2. La réforme française du droit d'asile opérée par la loi du 10 décembre 2003
Anticipant, elle aussi, sur l'adoption des propositions communautaires et notamment de la directive tendant à harmoniser les procédures d'octroi de retrait du statut de réfugié 107 ( * ) , la loi du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile a cependant pris soin de préserver la tradition républicaine et d'éviter les solutions par trop « minimalistes » que pouvaient autoriser les propositions communautaires.
S'inscrivant dans la logique des mesures qui avaient déjà été mises en oeuvre entre 1991 et 1993 pour restaurer des conditions convenables d'examen des demandes d'asile, la nouvelle loi et les mesures d'accompagnement prévues pour renforcer les moyens dévolus au traitement des dossiers et à l'accueil des demandeurs d'asile ont été centrées sur deux objectifs : réduire les délais d'examen des dossiers et étendre la garantie des droits.
Destinée, comme l'avait souligné M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, à rétablir la distinction entre l'asile, qui est un droit, et l'immigration, qui est un choix, la réforme mise en place en 2003 tendait donc à faire prévaloir des procédures d'asile à la fois efficaces et incontestables.
a) L'efficacité des procédures
Essentielle pour ne pas prolonger des situations d'attente peu supportables pour les demandeurs, la rapidité des procédures représente aussi la dissuasion la plus efficace à l'égard de la demande « opportuniste ».
Elle a été rétablie grâce à leur réorganisation tant au niveau de l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) que de la Commission des recours des réfugiés (CRR), mais aussi à travers l'octroi de moyens importants à ces deux instances.
• La réorganisation des procédures
Elle a été principalement fondée sur deux mesures, la fonction de « guichet unique » attribuée à l'OFPRA et l'introduction dans le droit français du concept de « pays d'origine sûrs ». Mais il faut également mentionner la nouvelle possibilité donnée aux présidents des formations de jugement de la Commission des recours des réfugiés de se prononcer par ordonnance sur certains dossiers.
* L'unification des procédures
L'OFPRA est devenu la seule instance compétente pour l'examen des demandes d'asile conventionnel, élargi désormais aux victimes de persécutions non étatiques, et des demandes d'octroi de la protection subsidiaire, substituée au régime « de l'asile territorial » créé en 1998 et dont la gestion avait été confiée au ministère de l'intérieur.
Hormis le fait que la nouvelle définition des compétences de l'OFPRA correspond à une amélioration des protections offertes, la suppression de l'asile territorial a apporté un avantage décisif en matière d'efficacité des procédures.
En effet, ce régime, qui s'était révélé peu protecteur (le taux d'admission avait culminé à 6,1 % des demandes avant de tomber à 1,5 % en 2002), s'était en outre caractérisé par l'augmentation rapide des délais d'instruction des dossiers par les préfectures (22 mois en 2001) : cumulable avec la demande d'asile conventionnel, la demande d'asile territorial pouvait donc offrir au demandeur de mauvaise foi un moyen efficace de séjour régulier et prolongé sur le territoire national.
* La notion de pays d'origine sûrs
Retenant un concept défini par la proposition de directive sur la procédure d'octroi de retrait du statut de réfugié et déjà intégré dans les législations de plusieurs Etats membres, la loi du 10 décembre 2003 a donné compétence au conseil d'administration de l'OFPRA pour établir une liste de « pays d'origine sûrs ».
Comme les nationaux des pays relevant de la clause de l'article 1 er C 5 de la Convention de Genève, les demandeurs d'asile ressortissants de ces pays ne bénéficient pas de l'admission sur le territoire et le recours qu'ils peuvent former en cas de rejet de leur demande n'est pas suspensif 108 ( * ) .
De la même manière, les demandes d'asile émanant des ressortissants de ces pays sont traitées selon la « procédure prioritaire » 109 ( * ) , et dans des délais qui ont été précisés par un décret du 14 août 2004 : 15 jours lorsque le demandeur est laissé en liberté, 96 heures lorsqu'il est placé en rétention administrative.
En application de l'article L.722-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le conseil d'administration de l'OFPRA a fixé le 30 juin 2005 une liste de 12 pays d'origine sûrs 110 ( * ) .
Il est à noter que la publication de la liste des pays d'origine sûrs a fait chuter de plus de 66 %, entre le 1 er juillet et le 31 décembre 2005, le nombre des premières demandes d'asile émanant de leurs ressortissants : du même coup, la demande d'asile originaire de ces pays, qui représentait 11,4 % de la demande d'asile totale au 30 juin 2005, n'en représentait plus que 3,9 % au 31 décembre 2005.
* Les « nouvelles ordonnances »
La loi du 10 décembre 2003 a étendu aux présidents des sections de jugement de la Commission des recours des réfugiés la faculté dont disposait déjà le président de la Commission de régler par ordonnance un certain nombre de dossiers ne justifiant pas l'intervention d'une formation collégiale (désistements, irrecevabilités manifestes...).
Mais elle leur a également donné la possibilité de statuer par ordonnance sur les recours qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision de l'OFPRA.
Ces ordonnances dites « nouvelles » sont comme les autres -dites « traditionnelles »- rendues après étude du dossier par un rapporteur.
En 2005, les décisions rendues sur ordonnance ont représenté environ 17 % des décisions prises, avec 6.350 ordonnances « traditionnelles » et 4.072 « nouvelles » ordonnances.
Elles ont contribué à la réduction des délais de jugement, qu'elles permettent de ramener à un mois pour les ordonnances traditionnelles et à deux mois pour les ordonnances nouvelles.
• L'augmentation des moyens financiers et en personnel
Comme lors de la précédente « crise » du droit d'asile, des moyens supplémentaires conséquents ont été consentis à l'OFPRA et à la CRR pour résorber les « stocks » de dossiers en instance et ramener à de plus justes proportions les délais de traitement des demandes.
Sur la période 1987/1990, les crédits affectés à l'OFPRA et à la CRR avaient été quadruplés et leurs effectifs triplés. Cela s'était avéré efficace, puisqu'en 1991 les stocks avaient été résorbés et les délais de traitement ramenés à une durée comprise entre 6 et 8 mois, ce qui avait justifié l'intervention de la circulaire du 26 septembre 1991 supprimant en fait le droit au travail dont bénéficiaient les demandeurs d'asile, en les soumettant au droit commun des conditions de délivrance des permis de travail, c'est-à-dire en leur rendant opposable la situation de l'emploi.
L'expérience des années 1987/1990 n'a cependant pas incité à la mise en place d'un système plus « flexible » d'ajustement des moyens de traitement des demandes d'asile puisqu'au début des années 2000, on a encore attendu l'encombrement des rôles et la dérive des délais pour augmenter les moyens de l'OFPRA et de la CRR, dont les crédits ont été portés entre 2001 et 2006 de 17 à 49 millions d'euros, leurs effectifs cumulés atteignant 863 agents en 2006.
Ce nouvel effort a également porté ses fruits, mais la commission d'enquête observe qu'il serait sans doute de meilleure méthode, à l'avenir, de faire en sorte que l'OFPRA et la CRR disposent de moyens suffisants pour faire face en temps réel aux inévitables fluctuations de la demande d'asile, et surtout d'éviter de les réduire à la portion congrue dès qu'une « crise » est passée -au risque de précipiter l'arrivée de la suivante.
b) Le renforcement des garanties
A côté du raccourcissement des délais, qui est un facteur essentiel de limitation des détournements de procédure et d'accès plus rapide au statut de réfugié, la réforme engagée en 2003 a renforcé un certain nombre de garanties procédurales et matérielles offertes aux demandeurs d'asile.
• La loi du 10 décembre 2003 n'a retenu aucune clause d'irrecevabilité des demandes d'asile , sauf sous les réserves prévues par la Constitution dans le cas où leur examen relève d'un autre Etat membre de l'Union européenne en application du règlement « Dublin II » 111 ( * ) .
• La protection offerte aux demandeurs d'asile a été améliorée sur deux points essentiels :
- la loi du 10 décembre 2003 a admis l'interprétation de la Convention de Genève soutenue notamment par le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés et reprise par la directive du 1 er décembre 2005, en étendant la protection conventionnelle aux victimes de persécutions non étatiques ;
- elle a substitué à l'asile territorial une nouvelle forme de protection, la « protection subsidiaire », destinée aux personnes exposées, en cas de retour dans leur pays d'origine, à des menaces graves autres que celles définies par la Convention de Genève 112 ( * ) .
Également cohérente avec les solutions consacrées depuis par la directive du 1 er décembre 2005, l'institution du régime de la protection subsidiaire s'est accompagnée de garanties renforcées par rapport à celui de l'asile territorial : l'octroi de cette protection relève, comme celui de la protection conventionnelle, de l'OFPRA, les demandeurs disposant des mêmes garanties de convocation et d'entretien et du même droit de recours suspensif devant la CRR ;
• Toutes les demandes d'asile font l'objet d'un examen individuel , y compris dans le cadre de la procédure prioritaire.
• Grâce à un amendement du Sénat, la loi a également posé le principe de l'audition des demandeurs d'asile , dont 80 % sont actuellement convoqués pour être entendus par l'OFPRA.
• Enfin, parallèlement à la réforme des procédures, a également été prévu un considérable renforcement des capacités d'hébergement en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) . Comme la commission d'enquête a pu le constater, le soutien et l'encadrement social assurés dans les CADA, l'aide qu'y trouvent les demandeurs d'asile dans la préparation de leur dossier renforcent considérablement leurs chances de succès : il est donc important de leur assurer, autant que faire se peut, un égal accès à ce soutien.
La commission d'enquête se félicite donc que les objectifs d'ouverture de places supplémentaires en CADA aient été relevés pour 2006 au-delà même des prévisions du plan de cohésion sociale, avec 2.000 places prévues au lieu de 1.000, ce qui devrait porter à 21.500 places en 2007 la capacité d'hébergement en CADA.
Recommandation n° 24 : Assurer, autant que faire se peut, un égal accès des demandeurs d'asile aux CADA. |
b) Les résultats
Sans doute est-il prématuré de prétendre tirer un bilan complet de la réforme du droit d'asile. Il n'est pas trop tôt, cependant, pour attirer l'attention sur deux éléments qui seront nécessaires pour dresser ce bilan :
- un affinement des outils de suivi et d'analyse des résultats chiffrés ;
- une évaluation attentive des modifications intervenues et des précautions à prendre pour garantir le caractère incontestable des procédures.
• La difficile analyse des résultats chiffrés
Les constatations que l'on peut faire portent sur :
- les résultats obtenus en matière de résorption des dossiers non traités et de raccourcissement des délais de décision ;
- l'amorce d'une nette diminution des premières demandes d'asile, dont les causes restent à analyser ;
- mais aussi l'absence de toute donnée relative au devenir des déboutés : si elle devait se prolonger, cette situation rendrait assez malaisée l'appréciation de l'efficacité d'une réforme dont l'un des objectifs était précisément d'empêcher la demande d'asile de demeurer un vecteur d'immigration irrégulière.
* La résorption des stocks et le raccourcissement des délais de traitement des dossiers
- les délais de délivrance par les préfectures des autorisations provisoires de séjour (APS)
Avant la loi de 2003, ils pouvaient atteindre plusieurs mois. L'objectif était de les ramener à 8 jours dans les préfectures équipées d'une borne EURODAC, et à 15 jours dans celles qui n'en sont pas équipées 113 ( * ) .
Le délai de 15 jours est désormais respecté par les 85 % de préfectures qui reçoivent 95 % des demandeurs d'asile. Actuellement, le délai maximum de délivrance des APS n'excéderait pas trois semaines.
- les affaires en instance et les délais de traitement des dossiers par l'OFPRA et la CRR
A la fin de 2005, le nombre des dossiers en instance correspondait à deux mois d'activité pour l'OFPRA (contre quatre mois à la fin de 2003); il avait été ramené à quatre mois d'activité pour la CRR.
En termes de délais de traitement, le délai moyen été réduit pour l'OFPRA de 4,3 mois en 2004 à 3,5 mois sur les 11 premiers mois de 2005. Les délais fixés pour le traitement des procédures prioritaires (15 jours pour les demandeurs laissés libres, quatre jours pour les demandeurs placés en rétention administrative) sont par ailleurs tenus. Enfin, sur les 11 premiers mois de 2005, le délai moyen de traitement des demandes de réexamen a été de 10 jours, la moitié des dossiers étant cependant traités en deux jours.
Le délai total de traitement des demandes d'asile, supérieur à 18 mois en 2003 et 2004 est ainsi, au début de 2006, de l'ordre de huit mois, dont 2,5 mois pour l'OFPRA et quatre à cinq mois pour la CRR, l'objectif demeurant de le réduire à six mois.
* La diminution du nombre des primo demandeurs
Après le pic enregistré en 2003, une nette décélération de la demande totale d'asile s'est amorcée en 2004 et 2005 : - 27 % en 2004 (65.614 dossiers) et - 10 % en 2005 (59.038 dossiers).
Cette diminution concerne en particulier les premières demandes, qui ont diminué de 15 % en 2005, passant sous la barre des 50.000 dossiers.
En revanche, les demandes de réexamen, après avoir triplé en 2004, ont continué de progresser en 2005 (+ 34 %). Ces augmentations s'expliquent, pour ce qui concerne 2004, par l'élargissement de la protection offerte par la nouvelle loi et, pour les années 2004 et 2005, par l'augmentation du nombre des décisions rendues à la suite du « déstockage » des dossiers en instance.
D'après les chiffres communiqués par le ministère de l'intérieur, les résultats de janvier 2006 (-34,1 % pour les premières demandes) feraient mieux que confirmer cette tendance, même si des résultats portant sur un mois méritent d'être accueillis avec une certaine prudence.
Reste cependant à analyser les raisons de cette baisse.
Pour une part, elle peut tenir à une raison conjoncturelle dont il y a tout lieu de se féliciter : la baisse actuelle du nombre des réfugiés dans le monde.
En effet, comme l'indiquait le 21 février dernier devant le Parlement européen M. Antonio Guterres, Haut Commissaire des Nations-Unies aux réfugiés, le nombre des réfugiés - 10 millions - est à son plus bas étiage depuis presque un quart de siècle.
Cependant, il conviendra de s'assurer que, conformément aux objectifs que s'était assigné le législateur national, la diminution de la demande d'asile n'est imputable, en dehors de l'évolution positive du nombre des réfugiés, qu'au succès des mesures prises pour dissuader la demande d'asile « opportuniste ».
Le meilleur moyen d'y parvenir sera sans doute de suivre l'évolution des taux de reconnaissance de la qualité de réfugié ou d'octroi de la protection subsidiaire, qui devraient normalement progresser si les nouvelles procédures mises en place assurent un « tri » efficace entre vrais demandeurs d'asile et candidats à l'immigration économique.
Dans le cas contraire, il conviendrait de se demander si -comme semblait le craindre le Haut Commissaire des Nations Unies aux réfugiés- les mesures destinées à contrôler l'immigration ne peuvent pas être aussi un obstacle à l'accès aux pays d'accueil des demandeurs d'asile.
Un suivi par cohortes des demandes d'asile présentées depuis l'entrée en vigueur de la réforme de 2003 et des décisions rendues devrait permettre de lever toute ambiguïté à cet égard.
* Le sort des déboutés du droit d'asile
Aussi étonnant que cela paraisse, l'on ne dispose actuellement d'aucune donnée permettant d'apprécier le « taux de retour », volontaire ou non, des déboutés du droit d'asile et l'on est par conséquent dans l'incapacité de mesurer sur ce point l'efficacité de la réforme du droit d'asile.
En particulier, le ministère de l'intérieur ne connaît pas le nombre de déboutés du droit d'asile qui quittent le territoire national en application d'une mesure d'éloignement, pour la simple raison que les mesures d'éloignement sont comptabilisées par catégorie de mesure et non en fonction des motifs pour lesquels elles ont été prononcées .
Des « sondages » seraient cependant opérés dans les centres de rétention administrative ou dans les préfectures : ce serait sur la base de tels sondages qu'auraient été calculés -si l'on peut dire- les taux d'éloignement (de l'ordre de 5 %) des déboutés du droit d'asile qui avaient été cités lors de la discussion de la loi du 10 décembre 2003.
Quant aux éventuels départs volontaires, ils ne sont pas davantage étudiés ni recensés dans le cas des déboutés du droit d'asile que dans celui de toutes les autres catégories d'étrangers résidant régulièrement ou non sur le sol national.
Seul pourrait donc à la rigueur être évalué le nombre des déboutés bénéficiant d'aides au retour, encore que les différents dispositifs en vigueur ne les concernent pas exclusivement.
Cependant, les chiffres relatifs à l'aide au retour outre qu'ils ne sont pas toujours très cohérents, restent infinitésimaux et ne peuvent donc donner aucune information significative sur le devenir des déboutés du droit d'asile.
Il est inquiétant, au regard des objectifs poursuivis par le législateur de 2003, que le seul résultat chiffré des mesures prises pour prévenir le maintien des déboutés sur le territoire national soit l'augmentation de leur nombre, consécutif au « déstockage » des dossiers en instance à l'OFPRA et à la CRR 114 ( * ) .
• La nécessaire vigilance en matière de garantie du droit d'asile
Toujours pour respecter la volonté du législateur de 2003, qui avait entendu marquer son attachement au respect du droit d'asile, il convient :
- de prévenir les éventuels « effets pervers » des mesures prises pour rendre plus efficaces les procédures d'asile ;
- de donner toute leur portée aux garanties prévues par les textes communautaires et nationaux.
* Préserver le caractère incontestable de la procédure
A cet égard, se pose la question de la multiplication des procédures prioritaires.
Le recours à la procédure prioritaire, dont l'initiative appartient au préfet, s'était déjà largement développé avant l'intervention de la loi de 2003, qui en étend notablement le champ d'application.
En 2003, avant l'intervention de la nouvelle loi, les saisines de l'OFPRA en procédure prioritaire représentaient déjà 9,6 % des dossiers.
En 2004, première année d'application de la réforme, les demandes et réexamens en procédure prioritaire ont atteint 16 % du total des dossiers.
En 2005, 20 % des demandes ont été placées en procédure prioritaire (+ 31 %), celles-ci concernant plus particulièrement les réexamens (70 %) mais aussi 81 à 82 % des demandes d'asile émanant de ressortissants de pays d'origine sûrs.
Comme l'a observé, lors de son audition, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, directeur général de l'OFPRA, cette augmentation peut avoir des conséquences importantes en termes de charge et d'organisation du travail de l'Office, voire devenir un facteur de désorganisation.
Il convient donc de prêter toute l'attention qu'elle mérite à la réflexion qu'il a formulée devant la commission d'enquête : « un excès de procédures prioritaires fait donc qu'il n'y a plus de priorités, ce qui peut être contraire à l'objectif d'accélération des délais poursuivi par les pouvoirs publics ».
Recommandation n° 25 : Eviter de multiplier les procédures prioritaires d'examen des demandes d'asile. |
* Préciser et renforcer les garanties dont bénéficient les demandeurs d'asile
- le concours d'interprètes traducteurs pour la présentation des demandes
L'obligation de rédiger en français les demandes adressées à l'OFPRA et, pour le demandeur non francophone, de rétribuer lui-même l'interprète traducteur dont le concours peut lui être indispensable, risque tout simplement de priver de l'exercice de leurs droits certains demandeurs d'asile.
Elle peut par ailleurs apparaître difficilement compatible avec les « normes minimales » prévues par la directive du 1 er décembre 2005, dont l'article 10-1-b impose que les demandeurs d'asile « bénéficient en tant que de besoin des services d'un interprète pour présenter leurs arguments aux autorités compétentes » et que « ces services sont payés sur des fonds publics ».
Certes, on pourrait arguer que ce texte vise essentiellement le cas des entretiens, mais peut-on sérieusement soutenir que l'on ne prive pas le demandeur de la possibilité de « présenter ses arguments » si, faute d'avoir pu bénéficier du concours d'un interprète pour rédiger sa demande, celle-ci est rejetée sans examen ?
Recommandation n° 26 : Assurer la gratuité du recours à un interprète pour rédiger la demande d'asile. |
- l'aide juridictionnelle
Aux termes de l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'aide juridictionnelle devant la CRR ne peut être accordée qu'aux étrangers entrés régulièrement en France.
Cette restriction, au demeurant un peu surprenante dans la mesure où la Convention de Genève prévoit expressément le droit des réfugiés d'entrer sans autorisation sur le territoire des pays d'accueil, devra être levée en application de l'article 15 de la directive du 1 er décembre 2005.
Recommandation n° 27 : Ouvrir le bénéfice de l'aide juridictionnelle devant la Commission des recours des réfugiés aux étrangers entrés irrégulièrement en France, conformément à la directive du 1 er décembre 2005. |
- les délais
Le décret du 14 août 2004 a raccourci d'une semaine (d'un mois à 21 jours) le délai dont dispose le demandeur d'asile pour présenter sa « demande d'asile complète » à l'OFPRA.
Par ailleurs, le Comité interministériel de contrôle de l'immigration a pris la décision de principe de ramener d'un mois à 15 jours le délai de recours devant la CRR.
A l'appui de cette décision de principe sont invoqués les délais pratiqués dans d'autres pays européens. L'argument est peu convaincant, d'une part, parce que l'on rencontre ailleurs des délais comparables, d'autre part et surtout, en raison du caractère largement artificiel de telles comparaisons, notamment avec les pays dont les traditions procédurales diffèrent de l'exigence française de présentation de recours écrits et argumentés.
La CRR elle-même a d'ailleurs souligné la brièveté du délai de recours actuel, inférieur de moitié au délai de recours devant les juridictions administratives de droit commun. Et, considérant que ce recours « n'est pas une simple formalité de saisine de la juridiction », elle estime qu'il est recevable dès lors que son envoi -et non sa réception- intervient avant l'expiration du délai d'un mois.
Il serait donc sans doute souhaitable de renoncer à faire peser sur les demandeurs d'asile la charge de la réduction des délais de procédure, sauf à prendre le risque de paraître leur marchander les moyens de faire valoir leurs droits dans un système juridique complexe et qui leur est, somme toute, sans doute moins favorable que ceux qui font une plus large place à l'oralité.
Recommandation n° 28 : Maintenir à un mois le délai de recours contre les décisions de l'OFPRA devant la CRR. |
* 107 Qui ne devait être publiée que deux ans plus tard (directive 2005/85/CE du Conseil du 1 er décembre 2005, publiée au Journal officiel de l'Union européenne du 13 décembre 2005).
* 108 Articles L.741-4 (2°) et L.742-6 CESEDA.
* 109 Deuxième alinéa de l'article L.723-1 CESEDA.
* 110 Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap Vert, Croatie, Géorgie, Ghana, Inde, Mali, Maurice, Mongolie, Sénégal, Ukraine.
* 111 Règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003.
* 112 La peine de mort, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, les menaces graves résultant d'une situation de violence généralisée ou d'un conflit armé.
* 113 14 bornes ont été installées en 2003, et cinq en 2005, l'acquisition de 20 bornes supplémentaires étant prévue sur les exercices 2006 et 2007. La base de données EURODAC permet la comparaison des empreintes digitales des personnes ayant demandé l'asile dans un Etat membre de l'Union européenne.
* 114 Au total, 124.527 demandeurs d'asile ont été déboutés sur la période 2001 à 2005, dont 39.613 en 2004 et 55.678 en 2005.