2. Renforcer les moyens mis en oeuvre au titre du co-développement
Le développement des pays « sources » de l'immigration clandestine soulève la question, souvent évoquée, du « pillage » des élites des pays les moins favorisés par les pays développés. Celle-ci, qui n'a jamais cessé d'être présente depuis la décolonisation opérée dans les années 1950 et 1960, connaît aujourd'hui une acuité particulière compte tenu des propositions faites par le Gouvernement de faire de l'immigration en France une immigration « choisie » en attirant, comme l'a précisé M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, devant la commission d'enquête, « les compétences dont notre pays a besoin : travailleurs qualifiés, créateurs d'entreprises, chercheurs, professeurs d'université, étudiants ».
Il est généralement estimé que le nombre des ressortissants des pays en développement exerçant dans les pays développés des activités scientifiques et techniques représente le tiers des effectifs scientifiques et techniques dans ces pays. Ce chiffre est même plus élevé pour le continent africain, la France accueillant d'ailleurs à elle seule 34 % des étudiants expatriés originaires de ce continent.
Or, si la France définit des critères de sélection pour les étrangers qu'elle souhaite accueillir en priorité sur son sol afin de mieux les intégrer à la fois économiquement et socialement, la commission d'enquête estime indispensable que cela ne se fasse pas au détriment des pays d'origine de ces migrants. Tel est d'ailleurs la position retenue officiellement par les participants au 23 ème sommet des chefs d'Etats d'Afrique et de France, qui s'est tenu à Bamako, au Mali, les 3 et 4 décembre 2005.
Recommandation n° 17 : Inclure dans les accords de développement conclus par la France des clauses destinées à faciliter le retour des travailleurs qualifiés étrangers dans leurs pays d'origine pour favoriser leur développement. |
Dans ce contexte, les actions de co-développement déjà mises en oeuvre par les autorités françaises doivent être renforcées. De telles actions peuvent en effet permettre un développement réel des pays d'origine des immigrants clandestins en faisant appel aux capacités acquises par les immigrants réguliers venus étudier ou exercer leur activité professionnelle sur le territoire de la République française.
Depuis le début des années 1990, le Gouvernement français a mis en place des expériences pilotes guidées par le concept de co-développement. Ces programmes visent à valoriser le potentiel des immigrés vivant en France pour aider au développement de leur pays d'origine en appuyant des projets de développement local.
Ce type d'action a d'abord été expérimenté au Mali, dans le cadre d'un fonds de solidarité prioritaire d'un montant de 2,6 millions d'euros sur la période 2002-2005. Conservé au Mali, dans le cadre d'une seconde phase dotée de 2,6 millions d'euros et désormais opérationnelle, ce programme a été étendu au Sénégal ainsi qu'aux Comores, les dotations s'élevant respectivement à 2,5 millions pour la période 2005-2008 et 2 millions pour la période 2006-2008. En outre, un programme-cadre de développement, doté d'un budget de 3 millions d'euros sur la période 2006-2009, a été mis en place au profit de 29 pays regroupant l'ensemble des pays francophones d'Afrique subsaharienne, les pays lusophones membres de la francophonie ainsi que l'Ethiopie, le Vanuatu et Haïti.
La commission d'enquête se réjouit que, lors de son audition, M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, ait entendu faire de la politique de co-développement « une priorité de l'action de [son] ministère en 2006 . »
La politique française de co-développement se traduit par plusieurs types d'actions.
En premier lieu, cette politique inclut le financement de projets de développement local. Ce type d'aide a notamment été appliqué dans la région de Kayes, au Mali, retenue depuis quelques années comme « laboratoire » de la politique de co-développement.
La commission d'enquête préconise que l'existence de zones de forte émigration vers la France soit davantage prise en compte dans le choix des programmes de développement local à financer .
En effet, on constate que, dans différents pays, il existe des zones d'émigration, des régions entières dont les habitants émigrent en masse vers la métropole ou l'une des collectivités ultramarines françaises. Tel est le cas au Mali ; mais cet Etat n'est pas le seul concerné : il suffit parfois, dans certains pays, que quelques individus aient pu accéder au territoire national, de manière régulière ou irrégulière, pour que ces départs créent une sorte d'effet d'appel sur les compatriotes de leur lieu d'origine restés au pays.
Il convient donc que ces zones soient déterminées préalablement à la décision de mise en place de ce type de programme. Il pourrait en être ainsi notamment du sud de la République dominicaine qui, selon le Consul de Saint-Domingue à Pointe-à-Pitre rencontré par la délégation de la commission d'enquête lors de son déplacement en Guadeloupe, est le lieu d'origine de la majeure partie des Dominicains ayant illégalement pénétré sur le territoire français. De même, un effort particulier devrait être effectué en faveur des zones les plus défavorisées d'Haïti dont sont originaires la plupart de ceux qui abordent les côtes guadeloupéennes.
Recommandation n° 18 : Favoriser, en déterminant les zones bénéficiaires de programmes de co-développement, celles dont la population émigre en France irrégulièrement et dans de fortes proportions. |
En second lieu, la politique de co-développement française finance des aides à la réinsertion économique .
Malgré une grande proximité d'objectifs et de moyens, ces actions doivent être distinguées du dispositif de l'aide au retour mis en oeuvre par l'ANAEM qui, selon le ministère des affaires étrangères, relève davantage d'une logique immédiate de maîtrise des flux migratoires dans la mesure où il s'adresse aux immigrants irréguliers.
D'un point de vue financier, ces aides permettent le versement d'une subvention d'environ 4.000 à 5.000 euros non pas à l'étranger retournant volontairement dans son pays d'origine, mais à une cellule technique locale de développement. Par ailleurs, le migrant volontaire pour une réinsertion dans son pays d'origine reçoit en France ainsi que dans ce pays des aides et informations pratiques et techniques grâce à des opérateurs désignés.
Les résultats obtenus depuis trois ans restent très modestes et circonscrits au Mali, pour l'essentiel. Dans ce pays, ce programme a permis, depuis 2000, le retour d'environ 450 migrants. Toutefois, selon le ministère des affaires étrangères, ces retours devraient avoir un caractère durable, le projet de développement financé incitant l'étranger de retour dans son pays d'origine à y demeurer pour le faire prospérer.
Il est indéniable qu'une politique de soutien économique au retour des migrants afin que ces derniers créent des richesses dans leur pays d'origine peut contribuer à prévenir les départs vers la France d'immigrants clandestins. La commission d'enquête estime donc qu'un renforcement de ce type d'aide peut constituer, indirectement, un moyen de prévention de l'immigration clandestine de nature économique.
En tout état de cause, le retour des immigrés réguliers dans leur pays d'origine ne doit pas apparaître comme une solution qui les priverait définitivement de la possibilité de revenir ultérieurement, de façon régulière, sur le territoire français. On peut en effet penser que l'étranger pourrait au contraire être dissuadé de retourner volontairement dans son pays d'origine s'il lui était par la suite impossible de se voir délivrer les titres nécessaires à sa venue ultérieure en France avec laquelle, durant son séjour plus ou moins prolongé, il a noué des liens affectifs ou économiques.
La commission d'enquête estime, dès lors, qu' une véritable politique de co-développement devrait pouvoir s'accompagner d'une politique des visas rendant plus accessibles des allers et retours entre la France et le pays d'origine. A cet égard, elle se félicite que M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, ait annoncé lors de son audition, que « pour inciter au co-développement, qui concerne le migrant qui est chez nous et qui revient chez lui, nous allons lui donner, au moment où il revient chez lui avec un micro projet, un visa qui lui permet de revenir ».
Le ministère des affaires étrangères a également récemment lancé un programme « Migrations et initiatives économiques » (PMIE) qui constitue l'une des modalités de l'aide à la réinsertion économique, tout en présentant deux particularités. D'une part, il se limite à appuyer le réseau GAME (groupement d'appui à la micro-entreprise) mais participe au financement de projets portés par des immigrés tant sur le territoire français que dans leur pays d'origine. D'autre part, il a un champ d'intervention géographique plus large que celui retenu dans le cadre de la politique de co-développement stricto sensu .
Ce programme permet l'accompagnement d'environ 1.500 à 2.000 personnes par an. En 2004-2005, 7 projets ont reçu une subvention de démarrage d'activités, qu'il s'agisse de projets d'investissement à distance ou de projets de réinstallation. Ces projets ont concerné la Guinée, le Cameroun et le Bénin. En outre, 64 bourses d'expertise ont été financées ; pour plus de la moitié, il s'agit de réinstallations.
La commission d'enquête est favorable à l'extension de ce programme qui pourrait être de nature à mieux canaliser les flux de capitaux émanant des étrangers en situation régulière séjournant sur le territoire français. Les fonds rapatriés vers les pays d'origine des immigrés en France sont, en effet, supérieurs au montant global de l'aide publique au développement et estimés à entre 3 % et 5 % du produit national brut des pays d'origine, ce montant pouvant même atteindre entre 10 % et 20 % du budget de l'Etat d'origine. Cette masse financière, mieux orientée vers des investissements productifs, serait à même de fournir une impulsion déterminante dans le développement économique des pays concernés et le maintien de leur population.
Un programme spécifique relatif aux « diasporas scientifiques et techniques » a récemment été lancé et est en cours de mise en oeuvre dans sept pays émergents francophones de la zone de solidarité prioritaire : Algérie, Maroc, Tunisie, Cambodge, Laos, Vietnam et Liban.
Comprenant trois volets, cette action vise :
- d'une part, à développer des actions de recherche dans les pays d'origine, de programmes susceptibles d'être financés dans le cadre de projets de co-développement 81 ( * ) ;
- d'autre part, à mobiliser les diasporas économiques, scientifiques et techniques au développement de leur pays d'origine, pour l'essentiel dans le cadre d'actions de formation universitaire, technologique ou scientifique. Deux programmes ont été initiés : le premier, lancé en 2004, concerne uniquement le Sénégal ; le second est destiné aux pays émergents francophones de la zone de solidarité prioritaire, doté de 3 millions d'euros, chaque financement ne pouvant excéder 70.000 euros.
Lors de son audition, M. Philippe Etienne a indiqué qu'une réflexion était en cours sur l'opportunité d'accroître le recours à la technique dite des « doubles chaires ». Il a défini cette démarche comme permettant « à un Français d'origine africaine, par exemple, ou à un Africain établi en France et disposant d'un haut niveau de formation d'occuper simultanément une fonction en France et une fonction dans son pays d'origine et, ainsi, de contribuer de manière très efficace à la montée en puissance des capacités scientifiques et technologiques dans son pays d'origine afin de développer plus généralement la capacité de développement économique et social de ce pays. »
Ce type d'action pourrait se montrer réellement efficace et permettrait ainsi de lutter contre l'exil sans retour des élites des pays en développement.
Cette volonté prend d'ailleurs tout son sens et apparaît d'autant plus indispensable compte tenu de la volonté récemment affichée par le Gouvernement de davantage sélectionner les étudiants étrangers désireux de suivre une formation. Cette sélection ne semble pas, par nature, être en contradiction avec une action de co-développement. Ce qui importe dans ce cadre est le critère de choix des étudiants. Si ce critère prend en considération les nécessités du développement du pays d'origine en même temps que les besoins de la société et de l'économie françaises, la sélection des étudiants étrangers peut alors bénéficier également à leur pays d'origine.
Cette prise en compte semble, du reste, être l'objectif que s'est fixé le Gouvernement. Comme l'a souligné devant la commission d'enquête M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, il convient que « nous accordions des visas de long séjour pour études à des étudiants que nous choisissons selon des critères simples et clairs : le projet d'étude de l'étudiant, son parcours académique, les intérêts de la France et les intérêts du pays d'origine de l'étudiant étranger . »
La commission d'enquête estime que les différentes actions de co-développement déjà entreprises vont dans le bon sens et pourraient contribuer à limiter les flux de l'immigration irrégulière en provenance des pays en développement. Elle déplore néanmoins que le financement de ce type d'action reste très limité et préconise que de tels programmes soient élargis, tant au niveau de leurs bénéficiaires, qu'au niveau de leur financement.
Recommandation n° 19 : Renforcer les actions de co-développement en tirant davantage parti des compétences des immigrés réguliers séjournant sur le territoire français et désireux de revenir s'investir dans leur pays d'origine. |
* 81 Un programme « Migrations internationales, recompositions territoriales et développement » est, dans ce cadre, doté de 654.000 euros.