste, il a été fait appel à la Grande-Bretagne, à l'Australie, à la Belgique et à la Suède. Le coût de l'importation d'une lignée de cellules souches embryonnaires serait d'environ 2.000 à 3.000 euros, soit un coût qui correspond strictement à celui des procédures et n'engendre pas de bénéfice pour les vendeurs. 3 ( * )
Ce système temporaire a pris fin avec la parution du très attendu décret en Conseil d'Etat n° 2006-121 du 6 février 2006 relatif à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires et modifiant le code de la santé publique. Ce décret autorise la recherche sur des lignées de cellules françaises et en fixe les conditions d'autorisation et de mise en oeuvre.
* 3 Table ronde organisée par la commission des Affaires sociales le 8 février 2006 sur l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Cf. interventions de François Thépot, adjoint à la direction médicale et scientifique de l'ABM et de Marie-Hélène Mouneyrat, secrétaire générale du CCNE, p. 40 et 41.