3. Sans coopération européenne et internationale, point de salut
Les auditions et les déplacements auxquels la commission d'enquête a procédé ont montré l'extrême mobilisation des services en charge de la lutte contre l'immigration irrégulière ainsi que les progrès accomplis en termes d'efficacité et de réactivité depuis trois ans.
De meilleurs résultats sont certainement encore possibles en renforçant les effectifs et en modernisant les matériels. Ainsi, dans la loi de finances pour 2006, une grande part des moyens nouveaux de la mission « Sécurité » est absorbée par la lutte contre l'immigration irrégulière. En outre, la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme autorise le ministre de l'intérieur à constituer des traitements automatisés de données personnelles relatives aux passagers des transporteurs aériens, maritimes et ferroviaires aux fins du contrôle des frontières, de la lutte contre l'immigration clandestine, de la prévention et de la répression des actes terroristes 52 ( * ) .
Toutefois, quels que soient les moyens mobilisés par la France seule, les résultats recherchés seront mieux et plus facilement atteints dans le cadre d'une coopération européenne ou internationale.
La lutte contre les filières organisées d'immigration clandestine illustre cet aspect. Les auditions de la commission d'enquête, qui a notamment entendu les trois offices centraux de police judiciaire chargés à divers titres de la lutte contre l'immigration irrégulière, ont montré que les outils juridiques à la disposition des enquêteurs et des magistrats étaient excellents et que les moyens humains étaient en nette progression. Toutefois, le démantèlement des filières est impossible sans une coopération policière et judiciaire européenne efficace.
La délégation de la commission d'enquête qui s'est rendue en Roumanie a pu mesurer la qualité de la coopération policière qui s'est établie avec la France 53 ( * ) , coopération qui s'est ensuite ouverte à d'autres partenaires européens. Le point de contact d'Oradéa à la frontière entre la Roumanie et la Hongrie est chargé de faire l'interface entre la police aux frontières roumaines et les services européens homologues pour toutes les demandes de vérification liées au contrôle transfrontière. S'y relaient en permanence des fonctionnaires de la police aux frontières des différents pays partenaires.
Si, à l'occasion d'un contrôle d'identité en France, un ressortissant roumain est interpellé, son identité est vérifiée en appelant immédiatement le point de contact d'Oradéa. En 2005, près de 5.000 demandes de vérification ont été traitées contre 999 en 2003. Elles ont permis de retrouver 167 véhicules volés et 268 faux documents.
Cette formule a fait école depuis. Les autorités roumaines ont monté des structures similaires avec la Bulgarie, la Moldavie et l'Ukraine. La délégation de la commission d'enquête a d'ailleurs pu visiter le point de contact trilatéral de Galati entre la Roumanie, la Moldavie et l'Ukraine.
La coopération judiciaire est également bonne. La délégation de la commission d'enquête a rencontré le procureur chef de la direction pour l'investigation des infractions liées au crime organisé et au terrorisme (DIICOT), M. Daniel Ticau. Cette direction totalement réorganisée et indépendante du ministre de la justice compte 190 procureurs dont 40 au siège de Bucarest. Le personnel a été fortement renouvelé et rajeuni dans le but de lutter contre la corruption. En 2005, la DIICOT, s'appuyant sur la direction spécialisée de la police roumaine en charge de la lutte contre le crime organisé, a démantelé 44 réseaux de trafic d'êtres humains dont 252 victimes avaient été identifiées. La bonne coopération judiciaire a été saluée en dépit d'une certaine lenteur dans la notification des commissions rogatoires internationales. L'adhésion à l'Union européenne devrait permettre de doter l'entraide judiciaire pénale d'outils plus efficaces et rapides, notamment le mandat d'arrêt européen.
Cette coopération doit être entretenue et développée car, à compter de l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, peut-être le 1 er janvier 2007, ses ressortissants devront être munis simplement d'un passeport ou d'une carte nationale d'identité pour entrer dans l'espace Schengen 54 ( * ) .
La frontière de la Roumanie avec la Moldavie ou l'Ukraine sera dans quelques années la frontière de notre pays lorsque la Roumanie aura intégré à part entière l'espace Schengen. Elle s'y prépare déjà comme a pu le vérifier la délégation de la commission d'enquête en parcourant l'ensemble de la frontière de l'est et en visitant quatre postes frontières ainsi qu'une école de formation de la police aux frontières.
Plusieurs policiers de la PAF en mission auprès de la police des frontières roumaines ont confié à la délégation que la Roumanie avait aujourd'hui dix ans d'avance en matière de surveillance de sa frontière. Grâce aux aides européennes du programme européen PHARE et à un effort d'équipement très important, la Roumanie a renouvelé l'ensemble de ses matériels (véhicules, caméras thermiques, appareils de détection de la fraude documentaire, réseau informatique) et réorganisé son administration (rajeunissement et féminisation des cadres, formations initiales et continues intensives, évaluation et contrôle de la performance, amélioration des rémunérations et lutte contre la corruption). En quelques années, la Roumanie a rattrapé quarante ans de retard.
De manière générale, le défi lancé par l'immigration clandestine nous fait réaliser, plus encore que la criminalité organisée internationale, que notre frontière se trouve désormais sur l'arc euro-méditerranéen et sur la frontière avec les pays de l'ex-URSS.
Cela implique, en premier lieu, de développer la solidarité entre les Etats membres de l'Union européenne. Chaque Etat est normalement responsable de sa frontière pour le compte de l'ensemble des Etats membres. Toutefois, certains Etats doivent supporter une pression migratoire beaucoup plus forte. Les drames de Ceuta et Melilla il y a quelques mois ou, plus récemment, l'afflux d'immigrés clandestins aux Canaries sont là pour le rappeler.
Il convient donc de développer la coopération opérationnelle aux frontières extérieures entre les Etats membres. L'agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures (FRONTEX) mise en place il y a quelques mois et dont le siège est à Varsovie a notamment pour mission de fournir rapidement une assistance opérationnelle aux frontières d'Etats membres confrontés à une pression migratoire exceptionnelle. A ce stade, il ne pourrait s'agir que de l'envoi d'équipes d'experts nationaux. Une réflexion devrait être engagée sur la création d'un corps européen de gardes-frontières sur le modèle par exemple de la force de gendarmerie européenne.
Ce corps européen composé de contingents nationaux serait mobilisé en cas de crise grave dans une zone frontalière. Il pourrait le cas échéant, avec l'accord du pays tiers, se déployer sur le territoire du pays source ou de transit de l'immigration clandestine.
Recommandation n° 10 : Créer un corps européen de gardes-frontières mobilisable immédiatement en cas d'afflux massif de population sur une portion de la frontière extérieure de l'espace Schengen. |
L'afflux récent d'immigrés clandestins d'origine subsaharienne aux Canaries à partir de la Mauritanie 55 ( * ) a d'ailleurs poussé l'Espagne à proposer son aide à la Mauritanie et à suggérer un plan de coopération d'urgence prévoyant la fourniture de bateaux patrouilleurs pour surveiller les côtes et une aide afin d'établir des centres d'accueil pour les migrants.
Ce type d'initiative pourrait sans aucun doute être mis en oeuvre dans un cadre européen, l'Espagne n'ayant pas à supporter seule un afflux de migrants dirigé en réalité vers l'Union européenne dans son ensemble.
C'est d'ailleurs le sens des conclusions du Conseil européen informel de Hampton Court du 27 octobre 2005, organisé à la suite du drame de Ceuta et Melilla, qui dessinent une nouvelle stratégie de partenariat global avec les pays d'origine ou de transit pour les associer à la lutte contre l'immigration clandestine. L'agence FRONTEX est par exemple en train d'élaborer des programmes de formation à destination des gardes frontières marocains ou libyens.
Toujours dans cette perspective, la France, l'Espagne et le Maroc ont lancé une initiative tripartite « Vers un espace commun euro-méditerranéen de coopération en matière de migration, intégration sociale, justice et sécurité », qui a été développée lors du dixième anniversaire du processus de Barcelone.
La frontière virtuelle de la France se déplace et se distend toujours plus. Elle s'étend désormais des Pyrénées à Nouakchott en passant par Lampedusa et Ceuta.
* 52 Voir le rapport n° 171 (Sénat 2005-2006) de M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois du Sénat.
* 53 Cette coopération a été lancée le 30 août 2002 avec la signature à Bucarest du protocole relatif au renforcement de la coopération bilatérale afin de lutter contre la criminalité organisée, la traite des êtres humains et d'assurer la sécurité intérieure des deux pays.
* 54 A ce jour, les ressortissants roumains doivent présenter un passeport, une attestation d'accueil si nécessaire, un moyen de subsistance, un billet aller-retour et une assurance maladie.
* 55 Plus de 3.000 depuis janvier 2006. Plusieurs dizaines ou centaines d'autres sont sans doute morts noyés au cours de la traversée.