3. Mieux cibler les reconduites
Pour être efficace et le moins traumatisant possible pour l'étranger et ses proches, un éloignement doit intervenir le plus tôt possible après l'entrée de l'étranger sur le territoire.
Or, il apparaît que les services compétents (police, gendarmerie, préfectures) n'ont ni les moyens de connaître le parcours et la durée du séjour en France des étrangers éloignés, ni la réelle volonté de fixer des catégories prioritaires d'étrangers en situation irrégulière à éloigner.
En outre, si le nombre total d'éloignements a doublé depuis 2002 en valeur absolue, en revanche le taux des décisions d'éloignements exécutées est resté stable autour de 22 % 162 ( * ) même si une légère amélioration est constatée en 2005 avec un taux d'exécution de 27 %.
Le cas des déboutés du droit d'asile est exemplaire. La réforme du droit d'asile a eu pour objectif de raccourcir les délais d'examen des demandes d'asile afin, notamment, de pouvoir éloigner rapidement les déboutés. Il est en effet plus difficile d'éloigner un étranger resté en France plusieurs années, a fortiori si des enfants ont été scolarisés et ont commencé leur enracinement dans la société française.
Outre une méconnaissance statistique profonde des caractéristiques des étrangers éloignés 163 ( * ) (durée du séjour en France, entrée irrégulière ou non, avec ou sans visa, avec ou sans une attestation d'accueil, demandeur d'asile ou non), il faut souligner l'absence de définition de catégories prioritaires de personnes en situation irrégulière à éloigner .
La circulaire du 4 février 1994 relative aux conditions de mise en oeuvre des mesures d'éloignement fixe les catégories prioritaires d'étrangers en situation irrégulière à éloigner : il s'agit, par ordre décroissant, des étrangers expulsés, des interdits judiciaires du territoire, des reconduits à la frontière faisant l'objet d'un arrêté préfectoral sanctionnant le séjour irrégulier et enfin des étrangers faisant l'objet d'une remise à un autre Etat membre de l'Union. Elle affiche l'éloignement prioritaire des étrangers dont le comportement est de nature à troubler l'ordre public.
Mais aucune priorité claire n'est fixée au sein de la troisième catégorie, celle des étrangers en situation irrégulière sous le coup d'un APRF. Des priorités devraient être affichées.
La stratégie actuelle repose en grande partie sur des contrôles aléatoires sur la voie publique. L'étranger interpellé peut être présent depuis six ans ou quelques mois.
Le propos n'est pas de considérer que les étrangers présents depuis plusieurs années sont inexpulsables, mais il apparaît plus judicieux de cibler les publics récemment entrés sur le territoire. Il ne doit pas y avoir de nouveaux « ni-ni ».
Une telle orientation suppose d'enquêter et de rechercher les étrangers dont les services savent ou supposent qu'ils sont entrés depuis peu en France.
Pour y parvenir, il conviendrait :
- d'opérer des contrôles aux domiciles des étrangers auxquels a été adressé par voie postale un APRF 164 ( * ) ;
- d'organiser systématiquement la sortie des CADA, quitte à proposer une aide au retour, notamment lorsqu'il s'agit de familles ;
- de mieux exploiter les attestations d'accueil pour détecter les étrangers susceptibles de se maintenir irrégulièrement sur le territoire ;
- de systématiser le contrôle des sorties du territoire pour les étrangers entrés avec un visa de court séjour, afin d'entamer une recherche lorsqu'il s'avère qu'un étranger n'est pas ressorti au bout de 90 jours.
A cet égard, c'est utilement qu'a été prise une circulaire conjointe des ministres de l'intérieur et de la cohésion sociale demandant aux préfets dès le 1 er janvier 2006 de veiller à améliorer le taux de rotation en CADA en réduisant la durée moyenne de séjour de 19 à 10 mois et d'organiser la sortie de ces centres des personnes déboutés du droit d'asile.
Une autre circulaire du ministère de l'intérieur datée du 19 janvier 2006 demande aux préfets de veiller attentivement à ce que toute décision de refus d'asile donne lieu dans les plus brefs délais à la prise d'un APRF.
Enfin, une circulaire du 21 février 2006 du ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et du garde des sceaux, ministre de la justice, rappelle notamment les conditions dans lesquelles il peut être procédé à des interpellations sur la voie publique, au guichet d'une préfecture, au domicile de la personne ou dans les foyers de travailleurs.
Une question très délicate reste l'éloignement des familles.
La difficulté principale n'est pas de nature juridique. L'éloignement des familles en situation irrégulière est permis par le droit interne et admis par la Cour européenne des droits de l'homme. Elle est avant tout d'ordre psychologique ou culturel et tient à l'impact négatif de l'image de la famille avec enfants, embarquée de force dans un avion ou un bateau. Des obstacles matériels peuvent s'y ajouter, notamment le manque de centres de rétention administrative adaptés aux familles. A fortiori, si la famille est présente depuis longtemps sur le territoire et que les enfants sont scolarisés, l'incompréhension s'ajoute à l'indignation. Les enfants paient une situation qu'ils n'ont pas créée.
Outre-mer, et particulièrement à Mayotte et en Guyane, le problème principal concerne les femmes étrangères qui viennent accoucher sur le territoire français dans le but de bénéficier de prestations médicales meilleures et en croyant, à tort, que la naissance sur le sol français de leur enfant lui conférera automatiquement la nationalité française.
Cette croyance est autoalimentée par le fait que très peu de ces femmes sont ensuite refoulées vers leur pays avec leur enfant. Pourtant, rien n'interdit de le faire juridiquement.
En métropole , le problème est moins aigu, mais a ressurgi cette année avec la polémique sur les enfants scolarisés. La commission d'enquête a entendu les représentants du Réseau éducation sans frontières (RESF) qui se mobilise pour empêcher l'éloignement d'enfants scolarisés et de leurs familles.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a pris la décision de ne pas éloigner ces familles pendant l'année scolaire. Une solution alternative consiste à leur proposer de bénéficier du nouveau programme d'aide au retour actuellement expérimenté. Mais il est certain que toutes les familles n'accepteront pas cette aide.
Face à ces diverses situations inextricables et humainement bouleversantes, votre rapporteur estime qu'il faudra veiller, à l'avenir, à éloigner les étrangers en situation irrégulière dans de brefs délais après leur entrée sur le territoire.
Recommandation n° 45 : Veiller, à l'avenir, à éloigner les étrangers en situation irrégulière dans de brefs délais après leur entrée sur le territoire. |
* 162 En 2002, pour 49.124 mesures prononcées, 10.067 ont été exécutées (22,5 %). En 2004, pour 69.602 mesures prononcées, 15.660 ont été exécutées (22,5 %).
* 163 M. Stéphane Fratacci a expliqué qu'il était à ce jour impossible de savoir, parmi les étrangers ayant fait l'objet d'une mesure d'éloignement, le pourcentage de déboutés du droit d'asile ou de personnes s'étant vu refuser un titre de séjour. Il a expliqué que, pour pallier ces insuffisances, des sondages étaient pratiqués, notamment dans les centres de rétention administrative.
* 164 La police aux frontières ne connaît pas le nombre d'étrangers en situation irrégulière interpellés à leur domicile.