2. Une tentative de rénovation
L'efficacité très réduite des aides au retour a conduit l'ANAEM à compléter et à rénover son dispositif.
a) S'adapter à des publics particuliers
Une première stratégie a consisté à cibler les aides sur des publics spécifiques auxquels les aides au retour traditionnelles sont inadaptées.
Depuis 2003, a été ainsi mis en place le programme de rapatriement de mineurs roumains. Ce programme fait suite à un accord entre la France et la Roumanie 138 ( * ) . Il se justifie par les fortes particularités de cette population et par les difficultés qu'elle pose en matière de protection de l'enfance et de délinquance. Au cours de son déplacement en Roumanie, la délégation de la commission d'enquête a pu s'entretenir avec l'ensemble des acteurs concernés.
Sur saisine du juge des enfants, l'ANAEM procède à l'organisation des retours en Roumanie en liaison avec les responsables de la protection de l'enfance et accompagne les mineurs jusqu'en Roumanie. A leur arrivée, les mineurs sont confiés par l'ANAEM à l'autorité nationale roumaine pour la protection de l'enfance. Leur prise en charge se fait en collaboration avec deux ONG roumaines et fait l'objet d'un suivi de l'ANAEM.
Le programme a concerné 9 mineurs en 2004 et 25 en 2005 selon l'ANAEM. Toutefois, selon M. Jean-Dominique Fabry, délégué de l'ANAEM en Roumanie, le nombre total d'enfants rapatriés en Roumanie s'élèverait à 43 139 ( * ) . L'objectif est d'atteindre une quarantaine de retour chaque année.
Ces volumes restent faibles au regard du nombre estimé de mineurs roumains isolés en France (600 à 700 individus).
Plusieurs éléments expliquent ce résultat timide 140 ( * ) .
En premier lieu, la délégation de la commission d'enquête a relevé la faible visibilité du programme et le manque de confiance réciproque, notamment du côté français. En effet, les juges des enfants n'ont pas toujours connaissance de ce programme. De plus, les acteurs français, qu'il s'agisse des magistrats, de l'aide sociale à l'enfance ou des associations, considèrent qu'un mineur roumain est mieux en France qu'en Roumanie, quand bien même ce dernier y est souvent entre les mains de filières criminelles ou erre dans la rue. Ce présupposé est erroné. Il faut relever à cet égard l'échec des mesures de protection en France. L'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas nécessairement de rester en France, en particulier lorsque le mineur a ses parents en Roumanie.
En deuxième lieu, le consentement des mineurs serait, à tort, systématiquement recherché avant de mettre en oeuvre les retours. Mme Marie Leclair, magistrate française et assistante technique auprès du ministère de la justice roumain, a rappelé que le consentement de l'enfant n'était pas requis, le juge des enfants ayant seul la responsabilité de déterminer son intérêt supérieur 141 ( * ) .
En troisième et dernier lieu, l'ANAEM ne retiendrait que les dossiers les plus faciles, c'est-à-dire ceux pour lesquels les risques de récidive sont faibles. 80 % des enfants rapatriés sont ainsi accueillis dans leur famille. Il s'agit aussi d'enfants ayant séjourné seulement quelques mois en France.
Bien que les résultats soient encore très modestes, il apparaît à la commission d'enquête que ce programme de retour doit être poursuivi en tenant compte des observations précédentes. L'accord du 4 octobre 2002 arrive d'ailleurs à son terme ; sa renégociation sera l'occasion d'affiner certains dispositifs. La perspective de l'adhésion à l'Union européenne, la hausse du niveau de vie et l'amélioration du dispositif de protection de l'enfance en Roumanie devraient réduire les réticences à l'encontre du rapatriement de ces mineurs.
Un autre programme très ciblé est le programme d'accueil d'urgence des victimes bulgares des réseaux de prostitution et de traite des êtres humains . Il est mis en oeuvre depuis 2004, dans le cadre d'une convention signée avec une ONG sise à Sofia. En 2004, 11 victimes ont été ainsi prises en charge. Ce nombre peut paraître faible mais il faut le comparer à la taille limitée du public visé et à la difficulté de rapatrier des femmes menacées par les réseaux mafieux dans leurs pays.
b) Dynamiser l'aide au retour en l'associant à la politique de co-développement
L'ANAEM met en oeuvre plusieurs programmes de co-développement s'adressant à des migrants qui, ayant séjourné en France, ont décidé de rentrer volontairement dans leur pays d'origine. Ils peuvent bénéficier d'un accompagnement social, d'une formation professionnelle, d'une aide technique pendant un an à l'appui d'un projet professionnel ainsi que d'une aide financière à la création de micro-projets.
Ainsi, le programme de co-développement migration (PCDM) pour la Roumanie permet de financer une formation professionnelle à hauteur de 450 euros ou la création d'une entreprise à hauteur de 3.600 euros par projet. Ce programme est mis en oeuvre par l'ANAEM depuis 1999, mais bénéficie depuis 2003 d'un cofinancement du Fonds européens pour les réfugiés (FER). Une centaine de micro-entreprises ont été créées de la sorte.
Un programme similaire existe depuis 2003 à destination des ressortissants moldaves déboutés du droit d'asile ou dont le séjour a été refusé par les autorités françaises. Rapporté à la taille de ce pays, ce programme semble fonctionner correctement puisque depuis 2003, 72 projets économiques ont été financés.
En outre, l'ANAEM participe aux côtés du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'emploi et de la solidarité au Programme Développement Local-Migration (PDLM) au Mali et au Sénégal 142 ( * ) . S'il a financé plus de 450 projets au Mali depuis 2000, en revanche moins de 30 l'ont été au Sénégal.
La commission d'enquête estime évidemment nécessaire de renforcer le co-développement qui pourrait devenir un levier fort pour dynamiser la politique de retour. Néanmoins, il semble que la répartition des compétences entre l'ANAEM et le ministère des affaires étrangères ne soit pas toujours très claire, chacune de ces institutions s'attribuant la responsabilité principale du programme.
c) Un nouveau programme expérimental d'aide au retour plus attractif
Conscient de l'inefficacité des aides au retour volontaire pour les étrangers en situation irrégulière, le Gouvernement a souhaité expérimenter un nouveau dispositif financièrement plus intéressant pour les étrangers.
Définie par la circulaire interministérielle du 19 septembre 2005 143 ( * ) , cette expérimentation est confiée à l'ANAEM jusqu'au 30 juin 2006 dans 28 départements pilotes.
Outre les aides déjà prévues par les programmes classiques d'aide à la réinsertion des étrangers invités à quitter le territoire et de rapatriement humanitaire, le programme prévoit le versement d'une aide financière d'un montant de 2.000 euros par adulte isolé, de 3.500 euros par couple, de 1.000 euros par enfant mineur jusqu'au troisième inclus et de 500 euros à partir du quatrième enfant. L'aide est versée en trois fois : 50 % en France avant le départ, 30 % six mois après le retour et 20 % un an après le retour. En outre, dans le pays de retour, les personnes en situation de grande précarité peuvent bénéficier d'un accompagnement social.
De la même façon que pour l'aide à la réinsertion des étrangers invités à quitter le territoire, les étrangers sous le coup d'une mesure d'éloignement ne peuvent bénéficier du programme. Ne peuvent également en bénéficier les ressortissants des pays inscrits sur la liste des pays d'origine sûrs et ayant été déboutés d'une demande d'asile.
L'hypothèse de l'expérimentation est que près de 2.500 personnes demandent à bénéficier de ce programme 144 ( * ) . Une première évaluation à la date du 15 février 2006 indique que 278 dossiers (pour 358 personnes) ont été présentés 145 ( * ) . L'objectif fixé sera sans doute difficile à atteindre. M. André Nutte, directeur de l'ANAEM, a reconnu devant la commission d'enquête ce demi-échec : « force est de constater [...] que les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions puisque, sur le dernier programme que nous avons lancé en octobre dernier, nous avons aujourd'hui un potentiel d'environ 240 départs ».
Toutefois, avant même que l'expérimentation soit achevée et évaluée, il semble que ce programme expérimental doive être généralisé et pérennisé. Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a ainsi déclaré lors de son audition : « j'ai demandé à ce que le dispositif d'aide au retour monte en puissance dans le courant du premier semestre 2006. D'ores et déjà, 32 départements sont inscrits dans cette expérimentation. Et, nous allons généraliser l'expérimentation à l'ensemble du territoire et même la proroger au-delà du 30 juin 2006 ».
Qu'il soit ici permis à la commission d'enquête de s'étonner d'une telle décision alors que l'expérimentation n'en est qu'à ses débuts. Dans une matière où les échecs passés et actuels illustrent l'extrême difficulté à concevoir des dispositifs d'aide au retour efficaces, il est dommage de ne pas prendre un peu de temps pour évaluer et corriger les erreurs.
Cette remarque est d'autant plus fondée que ce nouveau programme pose déjà plusieurs questions.
La première concerne son articulation avec les autres aides au retour. La circulaire du 19 septembre 2005 précitée dispose d'ailleurs que l'évaluation finale devra se prononcer sur l'opportunité de substituer totalement ce programme au programme d'aide au retour créé dans le cadre de la circulaire du 14 août 1991. Ce dernier est beaucoup moins intéressant financièrement que le nouveau. On imagine mal les raisons qui pousseraient un étranger à préférer l'ancienne aide. De la même façon, il faut s'interroger sur l'intérêt de conserver le programme de rapatriement humanitaire prévu par la circulaire de 1992.
La deuxième concerne cette fois la coexistence de ce dispositif avec les programmes de co-développement développés avec le Mali, le Sénégal, la Roumanie ou la Moldavie. Pour un étranger en situation irrégulière, l'avantage comparatif est réduit. Certes, l'aide financière est un peu supérieure dans le cadre des programmes de co-développement, mais elle est accordée en vue du financement d'un projet économique. L'étranger n'est pas libre d'utiliser cet argent comme il le souhaite. D'après les premières données recueillies sur le déroulement de l'expérimentation, les maliens et les moldaves font partie des principales nationalités intéressées.
La troisième concerne le public visé. Selon la circulaire, le programme aurait été conçu pour convaincre les familles et les déboutés du droit d'asile de retourner dans leur pays d'origine. Or, sur les 278 dossiers déposés à la date du 12 février 2006, 235 l'ont été par des étrangers célibataires sans enfant. Seuls 23 dossiers concernaient des couples avec enfants, soit 79 personnes.
La quatrième et dernière question est relative à la limitation du bénéfice du programme aux seuls étrangers s'étant vu notifier un refus de séjour ou de renouvellement de titre de séjour et qui ont fait l'objet d'une invitation à quitter le territoire français. Les étrangers à l'encontre desquels un arrêté de reconduite à la frontière a été pris en sont exclus. Or, les premiers résultats montrent, d'une part, que plus de la moitié des demandeurs est entrée en France en 2003 ou avant, d'autre part, que les invitations à quitter le territoire de plus de la moitié des demandeurs sont périmées.
Le public visé a priori par ce dispositif, c'est-à-dire des étrangers entrés récemment comme les déboutés du droit d'asile, n'est pas majoritaire.
Une réflexion devrait être engagée sur l'ouverture des programmes d'aide au retour aux étrangers sous le coup d'un arrêté de reconduite à la frontière. La période d'expérimentation pourrait être mise à profit pour tester cette proposition.
Enfin, concernant le montant de l'aide financière allouée, certaines personnes 146 ( * ) entendues par la commission d'enquête ont suggéré de l'augmenter en faisant valoir que le coût d'un éloignement forcé est bien supérieur.
Il est certain qu'un pécule encore plus élevé séduirait plus de candidats. Toutefois, il faut prendre garde à ne pas créer un effet d'aubaine. Cette aide ne doit pas devenir une prime au séjour irrégulier.
En revanche, il serait intéressant de pouvoir moduler le montant de l'aide en fonction du pays afin de tenir compte des différences de pouvoir d'achat.
Recommandation n° 41 : Expérimenter l'ouverture des programmes d'aide au retour aux étrangers sous le coup d'un arrêté de reconduite à la frontière et rationaliser le dispositif d'aide au retour. |
* 138 Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains en difficulté sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation, signé à Paris le 4 octobre 2002.
* 139 62 depuis 2003 tous programmes confondus.
* 140 Nos partenaires européens n'obtiennent pas de résultats sensiblement meilleurs. En Espagne et en Italie, principaux pays de destination de l'immigration roumaine avant la France, le nombre de mineurs isolés renvoyés dans leur pays est quasi-nul.
* 141 En revanche, comme le prévoit la loi, un mineur isolé ne peut pas faire l'objet d'une mesure d'expulsion, de reconduite à la frontière ou d'interdiction du territoire.
* 142 Pour plus de détails sur ce programme, voir page 103.
* 143 Circulaire n° DPM/ACI3/2005/423 du 19 septembre 2005.
* 144 Cet objectif est à la fois ambitieux et raisonnable. Ambitieux si on le compare au nombre actuel de bénéficiaires des aides au retour et si on considère que le programme a été lancé dans seulement 28 départements depuis septembre 2005. Raisonnable étant donné que l'aide financière est nettement supérieure à celles des aides au retour existantes.
* 145 121 dossiers sont en cours d'instruction, 51 dossiers ont été acceptés pour lesquels les départs n'ont pas été effectués, 85 ont vu des départs effectifs (107 personnes) et 13 dossiers ont été annulés, dont 9 à la demande de la personne.
* 146 Notamment maître Dominique Tricaud, membre du Conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris.